« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 29 septembre 2019

GPA : Trois hommes et un couffin

Dans une décision du 12 septembre 2019, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de reconnaissance de paternité d'un père qui avait reconnu, avant la naissance, un enfant issu de ses gamètes et né d'une gestation pour autrui. Ceux qui contestent l'assistance médicale à la procréation au nom de la prééminence absolue du lien biologique vont certainement méditer cette décision.

Une situation complexe



Il est vrai qu'elle n'est pas très facile à lire, car la situation familiale de l'enfant de six ans, enjeu du conflit, est pour le moins complexe. En 2012, un couple d'homosexuels M. X. et M. Z passent un contrat de gestation pour autrui avec Mme C. qui s'engage, contre une rémunération de 15 000 €, à porter leur enfant. M. X. donne ses gamètes pour l'insémination et M. Z. reconnaît l'enfant avant sa naissance. Mais en cours de grossesse, Mme C. change d'avis, et décide finalement de passer une seconde convention avec un autre couple, hétérosexuel cette fois, M. et Mme Y. A la naissance, en mars 2013, Mme C. raconte donc à M. X. et à M. Z. que l'enfant est mort-né. M. Y. reconnaît l'enfant et celui-ci vit désormais dans cette famille. Evidemment, le couple homosexuel apprend la supercherie. M. X. porte plainte pour escroquerie. Il a quelques raisons de se plaindre, car il est le seul homme de l'histoire à ne pas avoir vu reconnaître sa paternité, alors qu'il est précisément le père biologique de l'enfant.

Passons sur le volet pénal, dans lequel tout le monde est condamné, l'une pour escroquerie car elle est avait vendu deux fois son bébé, et tout le monde pour provocation à l'abandon d'enfant, infraction utilisée pour sanctionner le recours à une une convention de GPA. Passons aussi sur les insuffisances de l'administration, car il semble étrange que la seconde reconnaissance de paternité n'ait pas suscité le moindre émoi des services de l'état civil. 


Trois hommes et un couffin. Coline Serreau. 1985

Le volet civil



En matière civile,  M. X. a engagé une procédure de contestation de la reconnaissance de paternité réalisée par M. Y., en s'appuyant sur la vérité biologique. Il demandait donc à ce que sa filiation soit établie, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment sur la résidence de l'enfant. Sur le plan juridique, l'affaire semblait pouvoir être facilement résolue, dès lors que l'article 332 du code civil énonce que "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père". Le juge du fond, en l'espèce le tribunal de Dieppe, avait accueilli sur ce fondement les demandes de M. X. père biologique de l'enfant.

La Cour d'appel de Rouen a toutefois annulé cette première décision et déclaré irrecevables les demandes de M. X. en 2018, décision aujourd'hui confirmée par la Cour de cassation. Ecartant l'article 332 du code civil, elle s'appuie sur son article 16-7 qui affirme que "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". Le problème est que, dans cette affaire, tout le monde a souscrit une convention de GPA. Mais peu importe, seule la première convention est sanctionnée. Aux yeux du juge, son illicéité entraine, par une sorte d'effet domino, la nullité de toute demande ultérieure.
 
L'analyse est bien connue, même si elle est un peu ancienne. La Cour de cassation l'avait déjà développée dans la première décision  Mennesson du 17 décembre 2008,  puis dans deux arrêts du 13 septembre 2013. Elle appliquait alors l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire. Or les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

En l'espèce, l'analyse ne peut manquer de surprendre. Car la si la convention passée par le couple d'homosexuels est entachée d'une nullité telle que la reconnaissance de M. Z. est également nulle, celle passée par M. et Mme Y. est, en quelque sorte, validée par la Cour de cassation, et la paternité de M. Y,, même sans lien biologique avec un enfant qu'il a acheté pour 15 000 €. Avouons que la sévérité à l'égard de M. X. n'a d'égale que l'indulgence à l'égard de M. Y.

Dans sa décision du 12 septembre 2019, la Cour de cassation ajoute une référence à l'intérêt supérieur de l'enfant, au sens de l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfants de 1989. M. X estimait que cet intérêt supérieur exige que l'enfant connaisse ses origines, mais la Cour de cassation estime qu'il impose plutôt que cet enfant grandisse dans la famille qui l'a accueilli depuis sa naissance, alors même qu'elle a aussi passé une convention illicite. La Cour de cassation précise d'ailleurs que l'enfant est élevé "dans d'excellentes conditions" par M. Y et son épouse.


Une victime directe 



La Cour de cassation fait ainsi prévaloir l'intérêt de l'enfant sur le droit d'accès aux origines. La solution est peut-être la moins mauvaise, si l'on considère qu'il s'agit d'un enfant de six ans qui a toujours vécu auprès du couple Y. Sans doute, mais elle fait tout de même une victime directe. Le père biologique se voit privé de tout droit. Et le juge décide son exclusion de la vie de son enfant en se fondant sur le fait qu'il a signé une convention de GPA, pour reconnaître la paternité d'un homme qui n'a aucun lien biologique avec lui et qui a aussi signé une convention de GPA. O, la décision aurait pu être moins brutale, et l'article 371-4 du code civil permettait au juge de maintenir le lien avec le père biologique, par exemple par un droit de visite. On imagine que le père biologique ne pourra s'empêcher de penser que cette intransigeance trouve son origine dans son homosexualité.

La mince consolation que lui offre la Cour se trouve dans la mention selon laquelle sa décision "ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines". L'enfant sera-t-il  convenablement informé des conditions de sa naissance ? Sera-t-il en mesure d'exercer ce droit ? Et aura-t-il envie de l'exercer, sachant qu'il n'aura jamais eu de contact avec son père biologique ?


Des dégâts collatéraux


Cette décision fait aussi des dégâts collatéraux. Elle semble ramener la jurisprudence sur la GPA quelques années en arrière, lorsque l'application de l'adage Fraus omnia corrumpit résumait toute la pensée des juges. Or la situation juridique des enfants nés par GPA à l'étranger s'est considérablement renforcée. Le parent d'intention voit désormais son lien de filiation reconnu et la transcription des actes de naissance dans l'état civil français est chose acquise. Peu à peu, on s'achemine même vers une transcription mentionnant les deux parents, le parent biologique et le parent d'intention. Celles et ceux qui veulent fonder une famille et qui n'ont pas d'autre solution que la GPA sont donc clairement invités à recourir aux services d'une mère porteuse étrangère.  Quant à ceux qui ont utilisé, illégalement, les services d'une mère porteuse en France, ils sont incités à acheter un enfant et à le cacher suffisamment longtemps pour que son intérêt supérieur soit de demeurer avec eux. A sa manière, cette jurisprudence illustre parfaitement l'hypocrisie de notre système juridique à l'égard de la GPA.


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.



1 commentaire:

  1. Bonjour,

    S'il s'agit bien de l'arrêt n° 18-20.472, est-on certain que deux conventions de GPA successives ont été conclues ?

    A la lecture de l'arrêt, il me semble qu'une seule convention de GPA a été conclue. L'arrêt d'appel a relevé que, concernant le second couple, "Mme G... avait décidé de confier l'enfant à naître à M. et Mme K..., contre rémunération, sans faire état de l'existence de « l'insémination artisanale » à l'origine de sa grossesse".

    Le second couple serait donc "seulement" coupable d'une fraude à la loi sur l'adoption et non d'avoir conclu une convention de GPA, comme semble le confirmer le dernier attendu de l'arrêt : "même si la façon dont ce lien de filiation a été établi par une fraude à la loi sur l'adoption n'est pas approuvée, et précise que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance de M. K..., a fait savoir qu'il n'entendait pas agir à cette fin".

    Je comprends donc cet arrêt non comme faisant prévaloir une convention de GPA sur une autre mais comme sanctionnant moins sévèrement une fraude à la loi sur l'adoption que la conclusion d'une convention de GPA.

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