Le droit du sol n'est pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR). Le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi dans sa décision du 7 mai 2025 portant sur la loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte. Il autorise ainsi le législateur à moduler les conditions d'octroi de la nationalité, en acceptant une lecture souple du droit du sol.
Les PFLR
On sait que la notion de PFLR, qui figure dans le Préambule de 1946 sans
que lui ait été attribué un contenu bien précis, joue désormais le rôle
d'une sorte de boîte à outils. En fonction des besoins, le Conseil y
fait entrer certains droits et certaines libertés qui ont été consacrés
par une loi républicaine antérieure à 1946, c'est-à-dire votée à une
époque où la loi était la norme suprême. La qualité de PFLR fut ainsi attribuée, par la grande
décision du 16 juillet 1971, à la liberté d'association. Issue de la célèbre
loi du 1er juillet 1901,
la liberté d'association a donc pris en 1971 une sorte d'ascenseur
normatif qui lui a permis d'acquérir une valeur constitutionnelle.
Né quelque part. Maxime Le Forestier. 1988
Le droit du sol n'est pas absolu
L'acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers est organisée par les
articles 21-7 et
21-11 du code civil. Ces enfants peuvent obtenir la nationalité, soit de
plein droit à partir de leurs dix-huit ans, soit sur réclamation à partir
de treize ou seize ans, à condition d’avoir leur résidence habituelle en France pendant une période d’au moins cinq
ans depuis, depuis l’âge de huit ou onze ans selon les cas.
Ces dispositions parlent d'elles-mêmes et montrent que le droit du sol, en tant que tel, n'est pas absolu. Le système juridique a considérablement évolué depuis la
loi sur la nationalité du 26 juin 1889, confirmée par celle
du 10 août 1927. A l'époque, le législateur considérait qu'était française à sa majorité toute personne née en France d'un étranger. S'il existait une condition de résidence, aucune initiative de la part de l'intéressé n'était requise. A l'époque, il s'agissait de répondre à des nécessités liées aussi bien à la démographie qu'à la conscription.
Ces références historiques sont utiles, car ce sont elles qui fondent la
décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 juillet 1993. Déjà, le législateur avait posé des limites à l'acquisition de la nationalité dans les collectivités d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé que ces motifs circonstanciels, à l'origine des lois de 1889 et de 1927, interdisaient de considérer le droit du sol comme un PFLR.
Le cas de Mayotte
Les dispositions législatives déférées au Conseil constitutionnel ne font que renforcer la spécificité du droit de la nationalité applicable à Mayotte.
Celle-ci figurait déjà dans la
loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. A l'époque, une nouvelle rédaction de l'
article 2493 du code civil avait déjà imposé une contrainte supplémentaire au territoire de Mayotte. Il conditionnait l'acquisition de la nationalité par un enfant
né à Mayotte de parents étrangers à la résidence régulière d’un de ses parents en
France pendant au moins trois mois à la date de sa naissance.
Dans sa
décision du 6 septembre 2018, le Conseil avait déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Il est vrai que les requérants n'avaient pas invoqué la violation d'un éventuel PFLR. Ils avaient préféré se fonder sur le principe de fraternité que le Conseil venait d'invoquer, deux mois plutôt, dans sa
décision du 6 juillet 2018. Il avait déclaré inconstitutionnel sur ce fondement le délit d'aide au séjour irrégulier. Depuis cette date cependant, le principe de fraternité a été souvent invoqué, mais toujours écarté par le Conseil constitutionnel.
De fait, les dispositions examinées par le Conseil le 7 mai 2025 se bornent à renforcer la spécificité du droit applicable à Mayotte, spécificité qui était déjà largement acquise. Elle exige désormais que, au moment de la naissance, les deux parents de l'enfant résident en France de manière régulière et ininterrompue depuis au moins un an. Le Conseil mentionne que cette particularité du droit de la nationalité à Mayotte se justifie par l'importance des flux migratoires et la forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup sont en situation irrégulière. De fait, le nombre d'enfants nés de parents étrangers y est particulièrement élevé. Sur ce point, le Conseil reprend sa jurisprudence du 6 septembre 2018, en affirmant que ces « caractéristiques et
contraintes particulières » autorisent l'adaptation des règles d'accès à la nationalité.
L'indivisibilité de la République
Observons tout de même que le Conseil constitutionnel prévoit une sorte de garde-fou exprimé dans une réserve. Il affirme en effet que le principe d'indivisibilité de la République, mentionné dans l'article 1er de la Constitution, "
s’oppose à ce que des
dispositions fixant les conditions d’acquisition de la nationalité
puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire". Il ajoute immédiatement que cette règle s'impose "
sous la seule réserve des dispositions particulières prévues par la Constitution". Dans le cas présent, ces "
dispositions particulières" sont celles
de l'article 73 qui mentionne que les lois et règlements sont applicables de plein-droit dans les collectivités d'outre-mer, mais qu'ils "
peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux
caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités"
Le droit du sol peut donc faire l'objet d'adaptations outre-mer, ce que l'on savait déjà. En revanche, il est clair que le principe d'indivisibilité serait mis en cause s'il était totalement supprimé, et non pas seulement adapté. La réserve ainsi formulée prend l'allure d'une mise en garde. En revanche, il reste à se demander quelle serait la décision du Conseil constitutionnel dans l'hypothèse, peu probable certes, où le législateur déciderait de substituer totalement le droit du sang au droit du sol. Car, dans ce cas, les conditions d'acquisition de la nationalité seraient "les mêmes sur l'ensemble du territoire".
La nationalité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 1 A
Votre commentaire est lumineux dans ces temps où les analyses du droit positif se font rares, laissant la place à des approches idéologiques présentées comme vérités révélées.
RépondreSupprimerL'approche du Conseil constitutionnel est habile. En un mot, elle consiste à dire que tout principe peut souffrir d'exceptions à géométrie variable. En somme, il s'agit d'une version modernisée de l'adage : "Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder" attribué à plusieurs pères. De facto, si ce n'est de jure, les Sages - pas tant que cela - introduisent par une porte étroite un critère d'opportunité qui ne veut pas dire son nom. Comme les sondages d'opinion le montrent assez clairement, les conditions de l'attribution de la nationalité française font l'objet d'évolutions sensibles de la part de nos concitoyens pour d'évidentes raisons. Cette tendance touche toute l'Europe (Cf. les résultats convergents des dernières élections dans l'Union européenne). Qu'en sera-t-il demain ? Nul ne peut le dire. C'est peu dire que le Conseil veut conserver une certaine marge d'appréciation pour ne pas se trouver en trop grand décalage par rapport aux évolutions de la société sur un sujet sensible. Peut-on le lui reprocher ? Sans adopter un droit mou, le Conseil choisit un droit souple.
La vérité d'un jour n'est pas toujours celle du lendemain.