Par une ordonnance du 12 février 2021, le juge des référés du Conseil d'Etat prononce la suspension de l'ensemble de l'article 2 de l'ordonnance du 18 novembre 2020, dont l'objet était d'assurer la continuité du service public de la justice durant l'épidémie de Covid. Reposant sur l'état d'urgence sanitaires, il était rédigé en ces termes : "Nonobstant toute disposition contraire, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties". La visioconférence durant le procès pénal sans l'accord des parties a donc vécu.
Les éléments de langage
La présentation de la décision sur le site du Conseil d'Etat se veut édifiante. Il est expliqué que le juge des référés a, en quelque sorte, fini le travail. Après une première ordonnance du 27 novembre 2020, suspendant l'usage de la visioconférence dans les cours d'assises, une seconde ordonnance vient aujourd'hui l'interdire dans les autres audiences, notamment correctionnelles. Il y aurait donc continuité entre les deux décisions, et le communiqué de presse est suffisamment flou pour que le lecteur pense que le juge a été saisi en deux temps, une première fois sur le cas de la cour d'assises, une seconde fois sur celui des tribunaux correctionnels. A chaque fois, il aurait donc protégé les droits de la personne jugée et et les droits de la défense avec la remarquable persévérance d'une institution entièrement dévouée à la protection des libertés.
La réalité est loin d'être aussi gratifiante. Lors de la première ordonnance du 27 novembre 2020, le juge des référés n'était pas saisi du seul cas de la cour d'assises, mais de l'ensemble de l'article 2. Le juge des référés avait donc bien. Considérée en ces termes, la seconde ordonnance du 12 février 2021 s'analyserait plutôt comme un véritable revirement de jurisprudence si l'on pouvait réellement parler de jurisprudence en matière de référé.
Les causes d'une évolution aussi rapide ne doivent pas être recherchées dans l'attachement du Conseil d'Etat aux droits de la défense, mais plutôt dans la puissance d'une décision du Conseil constitutionnel, d'ailleurs citée dans l'ordonnance de référé.
La pénitence de Canossa
Fresque du Bernin. Saint Pierre de Rome
La soumission au Conseil constitutionnel
Par une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 15 janvier 2021, Krzystof B., le Conseil constitutionnel abroge, avec effet immédiat, les dispositions autorisant l'usage de la visioconférence dans le procès pénal, dans toutes les audiences en dehors de celles de la cour d'assises. Certes, la décision porte sur le droit antérieur à celui qui est l'objet de l'ordonnance de référé du 12 février 2021. A l'époque, il s'agissait de la mise en oeuvre de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Aujourd'hui, il s'agit des dispositions issues de l'ordonnance du 18 novembre 2020.
Mais toutes deux ont été adoptées dans le contexte et sur le fondement
de l'urgence sanitaire. Il s'agit en effet de déroger à la procédure de droit commun
prévue par l'article 706-71 du code de procédure pénale. Elle n'autorise le recours à la visioconférence pour les audiences pénales, qu'avec "l'accord de l'ensemble des parties". C'est précisément de cet accord dont l'exécutif entendait se passer, au nom de l'urgence sanitaire.
Dans sa décision du 15 janvier, le Conseil constitutionnel sanctionne
la possibilité d'imposer la visioconférence à toute comparution devant le tribunal correctionnel ou
la chambre des appels correctionnels, ou encore devant les juridictions
spécialisées compétentes pour juger les mineurs
en matière correctionnelle. Il estime excessive l'atteinte aux droits de la défense excessive en l'absence de consentement de la personne poursuivie.
Depuis la décision du 15 janvier 2020, les jours de la visioconférence sans le consentement de l'intéressé étaient comptés. N'importe quel justiciable qui s'était vu imposer cette procédure pouvait désormais faire une demande de référé-liberté, et était assuré d'obtenir la suspension de la décision.
L'article 62 de la Constitution énonce, en effet, que les décisions du Conseil constitutionnel "s'imposent aux pouvoir publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles". Il est vrai que ce texte ne se réfère pas directement à la notion d'autorité de chose jugée. Mais c'est bien en ces termes qu'il est interprété par le Conseil constitutionnel lui-même. En matière électorale d'abord, il a affirmé, le 23 octobre 1987 qu'un recours en rectification d'erreur matérielle "ne met pas en cause l'autorité de chose jugée par le Conseil constitutionnel et n'est dès lors pas contraire aux dispositions de l'article 62 (...)", formule ensuite étendue au contrôle de la constitutionnalité de la loi par la décision du 30 mai 2000.
Le juge des référés s'est donc plié à la décision du Conseil constitutionnel, et a donc pris une ordonnance résolument contraire à celle qu'il avait pris à peine trois mois plus tôt. Dans ce cas précis, c'est donc le Conseil constitutionnel qui apparaît comme protecteur des libertés, et qui est en mesure d'imposer sa décision au Conseil d'Etat. Heureusement, car, depuis l'état d'urgence sanitaire, celui-ci semble considérer la protection des libertés comme un simple élément de langage.