Le 25 avril 2025, le Conseil d'État a rendu une décision affirmant que l'État a mis en place les mesures nécessaires à l'amélioration de la qualité de l'air dans des zones particulièrement polluées au dioxyde d'azote, notamment les régions lyonnaises et parisiennes. Les seuils ne sont plus dépassés, et le juge estime donc qu'il n'est plus utile de liquider une nouvelle astreinte.
Huit ans de contentieux
Ce contentieux relatif à la qualité de l'air a duré huit années, longues années durant lesquelles le Conseil d'État a fait usage des pouvoirs d'injonction et d'astreinte dont il dispose, sur le fondement des articles L911-1 et L911-2 du code de la justice administrative. En l'espèce, il s'agissait d'assurer le respect de la directive du parlement européen et du conseil du 21 mai 2008. Dans son annexe XI, elle définit des valeurs limites permettant d'atteindre un objectif d'"air pur pour l'Europe". Ces valeurs figurent dans l'article R221-1 du code de l'environnement.
Le point de départ de l'affaire se trouve dans un arrêt Les Amis de la Terre rendu le 12 juillet 2017. A l'époque, les associations écologistes avaient demandé au gouvernement de mettre en oeuvre des plans de réduction des concentrations de dioxyde d'azote et des particules fines. Leur demande était restée sans réponse, et ils avaient donc déposé un recours devant le Conseil d'État. Celui-ci avait satisfait leur demande, et ordonné à l'État de mettre en place de tels plans, afin de respecter les seuils de pollution fixés par la directive européenne.
Hélas, il est bien difficile de parvenir à une réduction de ces pollutions rapidement, d'autant que le gouvernement ne s'est pas vraiment hâté de satisfaire à l'injonction. Le 10 juillet 2020, un deuxième arrêt Les Amis de la Terre est donc intervenu, le Conseil d'État étant alors juge de la décision précédente. Il a constaté que les plafonds fixés par la directive étaient toujours dépassés dans certaines zones et que les autorités n'avaient pas fait preuve de la diligence appropriée. Il a donc prononcé une astreinte de dix millions d'euros par semestre, jusqu'à la date de la complète exécution de l'arrêt de 2017. Une troisième décision a suivi, le 4 août 2021, qui liquide l'astreinte de dix millions pour la période de janvier à juillet 2021.
C'est seulement en 2023 que le juge desserre un peu l'étau. Une décision du 24 novembre 2023 réduit de moitié l'astreinte, à cinq millions par semestre de retard, et constate que les zones urbaines de dépassement du seuil de pollution se sont réduites aux seules les régions lyonnaises et parisiennes. L'arrêt du 25 avril 2025 marque ainsi le point d'aboutissement d'une procédure particulièrement longue mais finalement efficace. La pression contentieuse a permis, effectivement, une amélioration de la qualité de l'air.
Le droit à un environnement sain
Cette pression contentieuse ne pourrait sans doute pas se développer sans la reconnaissance du droit à un environnement sain dans par notre système juridique. La Charte de l'environnement, dans son article 1er, énonce que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », mais il faut bien reconnaître que ce droit se traduit surtout par des devoirs de l'État qui se voit imposer certaines contraintes.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), quant à elle, fonde le droit à un environnement sain sur le respect de la vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans l’arrêt Tatar c. Roumanie du 27 janvier 2009, elle sanctionne la négligence de l’État qui a omis de protéger sa population de la pollution des eaux d’une rivière par les rejets d’une entreprise industrielle. Elle ajoute que l’État doit prévoir un cadre législatif pour garantir le droit à un environnement sain[ii]. Sur le même, fondement, la CEDH, dans une décision Cannavacciulo c. Italie du 30 janvier 2025, condamne l’État italien pour son inaction face à une pollution liée à la présence, dans la région napolitaine, d’une multitude de décharges sauvages gérées par des mafias.
L'arrêt du 25 avril 2025 se situe ainsi au coeur d'une évolution qui envisage l'environnement sain, et donc l'air pur, comme objet d'un droit. On ne peut que s'en féliciter, si ce n'est que les instruments utilisés pour parvenir à une réduction des substances polluantes sont actuellement au coeur de larges débats.
Les zones à faibles émissions
En effet, la décision du Conseil d'État se réfère expressément aux mesures prises par le gouvernement, parmi lesquelles figurent les voies réservées au co-voiturage et la création des très contestées "Zones à faibles émissions" (ZFE). Or nul n'ignore que ces dispositifs sont actuellement dénoncés comme des "bombes sociales" qui interdisent l'accès des grandes villes aux véhicules les plus polluants, c'est-à-dire ceux que possèdent les personnes les plus modestes, celles qui travaillent en ville mais n'ont pas les moyens d'y habiter, celles aussi qui n'ont pas suffisamment d'argent pour acheter un véhicule électrique. Le 26 mars 2025, un amendement voté à l'initiative des députés du Rassemblement national et des Républicains a purement et simplement supprimé les ZFE, accusées de "ségrégation sociale territoriale". Bon nombre d'élus locaux ont, en même temps, annoncé leur intention de ne pas mettre en place les ZFE. Devant cette situation, le débat sur la loi a été repoussé, et le gouvernement s'efforce de trouver un compromis qui pourrait bien aboutir à faire des ZFE une planification facultative, ce qui n'est pas très différent d'une disparition.
A la lecture, l'arrêt du 25 avril 2025 apparaît ainsi quelque peu "hors sol", reposant sur une législation présentée comme acquise, définitive et incontestée. Bien entendu, la décision est présentée comme un "grand arrêt", témoignage de l'investissement du Conseil dans la protection de l'environnement par une construction jurisprudentielle courageuse. Sans doute, mais force est de constater que la construction repose sur des fondations un peu fragiles.