Une simple circulaire
Observons d'abord qu'il s'agit d'une simple circulaire qui ne saurait aller à l'encontre d'une loi. Concrètement, elle abroge la circulaire Valls du 28 novembre 2012 qui définissait les conditions de régularisation du séjour des étrangers en situation irrégulière. Le champ d'application demeure donc relativement étroit, et le texte de 2025 se présente comme des orientations générales relatives à l'admission exceptionnelle au séjour prévue aux articles L 435-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda). Elle vient compléter une première circulaire Retailleau du 28 octobre 2024 qui insistait sur le rôle des préfets dans l'éloignement des étrangers et leur demandait une implication personnelle dans la politique migratoire. Ces deux textes visent à assurer la mise en oeuvre de la loi immigration du 26 janvier 2024.
La circulaire du 23 janvier 2025 a un champ d'application relativement restreint, limité à la mise en oeuvre de l'article L 435-1 ceseda. Celui-ci prévoit une admission exceptionnelle au séjour (AES) qui repose soit sur des considérations humanitaires, soit sur des motifs exceptionnels justifiant un titre séjour temporaire salarié, travailleur temporaire, ou vie privée et familiale. Il s'agit donc d'une procédure dérogatoire, l'article L 412-1 ceseda prévoyant que tout étranger pénétrant en France doit fournir un visa en bonne et due forme.
A propos de la circulaire Valls qui, elle aussi, fixait des orientations générales, le Conseil d'État avait précisé, dans un arrêt de section du 4 février 2015 que ses dispositions n'étaient pas invocables lors d'un recours contre un refus de délivrance d'un titre de séjour. Cette jurisprudence, rappelée le 14 octobre 2022, signifiait qu'il n'existe pas de droit à obtenir une régularisation en s'appuyant sur la circulaire. A l'inverse, il est impossible de considérer que la circulaire Retailleau impose aux préfets de refuser toutes les régularisations, même si la pression du ministre est évidemment très forte. Mais les préfets devront aussi prendre en considération le fait que les motifs invoqués pour refuser la régularisation pourront être discutés, conformément au droit commun, d'abord devant la commission du titre de séjour prévue à l'article L 432-14 ceseda, ensuite, le cas échéant, devant les juges.
La puissance juridique d'une circulaire, somme toute relativement modeste, ne permet donc pas de présenter le texte comme l'outil d'une exclusion systématique de tous les étrangers en situation irrégulière, qu'elle soit souhaitée ou redoutée.
Honte à cet étranger. Les Goguettes. automne 2024
Durcissement des critères de régularisation
Si l'on examine maintenant le contenu de la circulaire, il est indéniable qu'elle durcit les critères de régularisation. La manifestation la plus évidente réside dans l'allongement de la durée minimale de résidence en France pour pouvoir y prétendre. Passant de cinq à sept ans, elle témoigne d'une volonté très claire de restreindre le nombre de bénéficiaires de la procédure. Mais peut-être pourrait-on penser que cette exigence, très largement mentionnée dans les médias, ne changera pas beaucoup les choses ? Un étranger en situation irrégulière qui est sur le territoire depuis cinq ans, et qui, le plus souvent, exerce un emploi, sera sans doute motivé pour rester deux années supplémentaires.
Une autre condition réside dans la maîtrise de la langue française. Elle existait déjà dans les textes, mais il faut bien reconnaître qu'elle n'était que modestement mise en oeuvre et l'on n'exigeait que la "maîtrise orale au moins élémentaire de la langue française". Désormais, sera exigé un diplôme ou une certification linguistique. L'exigence est louable, mais on peut se demander pourquoi l'administration ne se donne pas la peine, comme c'est la pratique dans de nombreux États, de faire passer elle-même l'examen. Tout le monde sait que les certifications de langue sont bien souvent délivrées par des officines commerciales, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Les étrangers en situation irrégulières sont ainsi une sorte de marché émergent pour des commerçants qui vendent un produit.
Enfin, une exigence de respect des valeurs de la République est clairement posée. Elle intègre notamment l'égalité devant la loi, le principe de laïcité, l'égalité entre les hommes et les femmes. Certes, mais il est précisé que l''étranger s'engage par contrat à respecter ces principes, selon un système très proche de ce qui existe pour les associations recevant des subventions publiques. Cette exigence est sans doute très louable, mais il serait sans doute utile de l'accompagner d'une mention des risques encourus en cas de non-respect du contrat.
Des préfets et des juges
Les conditions de régularisation sont donc clairement durcies, mais pas tant que cela. La pression la plus importante pour les étrangers réside peut-être dans les directives données aux préfets, les invitant notamment à porter une attention particulière au cas des étrangers en situation irrégulière qui ont refusé de se soumettre à une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Sur ce point, il faut attendre les contentieux qui ne manqueront pas d'intervenir pour comprendre si cette attention particulière s'analyse comme un refus systématique ou si des motifs exceptionnels peuvent justifier une dérogation à cette recommandation.
La circulaire Retailleau est donc bien loin des excès de louanges ou des excès de critiques dont elle a fait l'objet. S'il est vrai que les conditions de régularisation ont été durcies, la procédure n'a pas changé, et les refus seront scrutés par les juges. Les garanties de l'État de droit sont donc préservées, d'autant qu'elles sont prévues par la loi et que, précisément, le ministre de l'Intérieur n'a pas trop intérêt actuellement à déposer un nouveau projet de loi sur le sujet. Les majorités parlementaires sont si difficiles à trouver.
La régularisation des étrangers : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 1 B 2
Votre mise au point juridique était indispensable pour remettre l'église au milieu du village et rappeler les limites intrinsèques à une circulaire ministérielle. Elle contribue également à en finir avec tous ces bavardages inutiles de perroquets à carte de presse et autres experts de plateaux de télévision. Ils ont un point commun, la méconnaissance abyssale du droit sans parler de la manie de parler pour ne rien dire.
RépondreSupprimerUne fois encore, par un effet de buzz médiatique, nous découvrons que cette circulaire est, à y regarder de plus près, une tempête dans un dé à coudre. Un travers bien hexagonal alors que dans la matière évoquée, il faudrait savoir raison garder et faire preuve de retenue dans ses commentaires. Nous en sommes encore loin au pays de René Descartes.
Comme le rappelait toujours un grand Serviteur de l'Etat à ses jeunes collaborateurs venant lui présenter leur analyse d'une discussion ou d'une négociation, les textes tous les textes et rien que les textes ! Il avait entièrement raison. Vous en apportez la preuve éclatante sur la question de l'interprétation impressionniste des normes qu'en donnent des éminentes personnalités qui ne les ont jamais lues si tant est qu'ils en connaissent l'existence.
Conclusion : "Much ado about nothing", formule célèbre de William Shakespeare ou dans la langue de Molière "Beaucoup de bruit pour rien" !