Invité de l'émission "On est en direct" animée par Léa Salamé et Laurent Ruquier le 11 septembre 2021, Éric Zemmour a déclaré que s'il était élu Président de la République, il interdirait "les prénoms non-français comme Mohammed". "On pourra toujours le donner en deuxième prénom" a-t-il précisé. Il invoquait même un fondement juridique en ajoutant : "Je rétablis la loi de 1803".
La loi du 2 avril 1803
Éric Zemmour présente ce texte du 11 Germinal an XI comme imposait le choix de prénoms français. En réalité, il était relativement libéral et autorisait "les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus dans l'histoire ancienne".
La référence aux "différents calendriers" ne renvoie donc pas uniquement au calendrier des saints catholiques, comme semble le penser Éric Zemmour. En 1803, est même particulièrement visé le charmant calendrier révolutionnaire de Fabre d'Églantine. Dans un arrêt du 10 juin 1981, la Cour de cassation a ainsi cassé une décision de l'officier d'état civil refusant le prénom de Cerise figurant dans le calendrier de 1794. Une autre décision du tribunal judiciaire de Paris a admis le prénom de Bergamote le 8 juillet 1975.
La possibilité d'utiliser "l'histoire ancienne" pour choisir un prénom offre également un large choix. Sous le Consulat, il est clair que le législateur songeait aux prénoms bibliques et inspirés de l'Antiquité gréco-romaine. A l'époque, une liste fut publiée pour aider les heureux parents. Ils étaient alors autorisés à appeler leur fils Dorymédon ou Théopompe, et leur fille Cuthburge ou Golinduche. Par la suite, la jurisprudence a élargi le corpus à l'ensemble des périodes historiques, et les juges ont admis des prénoms tirés de l'histoire russe ou américaine, avec notamment un Jefferson admis par la cour d'appel d'Angers le 14 septembre 1992.
Même sous l'empire de la loi de 1803, rien ne permet de penser que le prénom de Mohammed, celui-là même qu'Éric Zemmour veut interdire, aurait été considéré comme illicite. Si l'on considère la référence aux "différents calendriers", les juges ont volontiers admis la référence au calendrier grégorien pour admettre le prénom de Tatiana. Il est vrai qu'il n'existe pas de "calendrier" musulman, énumérant une liste d'un prénom par jour et il est clair que le législateur de 1803 n'avait pas envisagé cette hypothèse. Mais discriminer la population musulmane au motif qu'elle n'a pas de "calendrier" conduirait non seulement à une rupture d'égalité mais aussi à une atteinte au principe de laïcité.
De manière encore plus simple, il serait possible de considérer Mohammed comme une référence historique et culturelle. Au XIXè s., contrairement à ce qu'affirme Éric Zemmour, il n'était pas interdit de choisir un prénom dans des cultures extra-européennes. Un Président de la République a même été baptisé Sadi, parce que son grand-père, Lazare Carnot, était un grand admirateur du poète persan Saadi. Et, à l'époque, personne n'a songé à protester.
La loi actuelle : l'intérêt de l'enfant
Éric Zemmour reconnaît bien volontiers que la loi du 11 Germinal an XI a été abrogée, puisqu'il désire la remettre en vigueur. S'il était élu, il devrait pourtant composer avec le parlement, car le droit actuel, issu de la loi du 8 janvier 1993. Elle repose sur le libre choix des parents, et il appartient à l'officier d'état civil d'avertir le parquet si le prénom est de nature à nuire à l'enfant ou à porter atteinte aux droits des tiers. Dans ce cas, ce sera au juge aux affaires familiales de se prononcer. Cette procédure est détaillée dans la circulaire du 3 mars 1993.
La loi consacre donc une liberté du choix du prénom, liberté qui ne connaît de limite que dans les droits de l'enfant ou les droits des tiers. De fait, les cas de refus d'un prénom sont extrêmement rares. La Cour de cassation, le 5 juin 1993, a ainsi écarté Ravi et la Cour d'appel de Rennes, le 4 novembre 1996 a refusé Folavril. On pourrait aussi citer Assedic, Exocet ainsi que Babord et Tribord pour des jumeaux, que les juges ont épargné à des malheureux enfants. D'une manière générale, ce sont donc les prénoms ridicules qui sont écartés, ceux qui risquent de causer à ceux qui les portent un préjudice très lourd. C'est ainsi que la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 février 2012, a interdit l'usage du prénom Titeuf, directement inspiré d'une bande dessinée. L'intervention du juge est donc perçue comme exceptionnelle, destinée à protéger l'enfant contre la stupidité de ses parents.
En revanche, les prénoms d'origine régionale ou étrangère ne sont pas prohibés. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 octobre 2019 a même jugé irrecevable le pourvoi du parquet contestant l'existence d'un tilde au-dessus du n du prénom breton Fanch. Le prénom Mohammed est donc, dans l'état actuel du droit, parfaitement licite. C'est même ce que conteste Éric Zemmour, en voulant revenir au droit du Consulat qu'il suppose plus conforme à ses convictions. Un passé mythique, reconstruit, réécrit, n'est-il pas toujours préférable aux dures réalités du temps présent ?
Quoi qu'il en soit, les propos d'Éric Zemmour ont mis en lumière l'existence d'une liberté du choix du prénom. La Cour européenne des droits de l'homme considère ainsi qu'elle relève de la vie privée, depuis un arrêt Guillot c. France du 24 octobre 1996. A l'époque, mais il s'agissait du droit antérieur à 1993, la CEDH avait toutefois admis le refus par l'état civil français du prénom Fleur-de-Marie, affirmant toutefois que la liberté des parents ne subissait pas une atteinte excessive, dès lors que rien ne leur interdisait de l'utiliser dans la vie quotidienne, comme prénom d'usage. Dans l'état actuel du droit, la liberté du choix du prénom demeure donc législative. Doit-on espérer qu'Éric Zemmour soit élu, pour que la loi soit modifiée et que la question soit déférée au Conseil constitutionnel, s'il existe encore ?