Le code civil grec porte-t-il atteinte au droit au mariage "dans sa substance même" ? La CEDH répond positivement à cette question, et avance trois arguments essentiels.
La décence et l'institution de la famille
Le premier réside dans la rigueur extrême du droit grec. Il considère en effet que l'interdiction du mariage entre alliés jusqu'au troisième degré subsiste après la dissolution du mariage. Alors même que M. Theodorou avait divorcé de Mme P.T., le lien avec la famille de cette dernière subsistait, et Mme Tsotsorou demeurait sa belle-soeur, du moins au regard du droit grec. Pour les autorités grecques, cette règle "sert la décence et l'institution de la famille" et doit éviter les confusions entre lien et degré de parenté ainsi qu'entre les générations. Peut-être s'agit-il aussi, même si les autorités grecques n'en ont pas fait mention, d'une volonté de limiter autant que possible les conséquences du divorce, considéré comme destructeur de la famille traditionnelle.
La CEDH reconnaît évidemment que les Etats peuvent limiter le droit de contracter mariage, lorsque le consentement est vicié, ou pour prévenir la bigamie ou la consanguinité. Dans sa décision O'Donoguhe et autres c. Royaume Uni du 14 décembre 2011 elle précise même que des restrictions peuvent intervenir pour lutter contre les mariages blancs. Encore faut-il toutefois que ces limitations n'aient pas pour effet d'enlever à une personne ou à une catégorie de personnes la capacité juridique de contracter mariage.
En l'espèce, "la décence et l'institution de la famille" ne sont pas concernées. M. Theodorou et Mme Tsotsorou ont vu leur mariage définitivement annulé dix ans après qu'il été célébré. Depuis cette date, ils vivent ensemble, hors les liens du mariage, puisque, en tout état de cause, ils ne peuvent pas faire autrement. On doit alors s'interroger sur les dispositions du droit grec qui invoquent "la décence et l'institution de la famille"... pour transformer un couple marié en couple illégitime. La CEDH fait d'ailleurs observer qu'il ne ressort pas du dossier que la fille issue du premier mariage de M. Theodorou souffre d'une "insécurité émotionnelle" suscitée par cette situation. En tout état de cause, les motifs invoqués par les autorités grecques pour justifier cette règle semblent bien légers par rapport à la brutalité de la dissolution d'un mariage.
Le consensus
Le second argument de la CEDH se trouve dans l'existence d'un consensus européen en matière d’empêchement au mariage des (anciens) belles-sœurs et beaux-frères. Seulement deux Etats membres, l'Italie et Saint-Marin, interdisent une telle union. Encore cette prohibition n'est-elle pas absolue et les intéressés peuvent demander aux juges de leur accorder une dérogation. Aucun, à l'instar de la Grèce, n'impose une interdiction absolue et définitive.
Observons à ce propos que ce n'est pas la première fois que la Cour constate une certaine forme de marginalisation du droit grec. Dans l'arrêt Vallianatos et autres du 7 novembre 2013, elle avait ainsi sanctionné comme discriminatoire l'absence totale de pacte de vie commune pour les homosexuels.
Une nullité a posteriori
Le droit grec est d'autant plus sanctionné par la Cour qu'en l'espèce, la nullité du mariage a été prononcée a posteriori, sur recours de la première épouse du requérant, recours déposé cinq mois après la célébration. Les autorités compétentes avaient autorisé le mariage, contrairement à l'affaire B. et L. c. Royaume Uni de 2005, dans laquelle l'administration britannique avait prononcé l'interdiction préalable d'un mariage entre une femme et le fils de son premier mari. Quant à la première épouse, Mme P.T., elle n'avait aucunement protesté lors de la publication des bans, alors même que cette publicité est précisément destinée à permettre d'éventuels recours.
Le troisième argument de la CEDH doit donc être recherché dans la légèreté des autorités grecques, car, selon le code civil, il leur appartenait d'apprécier la régularité du mariage. Or, elles n'ont pas effectué ce contrôle, et le couple s'est ainsi trouvé confronté à l'annulation de son mariage dix ans après sa célébration. Il est vrai que ce contentieux a eu au moins l'avantage de provoquer la sanction de la norme elle-même et non pas de la procédure organisant sa mise en oeuvre.
Peu à peu, au fil des jurisprudences, la CEDH élabore ainsi un standard européen du mariage. Certes, les Etats jouissent encore d'une marge d'appréciation et ils peuvent prévoir un traitement différent selon qu'un couple est marié ou non, par exemple en matière fiscale ou sociale. En revanche, ils ne peuvent restreindre de manière radicale le droit de se marier, pour des motifs relevant d'une morale sociale ou religieuse dont il n'est pas certain qu'elle fasse consensus au sein de la société. Cette décision s'inscrit ainsi dans un mouvement jurisprudentiel qui vise à considérer le mariage, non plus comme une institution sociale destinée à protéger la famille mais comme un droit individuel, un facteur d'épanouissement de la vie privée. Une vision que les autorités grecques considéreront peut-être comme peu orthodoxe.
Sur la liberté du mariage : Chapitre 8, Section 2 § 1 du manuel de Libertés publiques sur internet.
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