« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 30 septembre 2019

4e Journée des Libertés : La télévision : les libertés en images


Le 17 octobre 2019, aura lieu en Sorbonne (Salle Louis Liard) la 4è Journée des Libertés, co-organisée par le Centre d'histoire du XIXe s de Sorbonne Université et le Centre Thucydide de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2). L'objet de ces journées est d'étudier une liberté à travers le prisme des différentes disciplines des sciences humaines : histoire, droit, relations internationales, sciences de l'information etc. C'est aussi un rendez vous annuel pour ceux qui étudient les libertés, ceux qui les enseignent mais aussi tout ceux qui les aiment, et particulièrement les lecteurs de Liberté Libertés Chéries.

Cette année, le thème choisi est : "La télévision : les libertés en images" et le programme est reproduit ci-dessous.

Pour des raisons liées à l'accueil en Sorbonne, il est nécessaire de s'inscrire à l'adresse suivante : journeedeslibertes@gmail. com










dimanche 29 septembre 2019

GPA : Trois hommes et un couffin

Dans une décision du 12 septembre 2019, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de reconnaissance de paternité d'un père qui avait reconnu, avant la naissance, un enfant issu de ses gamètes et né d'une gestation pour autrui. Ceux qui contestent l'assistance médicale à la procréation au nom de la prééminence absolue du lien biologique vont certainement méditer cette décision.

Une situation complexe



Il est vrai qu'elle n'est pas très facile à lire, car la situation familiale de l'enfant de six ans, enjeu du conflit, est pour le moins complexe. En 2012, un couple d'homosexuels M. X. et M. Z passent un contrat de gestation pour autrui avec Mme C. qui s'engage, contre une rémunération de 15 000 €, à porter leur enfant. M. X. donne ses gamètes pour l'insémination et M. Z. reconnaît l'enfant avant sa naissance. Mais en cours de grossesse, Mme C. change d'avis, et décide finalement de passer une seconde convention avec un autre couple, hétérosexuel cette fois, M. et Mme Y. A la naissance, en mars 2013, Mme C. raconte donc à M. X. et à M. Z. que l'enfant est mort-né. M. Y. reconnaît l'enfant et celui-ci vit désormais dans cette famille. Evidemment, le couple homosexuel apprend la supercherie. M. X. porte plainte pour escroquerie. Il a quelques raisons de se plaindre, car il est le seul homme de l'histoire à ne pas avoir vu reconnaître sa paternité, alors qu'il est précisément le père biologique de l'enfant.

Passons sur le volet pénal, dans lequel tout le monde est condamné, l'une pour escroquerie car elle est avait vendu deux fois son bébé, et tout le monde pour provocation à l'abandon d'enfant, infraction utilisée pour sanctionner le recours à une une convention de GPA. Passons aussi sur les insuffisances de l'administration, car il semble étrange que la seconde reconnaissance de paternité n'ait pas suscité le moindre émoi des services de l'état civil. 


Trois hommes et un couffin. Coline Serreau. 1985

Le volet civil



En matière civile,  M. X. a engagé une procédure de contestation de la reconnaissance de paternité réalisée par M. Y., en s'appuyant sur la vérité biologique. Il demandait donc à ce que sa filiation soit établie, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment sur la résidence de l'enfant. Sur le plan juridique, l'affaire semblait pouvoir être facilement résolue, dès lors que l'article 332 du code civil énonce que "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père". Le juge du fond, en l'espèce le tribunal de Dieppe, avait accueilli sur ce fondement les demandes de M. X. père biologique de l'enfant.

La Cour d'appel de Rouen a toutefois annulé cette première décision et déclaré irrecevables les demandes de M. X. en 2018, décision aujourd'hui confirmée par la Cour de cassation. Ecartant l'article 332 du code civil, elle s'appuie sur son article 16-7 qui affirme que "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". Le problème est que, dans cette affaire, tout le monde a souscrit une convention de GPA. Mais peu importe, seule la première convention est sanctionnée. Aux yeux du juge, son illicéité entraine, par une sorte d'effet domino, la nullité de toute demande ultérieure.
 
L'analyse est bien connue, même si elle est un peu ancienne. La Cour de cassation l'avait déjà développée dans la première décision  Mennesson du 17 décembre 2008,  puis dans deux arrêts du 13 septembre 2013. Elle appliquait alors l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire. Or les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

En l'espèce, l'analyse ne peut manquer de surprendre. Car la si la convention passée par le couple d'homosexuels est entachée d'une nullité telle que la reconnaissance de M. Z. est également nulle, celle passée par M. et Mme Y. est, en quelque sorte, validée par la Cour de cassation, et la paternité de M. Y,, même sans lien biologique avec un enfant qu'il a acheté pour 15 000 €. Avouons que la sévérité à l'égard de M. X. n'a d'égale que l'indulgence à l'égard de M. Y.

Dans sa décision du 12 septembre 2019, la Cour de cassation ajoute une référence à l'intérêt supérieur de l'enfant, au sens de l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfants de 1989. M. X estimait que cet intérêt supérieur exige que l'enfant connaisse ses origines, mais la Cour de cassation estime qu'il impose plutôt que cet enfant grandisse dans la famille qui l'a accueilli depuis sa naissance, alors même qu'elle a aussi passé une convention illicite. La Cour de cassation précise d'ailleurs que l'enfant est élevé "dans d'excellentes conditions" par M. Y et son épouse.


Une victime directe 



La Cour de cassation fait ainsi prévaloir l'intérêt de l'enfant sur le droit d'accès aux origines. La solution est peut-être la moins mauvaise, si l'on considère qu'il s'agit d'un enfant de six ans qui a toujours vécu auprès du couple Y. Sans doute, mais elle fait tout de même une victime directe. Le père biologique se voit privé de tout droit. Et le juge décide son exclusion de la vie de son enfant en se fondant sur le fait qu'il a signé une convention de GPA, pour reconnaître la paternité d'un homme qui n'a aucun lien biologique avec lui et qui a aussi signé une convention de GPA. O, la décision aurait pu être moins brutale, et l'article 371-4 du code civil permettait au juge de maintenir le lien avec le père biologique, par exemple par un droit de visite. On imagine que le père biologique ne pourra s'empêcher de penser que cette intransigeance trouve son origine dans son homosexualité.

La mince consolation que lui offre la Cour se trouve dans la mention selon laquelle sa décision "ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines". L'enfant sera-t-il  convenablement informé des conditions de sa naissance ? Sera-t-il en mesure d'exercer ce droit ? Et aura-t-il envie de l'exercer, sachant qu'il n'aura jamais eu de contact avec son père biologique ?


Des dégâts collatéraux


Cette décision fait aussi des dégâts collatéraux. Elle semble ramener la jurisprudence sur la GPA quelques années en arrière, lorsque l'application de l'adage Fraus omnia corrumpit résumait toute la pensée des juges. Or la situation juridique des enfants nés par GPA à l'étranger s'est considérablement renforcée. Le parent d'intention voit désormais son lien de filiation reconnu et la transcription des actes de naissance dans l'état civil français est chose acquise. Peu à peu, on s'achemine même vers une transcription mentionnant les deux parents, le parent biologique et le parent d'intention. Celles et ceux qui veulent fonder une famille et qui n'ont pas d'autre solution que la GPA sont donc clairement invités à recourir aux services d'une mère porteuse étrangère.  Quant à ceux qui ont utilisé, illégalement, les services d'une mère porteuse en France, ils sont incités à acheter un enfant et à le cacher suffisamment longtemps pour que son intérêt supérieur soit de demeurer avec eux. A sa manière, cette jurisprudence illustre parfaitement l'hypocrisie de notre système juridique à l'égard de la GPA.


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.



jeudi 26 septembre 2019

Le droit à l'oubli, un droit européen

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a décidé, dans un arrêt du 24 septembre 2019, que le droit à l'oubli ne s'impose que dans le cadre européen et qu'il ne saurait donc être imposé à la version américaine du moteur de recherches Google.

La Cour était saisie d'une question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat, lui-même saisi par quatre requérants qui s'étaient vu refuser le déréférencement de certaines données sensibles par Google. La CNIL, agissant au nom du G29, c'est-à-dire d'un groupe réunissant l'ensemble des autorités de protection européennes, a mis en demeure Google de procéder au déréférencement sur l'ensemble de ses moteurs de recherche. En l'absence de réponse positive, le 10 mars 2016, elle a condamné Google à une amende de 100 000 €. Cette sanction est contestée par Google, et c'est à l'occasion de ce recours que le Conseil d'Etat a posé la présente question préjudicielle, demandant si le droit à l'oubli s'applique aux seuls moteurs de recherche utilisés dans les Etats de l'Union, ou à l'ensemble des moteurs gérés par Google, y compris hors territoire européen.


Oubli, déréférencement, effacement



Loubli n’est jamais absolu sur internet. Il se traduit seulement par un oubli légal, c’est-à-dire le déréférencement de données qui ne sont plus accessibles sans pour autant disparaître tout à fait. Initié dans le droit de la presse, il a d'abord été invoqué devant les tribunaux pour sanctionner et réparer les révélations sur le passé d’une personne, le plus souvent son passé judiciaire. Intervenant à un moment où elle a reconstruit sa vie, la publication de son ancienne condamnation est considérée comme une atteinte au droit d’être oublié, envisagé comme un élément de sa vie privée. 

Peu à peu, le droit à l'oubli est devenu un élément de la protection des données personnelles, s'appliquant à toutes les données sensibles, c'est-à-dire celles dont la divulgation emporte une atteinte à la vie privée des personnes. Sa consécration dans ce domaine fut précisément assurée par la CJUE, dans une célèbre décision rendue le 13 mai 2014, Google Spain SL, Google Inc. c. Agencia Espanola de Proteccion de Datos(AEPD). Elle y affirme d'abord qu'un moteur de recherches doit être considéré comme un traitement de données personnelles et que l'exploitant de ce moteur de recherches est le "responsable du traitement" au sens du droit de l'Union.

Elle exige ensuite de Google le déréférencement d'articles de presse remontant à 1998 et mentionnant la vente sur saisie des biens appartenant au requérant, alors lourdement endetté. A l’époque, la CJUE déduisait le droit à l'oubli a directive européenne du 24 octobre 1995  qui consacrait alors un droit de rectification des données inexactes ou incomplètes. C'est ce texte qui était en vigueur au moment du recours qui a donné lieu à la présente question préjudicielle.

Aujourd'hui, le droit à l'oubli est formellement garanti par l’article 17 du Règlement général de protection des données (RGPD), qui affirme que « la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel ». La loi du 20 juin 2018 a fait de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) l'autorité de contrôle du RGPD. Celle-ci a mené, au nom de l'Union européenne, une véritable bataille contentieuse, dans le but d'imposer à Google le respect de ce droit. Elle a obtenu des succès dans ce domaine, et l'entreprise a accepté de faire figurer sur son site un formulaire par lequel les internautes peuvent demander la déréférencement de certaines données personnelles. Google définit toutefois lui-même les critères permettant de qualifier les informations concernées de "données sensibles", critères qui demeurent dans une certaine opacité.




Dollar. Gilles et Julien, 1932


Territorialité du droit à l'oubli



Si Google accepte désormais de déréférencer certaines données, l'effacement ne concerne que les moteurs de recherche européens (Google. fr, Google.de, Google. it....). Elles demeurent visibles à partir du moteur américain Google.com. Certes, quelques précautions de géolocalisation sont prises, mais l'oubli demeure relatif, dès lors qu'il demeure techniquement possible d'aller chercher l'information sur le versant américain de Google.

Pour la CNIL, le droit de l'Union européenne, tant la directive de 1995 en vigueur à l'époque des faits que l'actuel RGPD, entend "éviter qu’une personne soit exclue de la protection garantie (...) et que cette protection soit contournée, en prévoyant un champ d’application territorial particulièrement large". Elle appuie cette analyse sur les considérants 18 à 20 de l'exposé des motifs de la directive qui mentionnent notamment que "l'établissement, dans un pays tiers, du responsable du traitement de données ne doit pas faire obstacle à la protection des personnes prévue par la présente directive". Ces dispositions sont toutefois dépourvues de réelle puissance juridique.

La CNIL insiste sur le fait que si les garanties ne s'appliquent pas à l'ensemble des traitements mis en oeuvre par l'entreprise, celle-ci sera évidemment tentée de se soustraire aux obligations imposées par l'Union européenne en ne les rendant accessibles qu'à partir d'un site installé dans un Etat tiers. La CNIL raisonne donc à partir de la notion de personne responsable du traitement, dès lors que ce traitement conserve et diffuse les données des internautes européens.

Cette analyse n'est pas sans écho jurisprudentiel. Dans un arrêt L'Oréal c. e-Bay du 12 juillet 2011, la CJUE avait été saisie de la licéité de l'offre de vente sur un site marchand américain de produits accessibles sur le territoire européen, sans le consentement des marques concernées. Elle avait alors considéré que le droit de l'Union s'appliquait dès lors que cette offre de vente était "destinée aux consommateurs situés sur le territoire couvert par la marque". Peu importe donc que le site marchand soit situé aux Etats-Unis, dès lors que les produits sont proposés sur le territoire de l'UE.


En l'espèce, la CJUE ne mentionne pas ce précédent. Elle revient à une conception traditionnelle de la territorialité du droit. Elle rappelle simplement le règle selon laquelle le droit de l'Union s'applique sur le territoire européen, et pas ailleurs. Elle ajoute d'ailleurs que la vie privée n'est pas protégée avec la même intensité dans l'UE et dans les Etats tiers, et qu'il n'est pas question de leur imposer notre système juridique. Certes, la Cour n'ignore pas tout à fait l'impact de sa décision, et affirme qu'il serait utile de ""rendre plus difficile les recherches sur les autres extensions." Il s'agit d'un voeu pieux qui n'a évidemment aucune chance de se réaliser et Google se trouve certainement confortée dans sa pratique qui consiste à organiser ses activités vers l'Europe à partir de sites hébergés hors du territoire européen.
Il est toujours frustrant de constater que le droit de l'Union européenne offre à Google les moyens de se soustraire aux règles qu'il édicte. Mais la Cour pouvait-elle statuer autrement ? Comment aurait-elle pu faire appliquer des actes ou des sanctions visant Google. Inc ? Pense-t-on vraiment que les juges américains accepteraient de soumettre une entreprise américaine au RGPD ? La CJUE écarte donc la tentation de consacrer une règle qui n'aurait aucune chance d'être mise en oeuvre, et dont l'ineffectivité porterait atteinte à la crédibilité même du droit de l'Union. 
Reste que la protection des données demeure un droit purement européen. On voit ainsi coexister deux systèmes radicalement opposés. D'un côté, un droit américain qui considère les données personnelles comme des biens de consommation qui s'achètent et se vendent. De l'autre côté, un droit européen qui les voit comme des éléments de la vie privée des personnes, dont elles doivent conserver la maîtrise. Si la CJUE avait raisonné comme les juridictions américaines, elle aurait considéré que, dès lors que l'entreprise avait une présence dans l'Union européenne, elle devait respecter dans touts ses activités le droit européen. Elle renonce à le faire, et la conséquence de cette dissymétrie est que l'Union se livre pieds et poings liés à l'impérialisme juridique des Etats-Unis.




dimanche 22 septembre 2019

Visioconférence à l'audience et bonne administration de la justice

Dans sa décision QPC du 20 septembre 2019 M. Abdelnour B., le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelles les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 706-71-3 du code de procédure pénale (cpp), dans sa rédaction en vigueur au moment où la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris rejetait sa demande de mise en liberté. A l'époque du recours de M. B., l'ensemble du contentieux de la détention provisoire pouvait être organisé par visioconférence. Mais si le recours à cette technique demeurait subordonné à l'accord de l'intéressé pour les contentieux du placement et de renouvellement de la détention provisoire, elle pouvait en revanche être imposée à la personne détenue faisant un recours devant la Chambre de l'instruction contre une décision refusant sa mise en liberté.

Disons-le clairement, cette décision du Conseil constitutionnel n'aura aucun impact sur le droit positif, dans la mesure où l'ordonnance du 1er décembre 2016 a supprimé le régime juridique particulier du contentieux de la mise en liberté, et soumet donc la visioconférence au consentement du demandeur. Les contentieux antérieurs ne se sont pas éteints pour autant et les opposants aux audiences par visioconférence, et notamment le syndicat des avocats de France intervenant à la QPC, comme le syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l'homme, ont su les utiliser à bon escient. Leur combat n'aurait rien de surprenant, s'il n'avait reçu l'appui aussi inattendu qu'involontaire de l'actuelle Garde des Sceaux, Mme Belloubet.


La décision du 21 mars 2019



Dans sa décision du 21 mars 2019, rendu à propos de la loi Belloubet de programmation pour la justice, le Conseil a en effet censuré son article 54 qui accroissait considérablement la possibilité de recours à la visioconférence sans consentement de l'intéressé, en l'élargissant à tout le contentieux de la prolongation de la détention provisoire.

Le Conseil avait alors écarté la justification apportée par le législateur qui entendait "contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne". A ses yeux, une telle procédure imposée à l'intéressé portait une atteinte excessive aux droits de la défense que le seul intérêt financier de l'Etat ne saurait justifier. Et le Conseil d'insister sur l'important de la "présentation physique de l'intéressé devant le magistrat".

En voulant ainsi généraliser les audiences par visioconférence en matière de détention provisoire, la loi Belloubet a ainsi indirectement permis le contrôle du Conseil constitutionnel sur l'article 706-71-3. Ses détracteurs avaient effet, à quatre reprises, obtenu qu'une QPC soit transmise à la Cour de cassation. Mais la Cour avait rendu quatre décisions de refus de renvoi. Elle considérait alors, invariablement, que "le recours à la télécommunication audiovisuelle" était "une modalité de la comparution personnelle". Mais la décision rendue par le Conseil le 21 mars 2019 s'analysait comme un changement de circonstances de droit susceptible de justifier un renvoi, et c'est précisément ce qu'a décidé la Cour, dans une décision du 26 juin 2019.


La bonne administration de la justice



Si le requérant, et tous ceux qui soutenaient son recours, ont obtenu une déclaration d'inconstitutionnalité, ils n'ont pourtant pas remporté une franche victoire. Le Conseil ne déclare pas que l'audience par visioconférence constitue, en soi, une procédure inconstitutionnelle. Au contraire, il s'étend longuement sur l'article 199 du code de procédure pénale qui permet au président de la chambre de l'instruction de refuser d'entendre une personne qui a déjà comparu depuis moins de quatre mois. Mais celui-ci peut renoncer à cette procédure s'il estime nécessaire d'entendre la personne détenue, "notamment par un moyen de télécommunication audiovisuelle". Autrement dit, la visioconférence incite le juge à entendre une personne qui, autrement, n'aurait pas été entendue.

Surtout, le Conseil affirme clairement que la visioconférence "vise à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Ces dispositions "contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics ". La justice bien administrée est donc celle qui coûte le moins cher possible. Et maintenir une personne devant un écran dans les locaux pénitentiaires ne coûte pratiquement rien.



 Personne détenue assistant à l'audience de sa mise en liberté
Le Comte de Monte Christo, Robert Vernay, 1954. Jean Marais

La notion de "bonne administration de la justice" a été affirmée comme objectif à valeur constitutionnelle, avec une référence improbable aux articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans une décision du 28 décembre 2006. Cette construction initiée par le Cosneil a été utilisée à de nombreuses reprises, par exemple en QPC le 16 septembre 2011 pour justifier le recours à des peines plancher pour sanctionner les infractions graves au code de la route. Il s'agissait alors de désencombrer les prétoires.

Dans sa décision du 6 septembre 2018 relative à la loi asile et immigration, le Conseil ajoute la préoccupation financière, estimant que l'audience vidéo en matière d'asile n'empêche pas, en soi, l'exercice des droits de la défense, et n'entrave pas le droit au respect équitable. Au contraire, elle repose sur "le bon usage des deniers publics". La "bonne administration de la justice" justifie ainsi des législations qui n'ont pas d'autre objet que d'éponger un contentieux abondant à un moindre coût.

Tel est le cas en l'espèce, et le Conseil ne manque pas de rappeler qu'une personne en détention provisoire peut former une demande de mise en liberté à tout moment, sur le fondement de l'article 148 cpp. La Chambre de l'instruction peut donc être saisie très fréquemment, soit par voie d'appel, soit si le juge des libertés et de la détention n'a pas statué dans le délai imparti, soit si la personne détenue n'a pas été entendue depuis quatre mois par le juge d'instruction.

Dans le cas présent toutefois, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux droits de la défense du demandeur et l'impératif constitutionnel de "bonne administration de la justice". Il observe qu'en matière criminelle, la prolongation de la détention provisoire peut intervenir une année entière après l'incarcération, aux termes de l'article 145-2 cpp. Les conséquences d'une audience par vidéoconférences seraient alors trop lourdes pour un prévenu ainsi privé d'une présentation physique devant le juge. C'est donc le seul cas de ces personnes qui est pris en considération pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article 706-71-3.


Une cote mal taillée



Certes, le Conseil constitutionnel pose un frein au développement considérable de l'audience par visioconférence, tentation incontestable dans une période où l'on attend de la justice qu'elle fonctionne avec des moyens humains et matériels extrêmement dégradés. Mais force est de constater qu'il n'envisage l'atteinte aux droits de la défense que par le petit bout de la lorgnette. Il oublie, étrangement, de s'intéresser à la procédure qui entoure l'audience. Or le problème essentiel réside dans le fait que le détenu est seul devant un écran, dans l'établissement pénitentiaire, alors que son avocat, lui, se trouve dans la salle d'audience. Ils ne peuvent donc communiquer directement, et les droits de la défense sont alors réduits à une sorte de jeu de rôle. Mais discuter de ce point reviendrait à remettre en cause l'ensemble des audiences organisées de cette manière, et c'est précisément ce que ne veut pas le Conseil. Sa décision du 20 septembre 2019 prend ainsi l'allure d'une cote mal taillée, hésitant entre la protection des droits de la défense et les contraintes liées à la misère de la justice.

Sur la détention provisoire : Chapitre 4 , Section 2 § 1 C du manuel de Libertés publiques sur internet.




mardi 17 septembre 2019

Les "décrocheurs" devant le Président Magnaud

A la surprise générale, le tribunal correctionnel de Lyon, par une décision rendue le 16 septembre 2019, a relaxé deux militants de l'Association non violente COP 21. Ils étaient poursuivis pour vol en réunion, après avoir décroché la photographie du président de la République, exposée dans la salle des mariages de la mairie du IIe arrondissement de Lyon. Le portrait dérobé a ensuite été brandi lors d'une manifestation. 

Cette décision s'inscrit dans une certaine tradition des "jurisprudences de combat" mises en oeuvre par les juges du fond. Ces jugements de première instance, souvent médiatisés, sont ensuite annulés plus discrètement en appel. En l'espèce, le parquet a déjà déclaré qu'il faisait appel et les chances de confirmation de cette double relaxe sont quasi-inexistantes. L'affaire n'aura donc aucune suite sur le plan judiciaire, ce qui ne signifie pas qu'elle soit sans intérêt.


La fin de l'offense au Chef de l'Etat



Observons d'abord que nos deux "décrocheurs" sont poursuivis pour vol en réunion. Qu'il s'agisse du portrait du président de la République, du buste de Marianne, ou de toute autre pièce du mobilier de la mairie, le fondement juridique est le même puisque les personnes poursuivies ont soustrait frauduleusement la chose d'autrui, au sens de l'article 311-1 du code pénal. L'atteinte à la personne du président de la République n'est donc pas en cause. Cela n'a rien de surprenant si l'on considère que le délit d'offense au Chef de l'Etat, initialement prévu par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, a finalement été abrogé par la loi du 5 août 2013
 
Il n'a pas survécu au ridicule provoqué par la plainte de Nicolas Sarkozy sur ce fondement, plainte dirigée contre un manifestant qui avait brandi à son passage une affichette sur laquelle était écrit "Casse toi, pov' con", formule certes peu gracieuse mais reprenant les propos tenus par le président lui-même. A l'époque, le manifestant condamné à une amende de trente euros avait finalement fait un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans un arrêt Eon c. France du 13 mars 2013, la CEDH avait alors estimé que l'infraction d'offense au chef de l'Etat portait une atteinte excessive à la liberté d'expression. Le législateur de l'époque avait donc décidé d'abroger ce texte encombrant. Le décrochage du portrait du président n'est donc plus une offense au Chef de l'Etat, mais cela reste un vol.

En l'espèce, l'infraction de vol est matérialisée. L'enquête a clairement établi les faits et les aveux ont été recueillis à l'audience. L'opération a été organisée à la suite d'une entente entre les participants, et le vol a donc bien été réalisé "en réunion".


L'état de nécessité




Le juge aurait pu trouver aux prévenus quelques circonstances atténuantes, voire les dispenser de peine, mais il a préféré une solution plus radicale : il a choisi de se référer à l'état de nécessité. En effet, l'état de nécessité lui permet, non pas d'atténuer la peine, mais de supprimer la culpabilité elle-même. Il repose sur une idée simple formulée dans l'article 122-7 du code pénal : " N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace".

L'état de nécessité ne trouve pas son origine dans le code pénal de 1994. Il est issu des jugements du célèbre juge Paul Magnaud dont tous les étudiants en droit ont entendu parler. Le 4 mars 1898, le "Bon Juge Magnaud", président du tribunal de Chateau-Thierry, acquitte Louise Ménard, une jeune femme qui avait dérobé un pain dans un boulangerie, car son enfant et elle n'avaient rien mangé depuis deux jours. Clemenceau reprit ensuite l'histoire dans l'Aurore, et le juge Magnaud, depuis lors, personnalise l'état de nécessité.

Cette notion de nécessité, ainsi importée dans l'ordre juridique par la bonté d'un seul juge, n'est mise en oeuvre que très rarement, parce qu'elle est soumise à des conditions extrêmement rigoureuses. Dans le cas des "décrocheurs", il faut bien reconnaître que le successeur du juge Magnaud les interprète de manière extraordinairement extensive.
 
Necessité. Rodrigue Milien
 
 

Le caractère actuel ou imminent du danger 



La première condition réside dans le caractère actuel ou imminent du danger. La personne qui accomplit l'acte ne doit pas avoir d'autre ressource que de violer la loi pour écarter un danger. Dans l'affaire Louise Ménard, une femme et son enfant risquaient de mourir de faim. En l'espèce, le tribunal correctionnel s'appuie sur l'"urgence climatique". Il affirme ainsi que "le dérèglement climatique est un fait qui affecte gravement l'avenir de l'humanité (...)". Certes, mais le vol du portrait du Président Macron n'est, du moins on l'espère, pas l'unique moyen de lutter contre l'urgence climatique. 
 
Sur ce plan, le juge ignore totalement la jurisprudence antérieure, intervenue précisément en matière environnementale. Dans un arrêt du 19 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'est ainsi prononcée sur la condamnation de militants écologistes qui avaient détruit des plans de riz génétiquement modifié. Elle avait alors estimé qu'aucune des conditions de l'état de nécessité n'était réunie, le danger n'était pas suffisamment actuel ni imminent. En effet, les plans génétiquement modifiés étaient sous serre, ce qui excluait tour risque de dissémination. Cette jurisprudence a ensuite été réaffirmée dans la décision du 7 février 2007,  des militants ayant entièrement détruit un champ planté pour 1/10e de sa superficie de maïs transgénique. Cette fois, le danger de dissémination n'était pas absent, mais le juge estime toutefois que ce maïs transgénique ne présente pas un danger immédiat pour les faucheurs eux-mêmes. 

Dans le cas des "décrocheurs", force est de constater qu'ils ne risquent pas d'être immédiatement victimes du dérèglement climatique, au point de ne pouvoir agir autrement. 
 

La condition de proportionnalité



Ceci nous conduit directement à la seconde condition de l'état de nécessité : la proportionnalité de la riposte à la menace. Dans le cas de Louis Ménard, le vol du pain, d'un seul pain, lui a permis de nourrir son enfant et elle-même et donc de ne pas mourir de faim. Dans l'arrêt du 7 février 2007, la chambre criminelle fait ainsi observer que le fauchage d'OGM n'est pas l'unique moyen de lutter contre leur danger. Les militants auraient pu, tout simplement, user des voies de droit, par exemple pour annuler ou suspendre les autorisation d'essai de ces cultures ou contester  leur mise sur le marché.

La situation des "décrocheurs" est encore plus étrange au regard de la proportionnalité de leur action. Force est en effet de constater que la proportionnalité de la mesure prise fait entièrement défaut. Il faudrait en effet démontrer que le décrochage du portrait du président de la République a un impact sur le dérèglement climatique, preuve qui risque de se révéler délicate.

Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Lyon se présente ainsi comme un acte militant. Acte militant d'un juge unique, et, a contrario, ce jugement permet de comprendre à quel point la collégialité est une nécessité lorsqu'il s'agit de justice pénale. Les convictions de ce juge sont évidemment respectables, mais précisément il exprime ses convictions et son analyse juridique se limite à faire dire à l'état de nécessité ce qu'il n'a jamais dit. Ce faisant, il donne aux militants écologistes une satisfaction bien éphémère, car il ne fait guère de doute que les juges d'appel, ceux qui font du droit, annuleront le jugement. Mais cette satisfaction militante est acquise au prix d'une atteinte à l'impartialité, à la crédibilité même de la justice, instrumentalisée pour la défense d'une cause.

 
 


vendredi 13 septembre 2019

Droit de grève et service minimum dans les transports : quelques questions

Pour les Parisiens et Franciliens qui n'ont pas le privilège de disposer d'une voiture de fonction, le vendredi 13 septembre 2019 n'est pas un jour de chance. Les employés de la RATP ont en effet décidé d'exercer leur droit de grève, pour protester contre le projet de réforme des retraites. De fait, beaucoup de lignes de métro demeurent fermées et ne fonctionnent normalement que celles qui sont entièrement automatisées. L'évènement suscite évidemment une interrogation sur l'articulation entre le droit de grève et le principe de continuité du service public. Or, il semble bien que l'équilibre entre ces deux normes juridiques connaisse actuellement une évolution très sensible. On peut se demander si les règles législatives visant à les concilier ne sont pas purement et simplement ignorées, tant par les grévistes que par les autorités publiques.


Le droit de grève



Le 7ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aujourd'hui intégré dans le bloc de constitutionnalité mentionne : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Cette disposition a pour conséquence de constitutionnaliser le droit de grève, mais aussi d’en marquer les limites.

Il est évidemment constitutionnalisé, et le Conseil constitutionnel s'est référé pour la première fois aux dispositions du Préambule dans sa décision du 25juillet 1979. Il annule alors des dispositions législatives autorisant les présidents d’entreprises de radio et de télévision à faire assurer un « service normal » en cas de cessation du travail. Par la suite, dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981, il énonce que les peines prévues en cas d’entrave à la circulation des trains ne sauraient viser les personnes exerçant légalement « le droit de grève reconnu par la Constitution".  

Certes, mais le Préambule affirme aussi que le droit de grève s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent ». Il revient donc au législateur d’organiser son exercice et d’en poser les bornes, à la condition toutefois de ne pas l’interdire de manière générale et absolue. Il doit donc « opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ». Dans sa décision du 19 mars 2012, le Conseil admet ainsi que la loi pose certaines restrictions au droit de grève dans le transport aérien. 

Cette compétence législative n'interdit pas la compétence réglementaire. Bien avant l'actuelle constitution, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt Dehaene de 1950 affirmait qu''il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue desdites limites (...)". L'émergence du pouvoir réglementaire autonome en 1958 n'a pas modifié cette jurisprudence, permettant même d'organiser le droit de grève par simple circulaire (arrêt Union syndicale de l'aviation civile CGT du 13 novembre 1992). Il appartient alors au Conseil d'Etat que l'équilibre entre la défense des droits des travailleurs et la sauvegarde de l'intérêt général est convenablement assuré. 


Dans le metro. Louis Latapie. 1891-1972


Le transport terrestre



Dans l'ensemble du secteur public, l'intérêt général invoqué pour restreindre le droit de grève réside toujours dans le principe de continuité du service public. Dans l'arrêt Dehaene, le Conseil d'Etat rappelle ainsi que ce droit peut "être limité en raison des exigences de fonctionnement des services publics". Sur ce fondement, le législateur prive ainsi du droit de grève les agents associés aux fonctions régaliennes de l'Etat, en particulier les membres des forces armées. 

Le droit commun de la fonction publique soumet ainsi la grève à des règles de procédure, notamment un préavis obligatoire avant la cessation du travail. Les années récentes ont toutefois vu se multiplier les lois destinées à garantir un service minimum dans certains services, l'idée étant très clairement d'assurer un respect plus grand du principe de continuité. La loi du 20 août 2008 impose ainsi un "droit d’accueil" dans les écoles maternelles et primaires et celle du 19 mars 2012 contraint le transport aérien à un service minimum en cas de cessation du travail.

Tel était aussi l'objet de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social, titre qui ne reflète guère le contenu réel du texte. Il s'agissait en effet bien davantage d'imposer le service minimum dans les transports que de préciser les modalités de la négociation. Ses dispositions, aujourd'hui intégrées au code des transport, empêchent, du moins en principe, qu'une ligne entière soit fermée durant toute une journée de grève. 

Aux termes de l'actuel article L 1222-2 du code des transports, il appartient en effet à l'autorité organisatrice de transports (AOT), en l'espèce Ile de France Mobilités qui a succédé au STIF, de définir les dessertes prioritaires en cas de perturbations, qu'il s'agisse de travaux, d'incidents techniques ou climatiques, ou encore de grèves. Elle fixe ainsi les fréquences et les plages horaires, afin d'assurer un "niveau minimal de service" qui doit "permettre d'éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'accès aux services publics, à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l'industrie et à l'organisation des transports scolaires" (art. L 1222-3). Ensuite des "plans de desserte" sont élaborés au niveau de l'entreprise, des "accords collectifs de prévisibilité" sont adoptés, recensant les catégories et nombre d'agents indispensables à la mise en oeuvre du service minimum.

Qu'est devenue cette législation ? les Parisiens et les Franciliens seraient fondés à se poser la question avec d'autant plus d'acuité que ces dispositions ont été appliquées dans les années récentes. Un service minimum existait effectivement en cas de grève, applicable à l'ensemble du réseau RATP et l'on ne trouvait plus de stations totalement fermées ou de lignes totalement interrompues durant une journée entière. 

Or, aujourd'hui, les dispositions du code des transports sont demeurées lettre morte. Les usagers se sont vus conseiller de rester chez eux et de prendre une journée de vacances. La loi deviendrait-elle un simple instrument que l'on peut écarter pour des motifs conjoncturels ? Doit-on penser que la continuité du service public et l'intérêt des usagers ont été ignorés dans le seul but de ne pas durcir un mouvement social déjà préoccupant ? On ne saurait imaginer une telle chose car il est évident qu'un gouvernement qui veut imposer le respect de la loi doit d'abord lui-même la respecter.

Doit-on conclure à l'abandon des dispositions législatives encadrant le droit de grève dans les transports ? Si l'on rapproche ce laxisme de l'oubli des conditions de déclaration des manifestations lors de la crise des gilets jaunes, on ne peut qu'être frappé, non par un développement des libertés publiques, mais par un mélange de tolérance et d'impuissance des autorités.




Sur le droit de grève : Chapitre 13 , Section 2 § 2 B du manuel de Libertés publiques sur internet.