La spécialisation carcérale
La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a introduit dans le code pénitentiaire une section nouvelle consacrée aux QLCO, plus précisément les articles L.224-5 à L.224-11. Le décret du 8 juillet 2025 précise, quant à lui, les critères d'affectation, la procédure contradictoire précédant le placement, ainsi que les aménagements appliqués au régime de la détention, concernant notamment les visites, l'accès au téléphone ou les fouilles. D'une manière générale, ces mesures dérogatoires ou régimes d'incarcération de droit commun ont pour finalité de prévenir tout lien des personnes détenues avec les réseaux criminels.
En affirmant la légalité du décret, le Conseil d'État reconnaît une spécialisation carcérale bien antérieure aux QLCO. On se souvient des Quartiers de haute sécurité (QHS) créés en 1975 et disparus en 1982, après avoir fait l'objet de vives critiques. Créés à l'initiative du Garde des Sceaux de l'époque, Jean Lecanuet, par un simple décret du 23 mai 1975, ils ont été transformés en quartiers d'isolement par une circulaire du 26 février 1982 signée cette fois par Robert Badinter. Aujourd'hui, à côté des QLCO, existent également des QDV, quartiers pour détenus violents et des QER/QPR, quartiers réservés à l'évaluation et à la prise en charge des détenus radicalisés.
La nouveauté des QLCO ne tient donc pas à la spécialisation carcérale, mais à la cible, en l'espèce la criminalité organisée. De plus, les QLCO, par l'existence même du décret du 8 juillet 2025, font l'objet d'une construction procédurale plus élaborée que les QDV, QER ou QPR. En soi, c'est un élément positif car le mode d'incarcération des QLCO n'est pas hors droit. L'arrêt du Conseil d'État du 28 octobre 2025 marque ainsi une évolution vers une spécialisation carcérale pleinement assumée par le législateur.
Le Conseil d'État rappelle toutefois que cette spécialisation carcérale demeure placée sous le contrôle du juge.
Les Dalton. Morris. circa 1960
La décision du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 juin 2025 portant sur la loi datée du lendemain, a, le premier, déclaré conformes à la constitution les articles L 224-5 et suivants du code pénitentiaire. Il affirme ainsi qu'une telle mesure de placement en QLCO est conforme à l'objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions.
Il examine ensuite, très concrètement, les conditions d'affectation en QLCO et juge qu'elles sont suffisamment précises. C'est ainsi que les personnes doivent impérativement avoir été condamnées pour des faits liés à la criminalité organisée et avoir conservé des liens avec elle durant leur détention. La procédure, quant à elle, repose sur une décision du ministre de la Justice prise après avis du juge d'application des peines et respect du contradictoire. Enfin, le Conseil constitutionnel observe que ce placement connaît une limite temporelle d'un an, même si le renouvellement est possible, en respectant une procédure identique. De tous ces éléments, le Conseil constitutionnel déduit que le placement en QLCO ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la personne détenue. A ses yeux, les restrictions au régime de l'incarcération de droit commun ne dépassent pas ce qui est strictement nécessaire au respect de l'objectif de lutte contre la criminalité organisée.
La simple lecture de la décision du Conseil constitutionnel laissait donc présager le rejet du recours déposé par le Syndicat des avocats pénalistes. Le décret du 8 juillet 2025 se borne en effet à décliner les dispositions législatives en les adaptant aux exigences concrètes de l'incarcération, notamment à Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe. Le Conseil d'État observe ainsi que les motifs du placement en QLCO ont déjà été validés par le Conseil constitutionnel, et que le décret ne les modifie en rien. Et il constate que les restrictions apportées, fouilles, parloirs séparés, téléphonie restreinte, s'analysent comme des aménagements nécessaires à la lutte contre la criminalité, reprenant ainsi, presque mot pour mot, le raisonnement du Conseil constitutionnel.
L'avis du Conseil d'État
Le rejet du recours était encore plus prévisible à la lecture de l'avis du Conseil d'État préalable à la rédaction du décret. Daté du 19 mars 2025, cet avis posait les bornes du dispositif, en insistant sur l'objectif général d'empêcher les organisations criminelles de continuer leurs activités à distance, notamment par une vigilance particulière en matière d'usage des moyens de télécommunication. Il demandait en outre un ciblage précis des individus les plus dangereux, et la recherche d'un équilibre entre la sécurité et le maintien des liens familiaux. Comme bien souvent, le Conseil d'État statuant au contentieux se réfère directement à l'avis du Conseil d'État dans sa formation administrative. Cette dualité est évidemment dérangeante, comme toujours, mais elle permettait en l'espèce, de prévoir le rejet du recours.
Les problèmes liés au QLCO sont-ils tous résolus par cette belle unanimité entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ? Sans doute pas, car ce régime d'incarcération va certainement être à l'origine de nombreux contentieux. Les décisions de placement et de renouvellement seront systématiquement contestées et les juges devront définir l'étendue de leur contrôle. Sur un plan plus large, on peut aussi s'interroger sur la fiction juridique qui consiste à admettre, et même à encourager, la spécialisation carcérale, tout en affirmant que ces régimes d'incarcération relèvent du droit commun. L'incarcération risque ainsi d'apparaître comme une sorte de mosaïque de régimes juridiques.


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