« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 6 janvier 2025

La dissolution de Civitas


Par un arrêt du 30 décembre 2023, le Conseil d'État confirme la légalité du décret du 4 octobre 2023 prononçant la dissolution du groupement Civitas. Né en 1998 sous la forme d'une association, l'Institut Civitas se définissait lui-même comme un mouvement catholique traditionaliste. En 2016, il s'était transformé en parti politique avec un programme visant à "rechristianiser la France". 

En réalité, l'activité proprement politique du mouvement était demeurée très modeste. On sait que Civitas avait perdu en janvier 2016 son statut d'organisme d'intérêt général obtenu en 2013, statut qui lui permettait de bénéficier de la déductibilité des dons. Prendre la forme d'un parti politique lui offrait surtout l'opportunité de récupérer la même niche fiscale. La participation aux consultations électorales était restée à l'état de projet.

Quoi qu'il en soit, la dissolution d'un groupement emporte, à l'évidence, une ingérence grave dans la liberté d'association, dont on sait qu'elle a valeur constitutionnelle depuis la célèbre décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971.


Les motifs de dissolution

 

La dissolution d’une association peut être prononcée par le juge judiciaire, notamment à la demande du préfet, lorsque le groupe à un objet social non conforme à l’ordre public. Mais des régimes dérogatoires permettent à l’autorité administrative de prononcer directement la dissolution de groupements dont l’activité constitue une menace immédiate pour l’ordre public. Cette dissolution administrative est née après le 6 février 1934, avec la loi du 10 janvier 1936. L’activité de « ligues » armées, souvent violentes et peu respectueuses de l’État de droit, était alors apparue suffisamment dangereuse pour justifier un régime très restrictif. Il est aujourd’hui intégré dans l’article L 212-1 du code de la sécurité intérieure

 

Les fils de Pétain. Pierre Dac.

Radio Londres. Entre novembre 1943 et juin 1944
 

La dissolution de Civitas a été prononcé sur le double fondement des alinéas 5 et 6 de cet article.

Sont ainsi concernés, aux termes de l'alinéa 5, les groupements "qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration". Bien entendu, Civitas, fondée en 1999, ne pouvait être accusé de collaboration et n'avait pas connu le gouvernement de Vichy. Mais, de toute évidence, elle "exaltait cette collaboration". Elle avait ainsi organisé des commémorations à l'occasion de la mort de Philippe Pétain, rendu hommage à des Collaborateurs et utilisé des emblèmes rappelant ceux utilisés par "l'autorité de fait se disant" gouvernement de l'État français". Pour le Conseil d'État, "l'exaltation de la collaboration" est établie.

Est également établi le comportement visé dans l'alinéa 6 de l'article L 212-1. Il autorise la dissolution d'un groupement qui "provoque ou contribue par ses agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes", notamment en raison de leur appartenance à une religion ou une prétendue race. Le Conseil d'État mentionne alors les pièces du dossier qui montrent que les responsables de Civitas tenaient régulièrement des propos antisémites, appelait aussi à la discrimination à l'égard des personnes de confession musulmane, et plus généralement à celles issues de l'immigration. Enfin, l'homosexualité était présentée "dans des termes à connotation dégradante". 

Ce motif est sans doute l'un des plus utilisés en matière de dissolution d'association. Récemment, dans une  ordonnance du 2 avril 2024, le juge des référés du Conseil d’État refusait ainsi de suspendre la dissolution d’un groupement rattaché à l’ « ultra-droite », car il mettait en œuvre « une idéologie xénophobe et provoquant à la haine et à la discrimination".

En revanche, le troisième fondement invoqué dans le décret de dissolution est écarté. Il repose sur l'alinéa 3 de l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure. Destiné à permettre la dissolution des Ligues du 6 février 1934, il vise les groupements dont l'objet "tend à attenter à la forme républicaine du gouvernement". Le Conseil d'État a toujours fait une lecture restrictive de ce motif. Dans un arrêt d'assemblée Boussel du 21 juillet 1970, il ainsi annulé le décret de dissolution de l'Organisation communiste internationale, dissoute après mai 1968. Aussi contestataire soit-il, le mouvement n'avait engagé aucune action visant à porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement. Il en est de même de Civitas, dont les responsables préféraient sans doute le régime de Vichy à la Ve République, et tenaient régulièrement des propos hostiles aux principes républicains. Il n'en demeure pas que, ni dans son objet ni dans son action, le groupement n'avait envisagé de renverser la République.

En tout état de cause, la référence aux alinéas 5 et 6 était suffisante pour dissoudre l'association et il n'était pas nécessaire de rajouter des motifs plus discutables. Sur ce plan, l'arrêt est dans la ligne d'une jurisprudence qui a toujours exercé un contrôle très approfondi sur les motifs de dissolution.

 

La dissolution d'un parti politique


Civitas présente la particularité, par rapport à d'autres groupements, de s'être constitué en parti politique. Certains commentateurs ont immédiatement considéré qu'il était impossible de permettre la dissolution d'un parti par la voie d'un acte administratif. Mais une telle dérogation aurait dû être prévue par la loi, et le code de la sécurité intérieure ne dit rien de tel.

Au contraire, au regard du droit positif, un parti politique est d'abord une association. C'est si vrai que la loi sur les associations du 1er juillet 1901 a marqué le début de la création des partis politiques modernes. Le premier d'entre eux, le parti radical a précisément été fondé en 1901, profitant ainsi de la nouvelle loi. La seule différence, plus récente, a été de contraindre les partis à la création d'une seconde association de financement.

Dans le cas de Civitas, le décret a prononcé la dissolution de l'association de création du groupement, mais pas de l'association de financement. Pour le Conseil d'État, cette omission, qu'elle soit ou non volontaire, est sans incidence sur la dissolution de Civitas. Aucun détournement de procédure ne peut d'ailleurs être constaté, car le décret n'a pas utilisé la dissolution administrative d'une association dans le but de dissoudre un parti politique. Un parti est une association et entre donc dans le champ d'application de l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Le plus surprenant dans l'affaire réside peut être dans les commentaires auxquels elle a donné lieu. Certains ont cru devoir dénoncer une atteinte à la liberté des partis politiques, alors même que Civitas n'a jamais sérieusement exercé l'activité d'un parti politique. De fait, ils se sont retrouvés dans une étrange situation, conduits à défendre un "parti" admirateur d'un gouvernement de Vichy dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne respectait guère la liberté des partis.

1 commentaire:

  1. Sans se faire pour autant le défenseur de Civitas, l'on peut néanmoins se poser quelques questions iconoclastes en restant sur le plan des principes.

    - Compte tenu de son attitude sous le régime de Vichy parfaitement documentée, le Conseil d'Etat ne nous parait pas le mieux placé pour faire la leçon sur le sujet. Un minimum de modestie ne nuirait pas.

    - Cette addition de critères, pour parvenir au résultat connu d'avance, donne le tournis tant elle ne respire pas la clarté sauf pour les juristes avertis dont nous ne faisons pas partie. La simplification de la thèse ne nuirait pas à sa compréhension et à sa rationalité.

    - Sur les motifs de la discrimination, du racisme, de l'antisémitisme, de l'islamophobie, de l'homophobie ..., le Conseil d'Etat gagnerait en crédibilité en étant aussi intransigeant avec quelques partis politiques, syndicats, associations financées par l'étranger, influenceurs sous OQTF venus d'ailleurs qui répandent la violence et la haine avec une véhémence incroyable. L'actualité la plus récente est éclairante à ce sujet.

    Summum jus, summa injuria.

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