Ces deux décisions ont pour point commun de concerner l'islam radical, le salafisme. Dans le premier cas, le Conseil d'État refuse de suspendre dissolution administrative visant une association Jonas Paris qui dispense un enseignement religieux salafiste. La seconde décision refuse quant à elle de suspendre l'expulsion en urgence absolue de l'imam de Pessac, qui tenait dans ses prêches des propos particulièrement discriminatoires.
La dissolution de l'association
Les pouvoirs publics disposent aujourd'hui de plusieurs fondements juridiques pour dissoudre un groupement salafiste. Il est apparu en effet indispensable d'élargir le champ de l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure qui est issu de l'ancien décret loi du 10 janvier 1936. Après le 6 février 1934, le but était, à l'époque, de permettre la dissolution des ligues armées et des milices, qui utilisaient la lutte armée pour lutter contre la "forme républicaine du gouvernement".
Aujourd'hui, ce texte est élargi avec un motif de dissolution repose sur la "provocation ou la contribution à la discrimination", quel que soit finalement le type de discrimination, raciale, sexuelle, religieuse etc. Justifie également une dissolution la "propagation des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination". Dans un arrêt du 15 décembre 2017 Assoc. des musulmans de Lagny, le Conseil d'État confirme ainsi la légalité de la dissolution d'une association qui prônait le rejet des valeurs de la République, l'hostilité à l'égard des chrétiens et des chiites.
L'arrêt rendu le 17 septembre 2024 s'inscrit dans cette même logique, Le juge des référés note que les messages mis en ligne par Jonas Paris, ainsi que les cours qu'elle dispense aux jeunes musulmans, prônent la pratique de la loi du talion, la soumission de la femme à son conjoint, la peine de mort pour des relations homosexuelles. Quant aux livres recommandés aux élèves, ils appellent au meurtre des juifs et des chrétiens. Déjà, dans une ordonnance du 22 novembre 2018, le juge des référés justifiait la fermeture du "Centre Zahra" à la Grande Scynthe, où se tenaient des "prêches, des propos tendant à légitimer la lutte armée", et où était mis en oeuvre un "endoctrinement de la jeunesse", en particulier par la mise à sa disposition d'ouvrages antisémites.
Le juge des référé estime en conséquence que le décret de dissolution de Jonas Paris n'a pas à être suspendu, conformément à toute la jurisprudence antérieure.
L'expulsion de l'imam de Pessac
La seconde décision du 17 septembre 2024, celle qui refuse la suspension de l'expulsion en urgence absolue de l'imam de Pessac, s'inscrit, elle aussi, dans une jurisprudence bien connue.
On observe que la procédure utilisée est celle de l'expulsion en urgence absolue prévue à l'article 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Elle dispense l'administration de certaines formes et procédures, et notamment de la comparution de l'intéressé devant la commission départementale d'expulsion. En revanche, les étrangers concernés sont ceux, et seulement ceux, qui ont des "comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, dont la violation délibérée et d'une particulière gravité des principe de la République ou (...) constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes". Dans ce cas, il devient possible d'expulser une personne, même titulaire du statut de réfugié, même implantée en France depuis très longtemps (depuis vingt ans, ou depuis l'âge de treize ans).
Ces règles incitent le juge à exercer un contrôle approfondi, car l'administration peut être tentée d'utiliser la procédure d'urgence absolue pour éloigner des personnes qui ne sont pas spécialement dangereuses, mais qui sont installées en France depuis une durée qui interdit l'expulsion de droit commun.
Tel est le cas de l'imam de Pessac, dont la commission départementale avait refusé l'expulsion selon la procédure de droit commun le 31 mai 2024. Cette décision était juridiquement fondée, dès lors que l'intéressé résidait en France depuis plus de vingt ans. L'administration s'est alors tournée vers la procédure d'urgence absolue.
Le juge des référés examine donc avec une attention particulière les motifs invoqués. Sa jurisprudence l'y incite. Il recherche notamment quels sont les "intérêts fondamentaux" menacés par la présence de l'étranger sur le territoire. Dans un arrêt Chibani du 20 juillet 1998, il estimait déjà que des liens avec des mouvements terroristes, même sans passage à l'acte, suffisent à caractériser cette menace.
Le législateur a peu à peu élargi le nombre des motifs susceptibles de justifier l'expulsion en urgence absolue. Cette procédure a été récemment utilisée à l'égard de l'imam Iquioussen qui tenait des propos antisémites et qui avait toujours prôné "la soumission de la femme à l'homme". L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 30 août 2022 confirme ainsi que la "provocation à la discrimination" s'applique aussi aux femmes.
La décision du 17 septembre 2024 s'appuie sur des motifs qui constituent une combinaison des jurisprudences antérieures. D'une part, il est reproché à l'imam d'avoir justifié des actes terroristes en critiquant notamment l'action de la France au Sahel et spécialement au Niger, pays dont il est ressortissant. D'autre part, depuis le 7 octobre 2023, il a tenu des propos de nature à inciter à la radicalisation et à la commission d'actes antisémites. De cette décision, on peut donc déduire que l'expulsion en urgence absolue est une procédure utile dans la lutte contre un islam radical qui développe des discours antisémites.
Bien entendu, il convient de relativiser l'impact de cette procédure. Elle ne concerne, à l'évidence, que les personnes de nationalité étrangère et l'on sait que l'imam Iquioussen comme l'imam de Pessac n'avaient pas adopté la nationalité française alors qu'ils demeuraient depuis très longtemps en France. En outre, cette procédure n'est efficace que si les autorités du pays de renvoi acceptent de délivrer le visa de retour, ce qui n'est pas toujours le cas. L'expulsion en urgence absolue se heurte ainsi aux réalités politiques.
Cela n'empêche pas de constater un réel renforcement des moyens juridiques de nature à lutter contre le salafisme. Certes, on objectera que des associations dissoutes peuvent se reconstituer de manière plus ou moins occulte, que des personnes expulsées peuvent revenir clandestinement ou être remplacées dans leurs fonctions par d'autres extrémistes. Mais l'existence même de ces procédures permet d'identifier les intéressés, de dissuader ceux qui voudraient courir les mêmes risques, et surtout d'affirmer une volonté politique de lutter contre le fondamentalisme religieux.