La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 mars 2023, confirme l'avis défavorable donné à l'extradition d'une dizaine de ressortissants italiens vivant en France depuis une durée s'échelonnant, selon les cas, entre vingt-cinq et quarante ans.Tous avaient été condamnés par la justice italienne, le plus souvent par contumace, pour des attentats terroristes commis par les Brigades Rouges en Italie durant les années de plomb, entre 1972 et 1981. Leur profil est très comparable, et pour simplifier la compréhension de la procédure, le commentaire portera donc essentiellement sur l'arrêt publié sur le site de la Cour de cassation. Les pourvois ont été déposés par le Procureur générale près la Cour d'appel de Paris.
En l'espèce, le requérant, M. A. X., a fait l'objet d'une demande d'extradition formulée par les autorités italiennes le 20 janvier 2020. Le but était l'exécution d'une peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée par la Cour d'assises d'appel de Milan, le 28 novembre 1985 pour des faits remontant à 1980. Remis en liberté en 1982 en attendant son procès, M. A. X a rejoint la France. Il alors obtenu la qualité de réfugié, sur la base d'une doctrine initiée par le Président François Mitterrand, selon laquelle le droit d'asile pouvait être accordé aux personnes condamnées ou recherchées pour actes de nature violente, mais "d'inspiration politique".
Un instrument d'entraide judiciaire internationale
Rappelons que l'extradition est un mécanisme de coopération internationale destiné à empêcher qu’une personne poursuivie puisse s’assurer l’impunité en s’enfuyant à l’étranger. Elle est définie par l’ancienne loi du 10 mars 1927 comme la « remise par le Gouvernement français, sur leur demande, aux gouvernements étrangers de tout individu, non français, qui étant l’objet d’une poursuite intentée au nom de l’État requérant ou d’une condamnation par ses tribunaux est trouvé sur le territoire de la République ». Cette définition demeure en vigueur, alors même que la loi de 1927 a été abrogée par celle du 9 mars 2004 désormais codifiée dans le code de procédure pénale. La loi ne constitue plus cependant qu’un fondement résiduel du droit de l’extradition, largement organisé par des conventions internationales. Les premières furent bilatérales comme les Conventions franco-italienne du 12 mai 1810 ou franco-espagnole du 14 décembre 1877. Le multilatéralisme s’est ensuite développé avec la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 et son deuxième protocole, la Convention de Dublin du 27 septembre 1996 qui organise l'extradition entre les États membres de l'Union européenne. C'est précisément sur ce double fondement que se placent les autorités italiennes.
Buongiorno, notte. Marco Belloochio. 2003
Originalité de la procédure
L’extradition présente l’originalité de faire intervenir les deux ordres de juridiction. Une procédure pénale précède en effet une procédure administrative, incarnée dans un décret d’extradition. Dans le cas de M. A. X., il n'y aura pas de décret d'extradition, et le Conseil d'État ne sera pas saisi. En effet, après l'arrestation et l'interrogatoire de l'intéressé, la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel rend un avis sur l’extradition. Lorsqu’il est défavorable à l’extradition, il a autorité de chose jugée, et le ministre de la Justice ne peut proposer le décret d’extradition à la signature du Premier ministre. La Cour de cassation est alors compétente pour contrôler cet avis. C'est ainsi que, dans deux arrêts du 7 août 2019, elle rappelle que la Chambre de l’instruction doit vérifier la durée de la peine encourue dans l’État demandeur ainsi que les garanties qu’il offre en matière de sécurité de la personne et de droits de la défense. En tout état de cause, le contrôle de la Cour de cassation ne saurait s'étendre aux motifs de l'extradition et doit se limiter au respect des garanties fondamentales de procédure, principe rappelé par la Chambre criminelle le 26 avril 2006.
Dans le cas présent, la Cour de cassation considère que la Chambre de l'instruction a procédé à un examen satisfaisant de la situation juridique du requérant.
Le droit au juge après une condamnation par contumace
Le premier moyen du pourvoi reproche à la Chambre de l'instruction de n'avoir pas demandé aux autorités italiennes leurs observations après avoir recevoir leur réponse à un complément d'information portant sur les règles de la contumace en Italie.
Selon l'article 696-4 7° du code de procédure pénale, l'extradition ne peut être accordée si elle risque de conduire à ce que la personne soit jugée dans l'État requérant par un tribunal ne garantissant pas les droits de la défense. Or, M. A. X., alors en fuite, a été jugé en Italie par contumace et condamné à l'issue d'une procédure à laquelle il n'était pas présent. La Chambre de l'instruction a donc demandé aux autorités judiciaires italiennes des éléments d'information sur les recours que l'intéressé pourrait engager, dans l'hypothèse où il leur serait remis. Mais aucune réponse précise n'a été donnée, la loi italienne ne garantissant pas au condamné par défaut le droit d'être entendu par un tribunal.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme clairement qu'une condamnation par contumace doit être analysée comme non conforme au droit à un juste procès, si l'intéressé ne peut ultérieurement obtenir un nouvel examen de sa situation au fond. Cette règle a été formulée dans l'arrêt Samuel Einhorn c. France du 16 octobre 2001. La Cour déclare alors irrecevable la requête d'une personne condamnée pour meurtre aux États-Unis. L'extradition était accordée, car les autorités de Pennsylvanie s'étaient engagées à ce que l'intéressé puisse bénéficier d'un nouveau procès.
La Cour de cassation écarte donc ce moyen, estimant que les éventuelles observations des autorités italiennes n'auraient rien changé au droit positif qui ne prévoit pas de nouveau procès. A cela s'ajoute, même si cette observation ne figure que dans l'avis de l'avocat général, que les autorités italiennes n'ont plus redemandé l'extradition de M. A. X., depuis 1998, et qu'une nouvelle demande semble porter atteinte à l'impératif de "délai raisonnable" exigé par la Convention européenne des droits de l'homme.
L'atteinte à la vie privée et familiale
Le second moyen invoqué par le Procureur général réside dans le fait que l'extradition ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé, garantie par l'article 8 de la Convention européenne. La Chambre de l'instruction porte sur ce point une appréciation souveraine et la Cour de cassation ne s'étend guère sur le sujet. Elle observe simplement que M. A. X. s'est marié en France, qu'il a eu deux enfants, une vie professionnelle et familiale stable, éléments qui témoignent de son insertion dans la société française. En France depuis trente-neuf ans, il n'a plus jamais eu le moindre contact avec l'Italie. A partir de ces éléments, la Chambre de l'instruction a donc pu souverainement conclure qu'une extradition porterait une atteinte excessive à la vie privée et familiale de l'intéressé.
Les demandes d'extradition des Italiens condamnés durant les années de plomb vont probablement se tarir. Leur périodicité relevait d'ailleurs sans doute davantage de considérations liées à la volonté de certains gouvernements italiens de satisfaire l'opinion publique plutôt que d'un réel désir de faire purger une peine de prison à quelqu'un condamné il y a trente ans, pour des faits remontant à plus de quarante ans. On pourra certes regretter l'étrange position idéologique de François Mitterrand qui semblait considérer que les crimes commis par les Brigades Rouges étaient de nature politique. La définition du terrorisme adoptée par notre système juridique suppose en effet que les auteurs de tels faits soient condamnés pour leurs crimes, indépendamment des motifs qui les ont poussés à l'action. Mais on peut aussi regretter une certaine indolence des autorités italiennes qui n'ont pas beaucoup surveillé des criminels dangereux, les laissant finalement partir en France.
Quoi qu'il en soit, l'eau a passé sous les ponts, et les personnes réfugiées en France, du moins celles dont l'Italie demande présentement l'extradition, n'ont plus jamais fait parler d'elles au plan judiciaire. Au contraire, elles ont construit une autre vie et se sont fait oublier. Il est donc temps de leur accorder ce droit à l'oubli, et de renvoyer les années de plomb au travail, non plus des magistrats, mais des historiens.
Sur l'extradition : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2 § 2 D.