« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 11 novembre 2025

Le contrôle judiciaire de Nicolas Sarkozy : Beaucoup de bruit pour rien

Nicolas Sarkozy a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à cinq année de prison dans l'affaire libyenne. Cette condamnation a été accompagnée d'une exécution provisoire et il a effectivement été incarcéré le 21 octobre 2025. Il a évidemment fait appel de sa condamnation, ce qui a conduit à une requalification de sa privation de liberté en détention provisoire. Le 10 novembre 2025, la cour d'appel de Paris, statuant dans le cadre du régime juridique de la détention provisoire, a ordonné sa mise en liberté sous contrôle judiciaire.


La mise en liberté


Rappelons que la demande de mise en liberté d'un détenu à la suite d'un appel est régie par l'article 148-1 et du code de procédure pénale. Il énonce que "la mise en liberté peut être demandée par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure." Lorsqu'une juridiction de jugement est saisie, en l'espèce la cour d'appel, il lui appartient de statuer sur la détention provisoire. L'article 148-2 du même code précise ensuite que "Lorsque la personne a déjà été jugée en premier ressort et qu'elle est en instance d'appel, la juridiction saisie statue dans les deux mois de la demande". Nicolas Sarkozy a été condamné le 25 septembre et incarcéré le 21 octobre et c'est donc à cette date que ses avocats ont pu formuler une demande de mise en liberté. Celle-ci a donc été examinée à l'issue d'un délai de trois semaines. Alors que la justice est particulièrement encombrée, ce n'est pas vraiment l'indice d'un mauvais traitement.

La procédure en elle-même n'a donc rien de surprenant, et l'on souhaiterait que toutes les demandes de mise en liberté soient traitées avec une diligence identique. En revanche, le contrôle judiciaire imposé à l'intéressé suscite le débat. 





Le contrôle judiciaire


Là encore, il convient de se référer au texte de l'article 144 du code de procédure pénale qui énonce les conditions du placement en détention provisoire. Celle-ci ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle "constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants", c'est-à-dire les conservation des preuves, les risques de pressions sur les témoins ou les victimes, la concertation frauduleuse avec les co-auteurs et complices, la protection de la personne elle-même, la garantie du maintien à la disposition de la justice, et enfin la cessation de l'infraction ou la prévention de son renouvellement.

Lorsque ces conditions ne sont pas, ou plus, réunies, la mise en liberté sous contrôle judiciaire peut être prononcée. L'article 138 du code de procédure pénale dresse une liste de neuf contraintes susceptibles d'être imposées à la personne mise en liberté. Nicolas Sarkozy est soumis à deux de ces obligations.

La première est l'interdiction de quitter le territoire. Contrairement à ce qu'affirment certains de ses soutiens sur les plateaux de télévision, la justice n'envisage pas un risque de fuite. Elle redoute toutefois qu'un ancien président de la République puisse avoir quelques facilités pour entrer en contact avec des témoins résidant l'étranger. Le risque est donc la pression ou la concertation avec ces témoins.

La seconde contrainte réside dans l'interdiction faite à Nicolas Sarkozy d'entrer en contact avec ses co-accusés et c'est encore le risque de concertation qui est visé. Surtout, figure dans la liste l'interdiction de communiquer "avec le ministre de la Justice en exercice, les membres de son cabinet et tout cadre du ministère de la justice susceptible d’avoir connaissance des remontées d’informations prévues par les articles 35 et 39-1 du Code de procédure pénale". La cour d'appel motive cette mesure par la nécessité "d'éviter un risque d'obstacle à la sérénité des débats et d'atteinte à  l'indépendance des magistrats".


L'interdiction de tout contact avec le ministre de la Justice


Bien entendu, les soutiens, notamment médiatiques, de Nicolas Sarkozy, ont vu dans cette mesure une sorte de vengeance des juges, furieux de la visite rendue par Gérald Darmanin à l'ancien président emprisonné. On note toutefois que l'interdiction de contact vise "le ministre de la Justice en exercice", et non pas Gérald Darmanin intuitu parsonae. La précision est d'importance si l'on considère à la fois l'actuelle rapidité de la succession des gouvernements et les motifs de cette interdiction.

Loin d'une vengeance, la mesure apparaît  comme un moyen d'assurer l'indépendance des magistrats de la cour d'appel. On observe que le ministre n'est pas le seul visé par l'interdiction, mais encore les membres de son cabinet et tout cadre du ministère susceptibles d'avoir connaissons des remontées d'informations. Les articles 35 et 39-1 du code de procédure pénale prévoient en effet que des "rapports particuliers" peuvent être demandés par le procureur général aux procureurs de la République ur des affaires en cours et ensuite être adressés au ministre de la Justice. Dans sa décision du 14 septembre 2021, le Conseil constitutionnel a affirmé la constitutionnalité de ces rapport particuliers. Certes, la décision mériterait d'être citée dans une anthologie de la langue de bois, car le Conseil constitutionnel feint de considérer que ces remontées d'informations "ont pour seul objet de permettre au ministre de la Justice, chargé de conduire la politique pénale (...), de disposer d'une information fidèle et complète sur le fonctionnement de la justice (...)". Cette joyeuse hypocrisie permet de valider les rapports particuliers.

L'interdiction de tout contact formulée par la cour d'appel vise donc à empêcher que la personne mise en cause ait accès à des informations liées à l'affaire en cours. Le risque est loin d'être négligeable si l'on considère qu'un ancien Président de la République peut aisément avoir des contacts avec le Garde des Sceaux, surtout si l'on se souvient que ce dernier lui a publiquement témoigné son soutien en allant le voir en prison. 

Le risque n'est pas nul, si l'on considère que la Cour de justice de la République (CJR) a condamné, le 30 septembre 2019 un ancien Garde des Sceaux à une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis accompagne d'une amende de 5000 €. Celui-ci avait transmis des éléments confidentiels d'une enquête préliminaire à la personne mise en cause, éléments précisément obtenus par des remontées d'informations. Le risque de fuite est donc loin d'être nul, et l'on comprend que les magistrats de la cour d'appel se soient efforcés de le prévenir.

Le contrôle judiciaire de Nicolas Sarkozy n'a donc rien d'extraordinaire. Il répond exactement aux conditions posées par le code de procédure pénale. Certes, les soutiens de l'ancien président de la République monopolisent l'espace médiatique en affirmant, comme ils l'ont fait lors du jugement du tribunal correctionnel, le caractère exceptionnel de la procédure. Nicolas Sarkozy serait l'innocente victime d'un complot judiciaire, et le complot de la cour d'appel viendrait couvrir le complot du tribunal correctionnel, couvrant lui même le complot des juges d'instruction qui, couvrait, bien entendu, le complot de l'enquête préliminaire etc. 

Mais le problème n'est pas là. Ce n'est pas la procédure qui est exceptionnelle, c'est le prévenu. Si un trafiquant de drogue placé sous contrôle judiciaire se voit interdire de communiquer avec les dealers de son quartier, un ancien président de la République sous contrôle judiciaire se voit interdire de communiquer avec le ministre de la Justice. A chacun selon son milieu...


L'indépendance des jugesManuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4,  section 1 § 1 D


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