Le 28 novembre 2025, lors d'un échange à Mirecourt avec des lecteurs de la presse quotidienne régionale, le Président Macron a évoqué la création d'une nouvelle procédure de référé. Elle aurait pour objet de bloquer en urgence la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux.
Les lecteurs de Liberté Libertés Chéries savent qu'un tel dispositif existe déjà, et que la procédure s'est révélée, à l'usage, d'une totale inefficacité. Ce n'est pas une difficulté pour le Président de la République qui pense que, pour lutter contre l'inefficacité d'une procédure, il suffit d'en élargir le champ d'application.
Premier référé inefficace, en matière électorale
Le référé Fake News existe déjà, et avait fait l'objet d'une annonce à peu près identique, lors des voeux du Président de la République à la presse, en janvier 2018. Le projet s'était ensuite concrétisé par la loi du 22 décembre 2018 déclarée conforme à la constitutionnel par le Conseil constitutionnel le 20 décembre.
Ce texte a un champ d'application étroit, limité aux Fake News intervenant en période électorale. L'article L 163-2 du code électoral définit donc un référé spécifique pour faire cesser la diffusion en ligne d'"allégations ou imputations factuelles, inexactes ou trompeuses". Le juge des référés se prononce alors dans les 48 heures après sa saisine. Concrètement, le référé n'est pas réellement dirigé contre les auteurs de fausses nouvelles, difficilement identifiables sur internet. Il vise plutôt les hébergeurs et les plateforme auxquels il est enjoint de retirer les contenus inexacts.
Sur le papier, la procédure peut sembler attractive, mais force est de constater qu'elle s'est révélée d'une totale inefficacité. Pour témoigner de son existence, on cite généralement la décision rendue par le tribunal judiciaire de paris le 17 mai 2019. Encore s'agit-il d'une décision de rejet.
Était en cause un tweet de Christophe Castaner annonçant que des manifestants avaient "attaqué" un service de réanimation après avoir pénétré dans un établissement hospitalier. Or si l'intrusion dans l'hôpital était un fait établi, il n'en était pas de même de l'"attaque" du service de réanimation qui n'avait jamais été menacé. A l'époque, le référé de la loi du 22 décembre 2018 avait été utilisé, car on se trouvait précisément en période électorale, en l'espèce des élections européennes.
Mais le juge avait appliqué les conditions étroites définies par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2018. Il avait d'abord considéré que, si les faits étaient exagérés, ils n'étaient pas totalement faux, dès lors que les manifestants avaient bien pénétré dans l'enceinte hospitalière. Il avait ensuite noté que le tweet ne provenait pas d'un compte sous pseudonyme et que sa diffusion n'avait pas été amplifiée par des robots (bots). Enfin, de cette absence d'effet amplificateur, il avait déduit que le tweet n'était pas de nature à troubler la sincérité du scrutin. Ces conditions très rigoureuses ont conduit à la paralysie de la procédure de référé Fake News de la loi de 2018.
You lie. Banksy. 2015
Vers un second référé inefficace
Aujourd'hui, Emmanuel Macron propose tout simplement de sortir ce référé du carcan du code électoral. Il reste à se demander si l'élargissement d'une procédure qui ne sert à rien améliorera son efficacité. Rien n'est moins certain.
On peut d'abord remarquer que cette nouvelle procédure de droit commun est superflue. Le droit de la presse, issu de la célèbre loi de 1881 contient déjà des instruments éprouvés pour lutter contre les fausses nouvelles. Parmi ceux-ci, la diffamation, sanctionne précisément la diffusion de faits inexacts, la personne attaquée pouvant d'ailleurs se défendre en invoquant l'exception de vérité. Plus généralement, un référé de droit commun se heurterait à la logique qui est celle du droit de la presse et qui consiste à protéger, autant que possible, la liberté d'expression. Pour éviter que le référé se transforme en un outil de censure préalable instrumentalisant les juges à cette fin, ils n'auront pas d'autre choix que de réaffirmer les conditions très étroites de mise en oeuvre déjà mentionnées pour le référé électoral, d'autant que ces conditions ont été confirmées dans les réserves formulées par le Conseil constitutionnel en 2018.
Sur un plan plus procédural, les demandeurs se heurteront à des difficultés probatoires. Ils devront démontrer la fausseté des faits rapportés, prouver le caractère artificiellement boosté de la diffusion, prouver enfin l'imminence et la gravité des dommages causés. Toutes ces contraintes laissent penser que ce second référé Fake News connaîtrait le même néant contentieux que son prédécesseur. A cela s'ajoute, bien entendu, le risque, bien réel, que la Cour européenne des droits de l'homme considère cette procédure comme constituant une ingérence excessive dans la liberté d'expression. Elle a en effet tendance à sanctionner l'effet dissuasif que pourrait avoir un tel référé dans son exercice.
Les deux référés, celui de 2018 en matière électorale, et celui, généralisé, que propose aujourd'hui le Président de la République présentent un autre point commun. Les deux sont en effet le résultat d'une démarche dominée davantage par l'affect que par la raison. En 2018 déjà, Emmanuel Macron avait été très irrité par une série de Fake News diffusées pendant la campagne présidentielle de 2017, portant aussi bien sur sa sexualité que sur l'existence supposée d'un compte offshore aux Bahamas. Aujourd'hui, et le Président ne s'en cache pas, c'est la Fake News ayant visé Brigitte Macron qui motive cette seconde annonce d'une généralisation du référé. Mais les auteurs et diffuseurs de ces rumeurs se sont retrouvés devant le tribunal correctionnel, ce qui montre que le droit pénal dispose déjà d'excellents outils pour punir ce type de cyberharcèlement.
En tout état de cause, Emmanuel Macron aurait sans doute mieux fait de s'abstenir. La loi n'est jamais bonne lorsqu'elle a pour but de résoudre un problème personnel, fût-ce t-il celui du président de la République.
Les Fake News : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9 section 1 § 1 C











