Une femme seule s'est rendue au Canada pour bénéficier d'une GPA. L'enfant a été conçu par fécondation in vitro, à partir des gamètes de deux donneurs, porté ensuite et mis au monde par une mère porteuse. En d'autres termes, la femme qui a eu recours à la GPA n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Conformément au droit canadien, une décision des juges de ce pays l'a déclarée mère légale de l'enfant.
Mais cette filiation n'était valide qu'au Canada. Pour l'établir en France, la mère d'intention a utilisé la procédure judiciaire d'exequatur. Concrètement, il s'agit, pour le juge français, de reconnaître et d'exécuter une décision de justice étrangère. En l'espèce, la requérante a obtenu des décisions favorables des juges du fond, mais le procureur près la Cour d'appel a déposé un pourvoi devant la Cour de cassation. Celle-ci précise deux points essentiels, et oppose ainsi une fin de non-recevoir aux arguments traditionnellement développés par ceux qui veulent sanctionner celles et ceux qui recourent à la GPA en les privant du lien de filiation avec l'enfant né de cette pratique.
L'ordre public international
Le premier moyen développé, d'ailleurs très souvent invoqué, repose sur l'idée que la GPA n'étant pas conforme à l'ordre public français, tous les actes ultérieurs définissant le statut juridique de l'enfant sont, en quelque sorte, entachés d'une illégalité à la fois originelle et définitive.
Il est parfaitement exact que la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français. L’article 16 al. 7 du code civil énonce que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Certes, mais cela ne signifie pas que les juges français de l'exequatur soient tenus de rejeter le jugement d'une juridiction étrangère statuant sur une procédure qui, dans l'État considéré, est parfaitement licite.
Sur ce point, la Cour de cassation fait une distinction claire entre l'ordre public interne et l'ordre public international. Et précisément, celui-ci impose le respect du principe selon lequel l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toutes les décisions le concernant.
Représentation archaïque d'une fécondation in vitraux
Le Chat. Gelück
L'intérêt supérieur de l'enfant
La Cour de cassation a mis du temps à accepter de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant né par GPA. Chaque évolution dans ce domaine a été initiée par la jurisprudence européenne.
La première étape a été la reconnaissance de la filiation du parent biologique avec la célèbre affaire Mennesson. Dans deux décisions du 26 juin 2014 Mennesson c. France et Labassee c. France, la CEDH sanctionne ainsi le droit français qui refusait la transcription de l’état civil de jumelles nées par GPA aux Etats-Unis. Or la GPA avait eu lieu à la demande d'un couple hétérosexuel, le père ayant donné ses gamètes. La filiation avec le père, en l'espèce le père biologique, a finalement été reconnue par la Cour de cassation le 3 juillet 2015.
La seconde étape, plus complexe, est celle de la reconnaissance de la filiation du parent d'intention, celui qui, par hypothèse, n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Dans quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour de cassation ne lui permettait qu'une adoption simple, dont on sait qu'elle ne supprime donc pas tous les liens avec la mère porteuse.
La CEDH, sollicitée pour avis le 10 avril 2019, consacre un droit de ces enfants à la filiation maternelle, mais laisse les États choisir entre la transcription directe dans l’état civil ou l’adoption. S’appuyant sur cet avis, elle précise ensuite, dans un arrêt D. B. c. Suisse du 22 novembre 2022, que ce droit à la filiation doit bénéficier au second parent d’intention, y compris le membre d’un couple homosexuel.
Il est donc désormais acquis, largement grâce à la jurisprudence européenne que la naissance d'un enfant par GPA ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l'étranger tant à l'égard du parent biologique qu'à l'égard du parent d'intention. L'arrêt du 14 novembre 2024 s'analyse ainsi comme un ralliement plein et entier de la Cour de cassation au libéralisme de la jurisprudence européenne.
En témoigne évidemment l'abandon total de la jurisprudence ancienne qui considérait que le parent d'intention devait se contenter d'une adoption simple. La Cour de cassation affirme désormais très clairement que la filiation établie par le jugement d'exequatur ne saurait être assimilé à une adoption. Elle rappelle d'ailleurs qu'aucun principe de droit français ne se trouve heurté par l'absence de lien biologique entre l'enfant et le parent. Les filiations non conformes à la réalité biologiques ont toujours existé, qu'il s'agisse de l'assistance médicale à la procréation avec donneur ou tout simplement de la reconnaissance d'un enfant sans avoir avec lui de lien biologique.
La décision du 14 novembre 2024 est le résultat d'une lente évolution, et l'on connaît les réticences de la Cour de cassation qui a longtemps refusé de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant, préférant considérer que la gestation pour autrui avait pour conséquence l'illicéité de tous les actes postérieurs concernant son statut juridique. Cette application absolutiste de l'adage Fraus omnia corrumpit est aujourd'hui un souvenir déjà lointain. Le dialogue des juges a été fructueux et la Cour de cassation s'est ralliée à la position européenne, d'autant qu'elle reflétait l'évolution des moeurs. La GPA demeure interdite, mais les enfants qui sont nés de cette pratique n'ont pas à en subir les conséquences, leur vie durant. Ce sont eux qui ont gagné le droit de vivre leur vie d'enfant, avec leurs parents, c'est à dire avec ceux qui les élèvent et veillent sur eux.