« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 23 octobre 2025

L'application de la charte de la laïcité


La cour administrative d'appel (CAA) de Douai affirme, le 17 octobre 2025, la légalité du refus de la caisse d'allocations familiales (CAF) d'accorder une subvention au Patronage Saint Roch, centre de loisirs pour enfants. Elle confirme sur ce point un jugement du tribunal administratif d'Amiens qui avait refusé d'annuler le rejet par la CAF du recours gracieux déposé par le Patronage le 4 avril 2024.

Concrètement, il s'agit d'une "prestation de service ordinaire" dont l'objectif est de faciliter l'accès des familles à ces centres afin de permettre une meilleure conciliation de la vie professionnelle et familiale.

Les conditions d'octroi de la prestation sont définies par une lettre-circulaire du 10 décembre 2008. Elle précise que son versement est conditionné au respect d' « une ouverture et un accès à tous visant à favoriser la mixité sociale » et à « la production d'un projet éducatif obligatoire, répondant à un principe de neutralité philosophique, syndicale, politique et religieuse ».

 

La charte de la laïcité

 

En outre, toute association sollicitant une subvention publique s'engage à respecter la charte de la laïcité. Dans le champ de compétence de la CAF, une circulaire de son directeur général, datée du 7 novembre 2017, énonce que "le principe d'ouverture à tous doit être affirmé et que l'effectivité de sa mise en oeuvre doit être démontrée, quelle que soit l'appartenance philosophique, politique, spirituelle ou confessionnelle". Si les activités de caractère religieux ne sont pas interdites, elles doivent être définies et quantifiées afin qu'elles conservent un "caractère accessoire".

Ces dispositions reflètent l'élargissement de la Charte de la laïcité. On se souvient que celle-ci a été initiée avec la charte de la laïcité à l'école, présentée le 9 septembre 2013 par le ministre de l'Éducation nationale, à l'époque Vincent Peillon. L'objet est d'expliquer et de faire vivre la laïcité dans les établissements publics, en rappelant ses principes fondamentaux, notamment le fait que "nul ne peut se prévaloir de sa religion pour ne pas se conformer aux règles de l'école". Une circulaire du 6 septembre 2013 exige qu'elle soit affichée dans tous les établissements scolaires publics.

Par la suite, la Charte a été multipliée ou plutôt déclinée dans l'ensemble des services publics. Dans le cas des CAF, elle a été adoptée en 2017 et mise en place en 2018. Elle impose la neutralité du service, et s'applique aussi bien aux agents publics qu'aux partenaires subventionnés participant au service public, centres sociaux, associations familiales, relais d'aide à la parentalité etc.

 


Le catéchisme. Hélène Delaroche. Circa 1930 

 

Un principe général de neutralité

 

Le Patronage Saint Roch ne répond pas réellement aux exigences de ce dispositif. La structure, étroitement liée au diocèse d'Amiens, est gérée par des membres du clergé, qui sont membres de droit de l'association et ont un droit de veto sur toutes ses décisions. Dans son objet social, elle propose aux jeunes une pratique religieuse sous forme de temps de prière, de catéchisme, de célébrations diverses dans l'église attenante au Patronage. Certes, les derniers documents communiqués au juge mentionnent que ces activités sont désormais limitées à 25 % des activités proposées, mais elles demeurent un élément de l'identité même du centre de loisirs. Elles figurent d'ailleurs dans toute sa communication externe. De tous ces éléments, la cour administrative d'appel déduit que la CAF n'a pas commis d'erreur manifeste en refusant la subvention, dès lors que le principe de neutralité n'est pas respecté. 

La décision rendue par la CAA de Douai n'est évidemment par surprenante. Elle témoigne du fait que la charte de la laïcité, ou plutôt les chartes de la laïcité, ne sont que la réaffirmation des principes posés par la loi de Séparation du 9 décembre 1905. Son article 2 mentionne que "la République ne subventionne aucun culte". Certes, cela n'empêche pas une subvention aux activités non religieuses d'un organisme à caractère confessionnel, et l’on a vu le Conseil d’État admettre, dans un arrêt du 4 mai 2012, la subvention d’un colloque par la ville de Lyon, alors même qu’il était prévu d’interrompre les travaux pour permettre aux participants de remplir leurs devoirs religieux. Mais le sujet du colloque n’était pas spécifiquement religieux, et réunissait des intervenants de différentes confessions.

Tel n'est pas le cas dans la décision de la CAA de Douai, car les enfants accueillis au Patronage Saint Roch baignaient dans une ambiance religieuse qui était l’objet même de leur présence, leurs parents ayant choisi de leur donner cette éducation. De fait, il était parfaitement impossible à la CAF de dissocier les activités religieuses et non religieuses, de subventionner les unes sans subventionner les autres. Le principe de neutralité interdit donc toute subvention publique, le financement du Patronage devant ainsi être pris en charge par le diocèse et les parents des enfants qui y sont accueillis.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire