Il s'agit là de l'ultime développement de l'affaire Baldassi dont les faits remontent en 2009 et 2010. Une campagne initiée par des militants "Boycott, Désinvestissement et Sanctions" (BDS). Ce groupement s'était constitué à la suite de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice rendu le 9 juillet 2004, selon lequel « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international ».
En 2009 et 2010, des membres de ce Collectif organisent différentes actions dans un supermarché de la région de Mulhouse. Ils invitent les clients à signer une pétition et à boycotter les produits en provenance d'Israël. L'action se déroule sans violence ni dégâts et le supermarché ne porte pas plainte. Mais différentes associations comme la Licra, Avocats sans frontières, l'Association France-Israël et le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme portent plainte pour provocation à la discrimination, délit prévu par l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Dans un premier temps, les militants sont condamnés à une amende de 1000 € avec sursis. La Cour de cassation confirme cette sentence le 20 octobre 2015.
Palestine, terre de mes douleurs. Julio Iglesias
L'appel au boycott, une expression politique fortement protégée
Mais le feuilleton n'est pas fini, car c'était compter sans la Cour européenne des droits de l'homme qui, le 11 juin 2020, condamne la France dans son arrêt Baldassi. Elle estime que la sanction pénale de l'appel au boycott constitue une ingérence excessive dans la liberté d'expression. A la suite de la décision de la cour de révision le 7 avril 2022, l'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Paris qui prononce la relaxe des militants le 14 mars 2024. Elle s'achève le 4 novembre 2025 avec le rejet de l'ultime pourvoi des associations requérantes.
De cette saga contentieuse, on doit déduire que la cour de cassation a pleinement adopté la jurisprudence de la CEDH. L'appel au boycott est désormais considéré comme une expression politique fortement protégée. La chambre criminelle l'avait déjà rattaché à la liberté d'expression dans un arrêt du 7 octobre 2023, à propos d'un appel à boycotter les produits israéliens organisé par des militants du même groupe devant une pharmacie lyonnaise.
Elle le confirme aujourd'hui, et la chambre criminelle reprend, pratiquement mot à mot, l'argumentaire développé par l'arrêt Baldassi de la CEDH. Elle affirme ainsi que "le boycott est une modalité d'expression d'opinions protestataires". Ce mode d'expression est donc protégé par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il ne saurait être poursuivi, en tant que tel, comme une discrimination ou une incitation à la discrimination.
De manière plus générale, cette jurisprudence s'inscrit dans la tendance qui protège l'expression politique avec une attention particulière. La vivacité du débat y est particulièrement tolérée, et l'arrêt de la CEDH Perincek c. Suisse du 15 octobre 2015 affirme que la liberté d'expression "vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent". La société démocratique impose donc le pluralisme des courants d'opinion, et le respect de l'opinion d'autrui.

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