L'arrêt Pasquallini et autres c. San Marin, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme CEDH) le 28 août 2024 présente la particularité d'être l'une des très rares décisions concernant un micro-État qui n'est que très rarement mis en cause devant la justice européenne. En 2023, la CEDH a rendu seulement douze décisions concernant San Marin, onze d'irrecevabilité, et une constatant l'absence de violation de la Convention européenne des droits de l'homme. L'arrêt Pasquallini est aussi un constat de non-violation, concernant cette fois le sujet particulièrement débattu de la vaccination obligatoire.
En l'espèce, il s'agit de la vaccination obligatoire des personnels de santé imposée par le droit san marinois lors de l'épidémie de Covid 19, obligation contestée par les requérants, d'abord vainement devant les tribunaux internes. Certes, la loi se montrait plutôt bienveillante, ne prévoyant la suspension temporaire des personnels refusant le vaccin qu'en dernier recours, dans l'hypothèse où il n'était pas possible de les affecter dans un service où ils ne seraient pas en contact avec le public. Mais les requérants voyaient dans la vaccination obligatoire une discrimination et une ingérence abusive de la personne publique dans la sphère privée.
Le principe de non-discrimination
Le principe de non-discrimination est rapidement écarté, dès lors que la vaccination obligatoire ne concerne que certains professionnels de santé, finalement en petit nombre par rapport à l'ensemble de la population. Ce traitement différencié se justifie par le fait que les personnes non vaccinées présentent un risque plus grand pour elles-mêmes et pour autrui et que les mesures préventives de port du masque et de distanciation ne sont pas suffisantes pour faire disparaître tout risque de contamination.
L'essentiel de la décision est donc consacré à l'atteinte à l'article 8 de la convention européenne, elle aussi écartée par la Cour. Ce faisant, elle rejette l'argument essentiel du mouvement "antivax" qui considère que la liberté individuelle implique le droit de ne pas être vacciné, quand bien même cette pratique serait dangereuse pour autrui.
Le Conseil constitutionnel
En droit français, cet argument a été écarté par le Conseil constitutionnel bien avant l'épidémie de Covid, dans une question prioritaire de constitutionnalité du 20 mars 2015. A l'époque, les requérants étaient des parents refusant la vaccination des enfants contre la diphtérie, la poliomyélite et le tétanos. Ils ne contestaient pas les articles L 3111-1 à L 3111-3 du code de la santé publique (csp) imposant ces vaccins, mais l'article 227-17 du code pénal qui punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende "le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur". Bien entendu, la QPC ne pouvait qu'être rejetée car le code pénal sanctionne ici l'ensemble les carences dans l'exercice de l'autorité parentale, et non pas le seul manquement à l'obligation vaccinale. Le plus important dans cette décision réside dans l'affirmation du Conseil, selon laquelle "il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective".
Astérix chez les Helvètes. René Goscinny et Albert Uderzo. 1970
L'ingérence dans la vie privée
Dans son arrêt du 24 août 2024, la CEDH ne raisonne pas différemment. Elle reconnait évidemment que le fait d'imposer une vaccination emporte une ingérence dans la vie privée des personnes, quand bien même les conséquences de cette mesure seraient surtout visibles dans leur activité professionnelle. En l'espèce, les intéressés ont été suspendus dans l'exercice de leurs fonctions. Mais, dans l'arrêt du 17 décembre 2020 Mile Novaković c. Croatie, la CEDH reconnait que la suspension des fonctions a un impact incontestable sur la vie privée. En l'espèce, il s'agissait d'une mesure de mise à la retraite d'un professeur serbe accusé de ne pas savoir enseigner dans la langue croate, mais mutatis mutandis la situation est sensiblement identique.
La Cour doit s'interroger ensuite sur le caractère excessif de l'ingérence dans la vie privée des personnes. Sur ce point, la situation des requérants ne devait guère les inciter à l'optimisme. L'arrêt de Grande Chambre Vavricka et autres c. République tchèque rendu le 8 avril 2021 affirme en effet que l'obligation légale de vacciner les enfants ne porte pas atteinte au droit à la vie privée. Sans nier que la vaccination obligatoire emporte une ingérence dans la vie privée, elle estime que cette ingérence est "nécessaire dans une société démocratique", c'est-à-dire qu'elle "répond à un besoin social impérieux". La Cour ajoute même que les États sont les mieux placés pour apprécier le contexte de l'obligation vaccinale.
Un échec des Antivax
L'arrêt est daté du printemps 2021, en pleine épidémie de Covid. Même s'il porte sur les vaccins des enfants, certains passages semblent directement viser la pandémie : ""Lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l’obtention et la préservation de l’immunité de groupe, ou que l’immunité de groupe n’est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie (...), les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves".
La décision Pasquallini s'inscrit dans cette jurisprudence justifiant la vaccination obligatoire non plus des enfants mais des professionnels de santé. Elle repose aussi sur la décision Fenech c. Malte du 1er mars 2022, dans laquelle la CEDH prenait acte de la gravité des conséquences de l'épidémie de Covid et de la nécessité de prendre des mesures adaptées à la situation pour préserver autant que possible la santé de l'ensemble de la population. L'absence de toute mesure dans ce domaine pourrait en effet conduire l'État à une violation de l'article 2, qui garantit le droit à la vie.
L'arrêt Pasquallini confirme ainsi que le États peuvent légitimement imposer une obligation vaccinale pour des motifs de santé publique. La CEDH inflige ainsi un nouveau revers au groupe des "Antivax" qui ont introduit de multiples recours au motif que le vaccin porte atteinte à leur liberté individuelle, la santé des tiers n'étant pas considérée comme un élément susceptible d'être pris en considération. En droit français cependant, cette jurisprudence ne présente qu'un intérêt résiduel. En effet, en 1789, bien avant l'épidémie de Covid, les auteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen avaient déjà rédigé un article 4 d'une admirable concision : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui".
Il arrive parfois à la CEDH de raisonner objectivement et non pas en fonction de critères d'opportunité politique comme dans le cas d'espèce que vous analysez avec précision. Ce qui lui permet de maintenir un minimum de crédibilité dans un temps où les citoyens font preuve d'une défiance croissante non seulement à l'égard des juridictions nationales mais aussi, et de plus en plus, à l'égard des juridictions européennes (CEDH, CJUE).
RépondreSupprimerCeci étant dit, livrons-nous à un exercice de science-fiction (pas tant que cela) tout en ne remettant pas en question le principe de la vaccination contre le Covid (nous avons été vaccinés quatre fois) ! Ici et là, quelques scientifiques sérieux nous mettent en garde contre les effets secondaires de long terme des vaccins à ARN messager. Quid si leurs prévisions s'avéraient confirmées par la réalité ? Quid de la jurisprudence nationale et européenne en cas de multiplication de séquelles importantes sur des tranches significatives de population et de multiplication des actions collectives devant les tribunaux ? Qui attaquer les gouvernements ou les laboratoires ? Un vaste champ de réflexion pour les juristes.
Affaire à suivre dans les prochains mois et les prochaines années ...