L'association requérante s'est plainte en effet, de n'avoir pas été invitée, en 2010, à participer aux "talk-shows" programmés sur les trois chaînes du service public, alors même que les représentants d'autres tendances politiques avaient largement pu s'y exprimer. Comme en France avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il existe en Italie une autorité administrative indépendante dont la mission est notamment de surveiller le respect du pluralisme des courants d'opinion. A la différence du système français, l'AGCOM ("Autorità per le garanzie nelle comunicazion" reçoit des directives d'une commission parlementaire. Cette "Commission de vigilance", en décembre 2002, a donc adopté une résolution encadrant les émissions de communication politique diffusées par la RAI hors période électorale. Elle impose une programmation équitable de toutes les opinions politiques représentées au parlement national et au parlement européen.
Sur cette base, l'association requérante a donc saisi l'AGCOM et s'est heurtée à un classement sans suite. Sur recours devant le tribunal administratif, elle a obtenu l'annulation de cette décision. Mais elle a ensuite saisir une nouvelle fois l'AGCOM, car les chaînes refusaient d'exécuter la décision de justice. Un nouveau classement sans suite a enfin entraîné un nouveau recours. Finalement, en 2013, l'association requérante a obtenu une injonction de l'AGCOM imposant à la RAI une participation des Radicaux aux émissions politiques. Mais deux des émissions concernées ne figuraient plus dans la grille des programmes et aucune solution de "rattrapage" n'a été proposée aux intéressés.
Le recours devant la CEDH invoque ainsi une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit la liberté d'expression. La CEDH donne satisfaction à l'association requérante et sanctionne la procédure pour atteinte au principe de pluralisme des courants d'opinion.
Le respect du pluralisme des courants d'opinion
Sur ce point, l'arrêt se situe dans la droite ligne d'une jurisprudence ancienne. La CEDH rappelle régulièrement qu'il n'est pas de démocratie sans pluralisme, notamment dans l'arrêt de Grande chambre du 7 juin 2012 Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie. Aux yeux de la Cour, les médias audiovisuels doivent être particulièrement respectueux de ce principe "en raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l’image", principe affirmé en particulier dans la décision Pedersen et Baadsgaard c. Danemark du 17 décembre 2004.
D'une manière générale, la CEDH sanctionne toute forme d'atteinte au pluralisme des courants d'opinion. Elle peut, par exemple, résulter de la concentration économique qui porte atteinte à la liberté éditoriale des organes de presse et de communication. Mais elle peut aussi être le fruit d'une absence de contrôle sur les programmes. Dans tous les cas, il appartient donc à l'État de garantir l'accès du public à une information impartiale et à une pluralité d'opinions et de commentaires. Il est donc présenté comme l'ultime garant du respect de ces obligations, conformément à la jurisprudence Manole et a. c. Moldavie du 13 juillet 2010. Il lui appartient ensuite de définir les moyens d'y parvenir, avec ou sans service public de la télévision, avec ou sans autorité indépendante.
Dans l'affaire Associazone Polictica Nazionale Lista Marco Pannella c. Italie, il est clair que l'État italien a failli à son obligation. Non seulement, le pluralisme des courants d'opinion n'a pas été respecté, mais l'institution de contrôle a failli à sa mission et la RAI a longtemps refusé d'exécuter les décisions de justice.
Voutch. 2015
Haro sur les petits partis
Pour les lecteurs français, c'est précisément ce point qui est intéressant, car la CEDH mentionne avec netteté que "l’AGCOM s’est montrée excessivement formaliste". Or, l'accès à l'antenne est organisé en Italie selon des règles très proches de celles qui existent en France.
Depuis la loi du 25 avril 2016, la période de stricte égalité entre les candidats à des élections nationales est limitée aux deux dernières semaines avant le scrutin. Durant la période précédente dont
on ne sait d'ailleurs pas quand elle commence, c'est l'équité qui
doit dominer, notion qui figure dans l'article 4 du texte. Elle renvoie
à l'idée que l'exposition médiatique de chaque parti doit être
proportionnée à son audience. Aux termes de la loi, il appartient donc au
CSA de veiller à ce traitement "équitable", à partir de la
représentativité de chaque candidat et de sa "contribution à l'animation du débat électoral".
La représentativité de chaque candidat est appréciée par le CSA à
partir de deux critères. D'une part, ses résultats aux élections
précédentes, critère qui repose sur une analyse du passé et non pas du
présent. D'autre part, les sondages utilisés pour apprécier l'état
actuel de l'opinion. Cette confiance accordée aux sondages peut
surprendre, du moins si l'on considère les erreurs relativement
nombreuses qu'ils ont faites sur les résultats estimés de certaines
consultations électorales. Surtout, le législateur confère aux sondages
un rôle tout-à-fait extraordinaire : il ne sont plus le reflet, toujours
imparfait, de l'opinion, mais l'instrument utilisé pour créer
l'opinion. Ce ne sont plus les médias qui suivent l'élection, mais
l'élection qui suit les médias.
Précisément, l'AGCOM italienne s'était livré à une analyse comparable. Elle s'est en effet appuyée sur la distinction que fait le droit italien entre les émissions de "communication politique" et celles "d’information politique" . Les premières ont pour objet la diffusion des opinions et propositions des forces politiques qui participent à la vie parlementaire du pays. La répartition du temps d’antenne doit alors être organisée selon un principe d'égalité. Les secondes, les émissions d' "information politique" correspondent aux "Talk Shows" actuels. Elles traitent de thèmes d’actualité, de société et de politique certaine autonomie. Les chaines conservent alors une certaine autonomie quant au choix des thématiques, des invités et de leur temps de parole. Dans leur cas, la chaine retrouve une autonomie plus grande dans le choix des invités, mais elle doit néanmoins, "représenter de manière équilibrée les différentes opinions politiques ".
Cet "équilibre" est bien proche de l'"équité" française. Et, comme en France, le calcul du temps de parole est effectué avec une bonne foi pour le moins discutable. En l'espèce, l'AGCOM a estimé que les Radicaux italiens étaient suffisamment représentés dans les programmes de la RAI. A l'appui de cette affirmation, elle a produit un calcul brut des temps de parole, ne tenant aucun compte de l'horaire de diffusion ni de la popularité de l'émission. Les Radicaux étaient sans doute invités entre deux et trois heures du matin dans des émissions confidentielles, et ce temps de parole était considéré comme équivalent à la participation à un Talk Show organisé en "Prime Time". La CEDH sanctionne ainsi l'Italie pour la parfaite mauvaise fois opposée par l'AGCOM et la RAI aux demandes du Parti Radical.
La situation est à peine différente en France où les chaines de télévision, publiques comme privées, peuvent désormais se référer à la faiblesse des sondages pour écarter un politique du débat. Le Conseil constitutionnel n'a rien vu de choquant dans ces dispositions, validées dans sa décision du 21 avril 2016. Quant au juge des référés du Conseil d'État il a considérée comme parfaitement normale l'éviction de François Asselineau, Benoît Hamon et Florian Philippot du débat organisé le 4 avril 2019 entre les têtes de listes aux élections européennes. On ne peut que déplorer ce beau consensus des juges français qui considèrent que le pluralisme se définit comme un entre-soi, réunissant ceux qui prétendent "faire l'opinion", au détriment des idées minoritaires. Cette analyse passerait-elle le filtre de la Cour européenne ? On peut désormais en douter, et inciter les petits candidats, les obscurs, les sans-gloire, à saisir les juges européens. En espérant que sa décision interviendra moins de dix ans après les faits, comme dans l'affaire italienne.
Sur la liberté de communication audiovisuelle : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9 section 2, § 2, B
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