« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 5 juillet 2019

La CEDH face aux violences familiales

Les violences familiales ne se limitent pas à celles dirigées contre les femmes, même si ces dernière en sont davantage victimes. Bien souvent, la violence est un élément contextuel dans une famille, et lorsque les femmes sont maltraitées, les enfants le sont aussi. Et la réponse policière et pénale ne semble pas toujours appropriée aux menaces qui pèsent sur une famille. Dans un arrêt Kurt c. Autriche du 4 juillet 2019, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme que les mesures prises par les autorités pour assurer la protection d'une famille doivent être appréciées à l'aune des informations dont elles disposent.

Mariée en 2003, et mère de deux enfants, madame Kurt port plainte contre son mari en 2010 pour violences conjugales. Elle présente des traces de blessure, et une ordonnance est prise par les juges autrichiens, interdisant à l'époux de s'approcher de leur appartement ainsi que de celui des parents de Mme Kurt. Il est ensuite condamné à une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis, peine assortie d'une mise à l'épreuve de trois années. Aucun incident n'est signalé jusqu'à en mai 2012, lorsque Mme Kurt engage une procédure de divorce et dépose une nouvelle plainte pour viol et violences dirigées également contre ses enfants. Ces derniers confirment que leur père les avait frappés. Le 25 mai, ce dernier se rend à l'école des enfants, demande à l'institutrice non informée des problèmes familiaux, de s'entretenir brièvement avec son fils. On retrouve ensuite celui-ci dans le sous-sol de l'école, assassiné d'une balle dans la tête.


Le droit à la vie



Madame Kurt engage ensuite une série de recours engageant la responsabilité des autorités autrichiennes, estimant qu'elles avaient commis une faute en ne plaçant pas Monsieur Kurt en détention après la seconde plainte de son épouse. N'ayant pas obtenu satisfaction des juges, elle se tourne vers la CEDH et invoque une violation du droit à la vie, garantie par l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

On sait que le droit à la vie, au sens où l'entend la CEDH, n'interdit pas seulement pas seulement de porter atteinte à la vie humaine intentionnellement. Il est aussi utilisé pour sanctionner une abstention fautive, lorsque l'Etat n'a pas pris les mesures appropriées pour protéger les personnes placées sous sa juridiction. Dans un arrêt tout récent Fernandes de Oliveira c. Portugal du 31 janvier  2019, la Grande Chambre se place sur le fondement de l'article 2 pour rappeler que les responsables d'un hôpital psychiatrique doivent prendre les mesures appropriées pour protéger les patients contre autrui et contre eux-mêmes. Constitue donc une atteinte au droit à la vie le fait de ne pas surveiller un patient schizophrène qui a pu s'échapper de l'hôpital pour aller se jeter sous un train. Cette abstention fautive peut prendre plusieurs visages, absence de dispositions normatives ou absence de mesures concrètes de protection.

Les Indégivrables. Xavier Gorce, 1er février 2018


L'adéquation des moyens mis en oeuvre



Ces obligations n'ont toutefois rien d'absolu. Depuis sa décision de Grande Chambre Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, la CEDH rappelle qu'il convient de "ne pas perdre de vue les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines, ni l’imprévisibilité du comportement humain ni les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources". Autrement dit, seule une obligation de moyens pèse sur les autorités en ce domaine et il appartient à la Cour d'apprécier l'adéquation des moyens mis en oeuvre, au regard de chaque cas d'espèce.

Dans son arrêt Opuz c. Turquie du 9 juin 2009, rendu précisément à propos de violences conjugales ayant conduit à une tentative de meurtre, la Cour précise sa méthode de contrôle et affirme qu'"il lui faut se convaincre que lesdites autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque".

En l'espèce, les autorités autrichiennes n'ont pas fait preuve d'immobilisme. Dès la première plainte déposée par madame Kurt, elles ont pris sans délai une ordonnance d'éloignement qui, selon le dossier, a été respectée. En 2012, après la seconde plainte, elles ont pris une seconde ordonnance, étendue au domicile des  parents de la requérante, et ont saisi les clefs du domicile conjugal que l'époux détenait toujours. En même temps, une information pénale pour violences conjugales et viol a été ouverte. Contrairement à l'affaire Talpis c. Italie jugée le 2 mars 2017,  dans laquelle la police italienne avait fait preuve d'une inertie remarquable alors qu'une femme avait déposé deux plaintes contre un époux particulièrement violent, les autorités autrichiennes ont elles agi avec célérité, dès qu'elles ont eu connaissance des violences commises. A l'époque où elles agissaient, il était impossible d'imaginer que Monsieur Kurt irait jusqu'à assassiner son propre fils contre lequel aucune menace n'avait été proférée. Il avait respecté la première ordonnance d'éloignement, se comportait calmement avec les policiers,  et rien n'indiquait qu'il était en possession d'une arme. Une telle escalade de la violence était donc imprévisible et la Cour en déduit à l'unanimité que les autorités n'ont pas violé le droit à la vie.

La décision Kurt c. Autriche s'inscrit ainsi dans une jurisprudence largement dépendante des cas d'espèce et qui s'est construite au fil des ans. Elle ne donnera sans doute pas satisfaction à ceux, et surtout à celles, qui revendiquent la construction d'un droit spécifique aux "féminicides" et, d'une manière générale, aux violences contre les femmes. Car cet arrêt nous enseigne que les violences familiales forment un tout et qu'une famille n'est pas seulement, et même pas nécessairement, composée d'un homme et d'une femme. Il convient certes de réprimer avec rigueur les violences contre les femmes, précisément pour mettre à l'abri la victime, protéger les enfants, et éviter l'escalade, mais c'est aussi l'ensemble du tissu familial qui doit être pris en considération. Il ne s'agit donc pas tant de créer un droit pénal "genré" que d'appliquer celui qui est en vigueur, et de l'appliquer rapidement.




mardi 2 juillet 2019

La proposition de loi contre les "violences éducatives ordinaires"


Le 2 juillet 2019, le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi sur l'interdiction des violences éducatives ordinaires, texte immédiatement requalifié par la presse en loi "anti-fessée". Cette proposition a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2018 par Maud Petit (MoDem, Val de Marne) et plusieurs de ses collègues. L'idée était dans l'air, car le 22 janvier 2019, Laurence Rossignol (Socialiste, Oise) a déposé une seconde proposition, devant le Sénat cette fois. Les deux textes sont relativement similaires et d'une extrême brièveté. Celle qui vient d'être adoptée comporte deux articles.

Le premier déclare que  "les enfants ont droit à une éducation sans violence. Les titulaires de l’autorité parentale ne peuvent user de moyens d’humiliation tels que la violence physique et verbale, les punitions ou châtiments corporels, les souffrances morales".

La Convention sur les droits de l'enfant


Une telle formulation suscitera certainement un large consensus au parlement et dans l'opinion. Qui, de nos jours, oserait faire l'éloge de la fessée ? Nul ne contestera qu'il s'agit de protéger les droits des enfants, conformément à l'article 19 de la Convention des droits de l’enfant de 1989, signée et ratifiée par la France, qui impose aux Etats de prendre " toutes les mesures législatives, (...)  appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitement (...), pendant qu’il est sous la garde de ses parents (...)".  Concrètement, la mesure essentielle de la proposition consiste à ajouter dans l’article 371 du code civil la précision selon laquelle l'autorité parentale "s'exerce sans violences physiques ou psychologiques". De fait, ces dispositions seront lues durant la célébration du mariage.

Observons tout de même que, contrairement à ce qui a été affirmé parfois, la loi n'a pas pour objet de mettre le droit français "en conformité avec la Convention". Il y était déjà, car l'enfant était déjà protégé par le code pénal. Il interdit toute violence envers les personnes et retient comme circonstance aggravante le fait que la victime soit un mineur de 15 ans ou un descendant en ligne directe. En cas de violences légères infligées à des enfants, les peines peuvent donc atteindre trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende (art. 222-13 du code pénal), ou cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende (art. 222-14 du code pénal). Ces dispositions ne sont en rien modifiées par la présente proposition de loi qui ne comporte qu'un volet civil.

Les bêtises. Sabine Paturel. 1985

Le "droit de correction"


Ces dispositions nouvelles conduiront-elles la Chambre criminelle de la Cour de cassation à faire évoluer sa jurisprudence ?  Dans un arrêt du 29 octobre 2014, elle invoquait l'existence d'un "droit de correction" reconnu aux parents, aux conditions toutefois qu'il ne cause aucun dommage à l'enfant,  qu'il reste proportionné au manquement commis et enfin qu'il soit dépourvu de caractère humiliant. Cette jurisprudence n'a pas été formellement écartée par la Cour de cassation et, là encore, la proposition de loi n'impose pas directement sa remise en cause. D'une part, rien n'interdit de réduire le "droit de correction" à des mesures particulièrement coercitives consistant à priver de dessert l'enfant récalcitrant ou à l'expédier le gamin agité dans sa chambre. D'autre part, la proposition de loi ne comporte, rappelons-le, aucune disposition pénale.

Reste évidemment à se demander comment sera appliquée la loi. Son article 2, ou plutôt son article second car c'est aussi le dernier, prévoit que le gouvernement remettra au parlement un rapport, un an après la promulgation de la loi, évaluant les besoins et moyens d'une "politique de sensibilisation, de soutien, d'accompagnement et de formation à la parentalité". Vaste programme qui montre bien que la loi n'est guère en mesure, à elle seule, d'empêcher la violence familiale. D'abord, parce qu'elle ne modifie que la définition de l'autorité parentale, ce qui signifie qu'elle ne pourra être invoquée qu'a posteriori, lorsque, pour une raison pour une autre, il s'agira de retirer l'autorité parentale à l'un des conjoints ou aux deux. Ensuite parce que le droit ne pénètre que difficilement dans la sphère de la vie privée.

L'attention des enseignants et leur formation pour qu'ils soient en mesure de déceler d'éventuelles violences physiques ou psychologiques, l'accroissement du nombre de travailleurs sociaux susceptibles de suivre et d'assister les familles en difficulté,  toutes ces politiques publiques sont certainement plus importantes qu'une formule un peu creuse que les parents n'entendront qu'une seule fois, lorsqu'ils se marient, si ils se marient. Mais précisément, la loi présente l'avantage d'offrir à l'opinion une belle formule déclaratoire, qui a l'avantage de faire plaisir à tout le monde, pour un coût extrêmement modeste.




samedi 29 juin 2019

Vincent Lambert : La Cour de cassation et le droit positif

L'assemblée plénière de la Cour de cassation,  par un arrêt du 28 juin 2019, marque le dernier épisode juridique, mais peut-être pas l'ultime, de l'affaire Lambert. Elle casse la décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 20 mai 2019, cassation sans renvoi dès lors qu'il s'agit d'affirmer l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître d'un tel contentieux. Il faut dire que la décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 3 mai 2019 ne manquait pas d'étrangeté.

La mère de Vincent Lambert, son demi-frère et sa soeur avaient d'abord saisi le Comité des droits des personnes handicapées (CIPDH) de l’ONU, instance composée d'experts et qui rend des "communications" au sens de l'article 1er du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006 par l’Assemblée générale des Nations Unies et ratifiée par la France en 2010. Le 3 mai 2019, le Comité avait demandé à l’Etat, d’une part, de fournir ses observations sur la requête dans un délai de six mois, d’autre part, de prendre les mesures nécessaires pour que les soins apportés à Vincent Lambert ne soient pas interrompus pendant l’examen de la requête. Le 7 mai, l'Etat avait fourni ses observations et informé le Comité qu'après examen attentif de sa demande, il n'était pas en mesure de mettre en oeuvre cette mesure conservatoire.

C'est donc ce refus qui a été contesté par la mère de Vincent Lambert. Annulant, à la surprise générale, une première décision d'incompétence rendue en première instance, la Cour d'appel avait prononcé une injonction, ordonnant  "à l'Etat (...) de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées (CIPDH) le 3 mai 2019". Elle était parvenue à un tel résultat au prix d'un incroyable "bricolage" de la voie de fait.

Résumé de la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation

Le bricolage de la voie de fait



Pour la Cour d'appel, les autorités françaises, en refusant d'exécuter ces mesures provisoires, avaient pris une décision insusceptible de se rattacher à leurs prérogatives puisqu’elle portait atteinte au droit à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, "attribut inaliénable de la personne humaine et (... ) valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme, et donc dans celle des libertés individuelles". Elle avait donc estimé ce refus constitutif d'une voie de fait.

La formule serait belle, si seulement elle tenait debout juridiquement. Moins lyrique, la Cour de cassation se borne à constater que "les conditions de la voie de fait n’étaient pas réunies". 

En effet, la décision de la Cour d'appel violait allègrement la jurisprudence du Tribunal des Conflits. Dans son arrêt de juin 2013  Bergoend c. Société ERDF Annecy Léman, celui-ci définit la voie de fait par deux critères cumulatifs, critères que la Cour d'appel bidouillait joyeusement pour conclure qu'ils étaient remplis.

Le premier exige que l'administration soit "manifestement sortie de ses attributions", parce qu'elle a pris un acte grossièrement illégal, ou parce qu'elle a exécuté un acte légal de manière grossièrement irrégulière. La Cour d'appel estimait donc qu'"en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité", la France avait pris un "acte insusceptible de se rattacher à ses prérogatives". La Cour de cassation se prononce évidemment dans un langage châtié, mais son propos laisse tout de même entendre que la Cour d'appel n'a pas manqué d'audace en osant considérer comme insusceptible de se rattacher aux prérogatives de l'Etat une décision dont la légalité a déjà été admise par le juges référés du Conseil d’Etat le 24 avril 2019 et par la Cour européenne des droits de l’homme le 30 avril 2019. On ne plaisante pas avec la jurisprudence de ces hautes juridictions...

Le second critère résulte, soit d'une atteinte au droit de propriété, soit d'une atteinte aux libertés individuelles. L'acrobatie juridique consistant à affirmer que le droit à la vie est un "attribut inaliénable de la personne humaine" et donc "la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme" pour enfin en déduire qu'il constitue une "liberté individuelle" au sens de l'article 66 ne tient pas longtemps devant la Cour de cassation.

L'article 66 vise en effet la "liberté individuelle" définit de manière étroite comme le droit de ne pas être arrêté ou détenu arbitrairement. Cette définition étroite est celle du Conseil constitutionnel. Celui-ci est intervenu sur QPC à propos précisément de la loi Léonetti portant sur les droits des patients en fin de vie. Dans sa décision du 2 juin 2017, il écarte ainsi un grief fondé sur le droit à la vie, comme il l'a toujours fait en matière éthique, aussi bien lorsqu'il s'agissait de contester le droit à l'IVG que la fécondation in vitro ou la recherche sur l'embryon. C'est aussi la définition de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt de 2015 portant déjà sur l'affaire Vincent Lambert, elle affirme que dans ce domaine qui touche à la fin de vie, comme dans celui qui touche au début de la vie, il convient de laisser une marge d'appréciation aux Etats, dont le système juridique peut ménager un équilibre entre le droit à la vie du patient et le choix d'arrêter un traitement maintenant artificiellement en vie. Le droit à la vie impose donc des devoirs à l'Etat mais n'a jamais été analysé comme un "attribut inaliénable de la personne humaine".

In fine, Mme Lambert se voit donc opposer des jurisprudences qu'elle avait elle-même suscitées, ce qui prouve qu'il existe une morale en matière de recours dilatoires.


Le CIPDH, le grand absent

 


L'analyse de la Cour de cassation s'arrête là, sans qu'il soit besoin d'invoquer d'autres moyens. Or la Cour aurait pu se prononcer sur l'illégalité, ou non, de ne pas appliquer une demande de mesure provisoire formulée par le CIPDH.  La question est donc écartée.

Certes la mère de Vincent Lambert pourra peut-être engager un nouveau recours, cette fois devant le juge administratif, contestant le refus des autorités françaises de se plier à la procédure d'enquête demandée par le Comité. Mais la France a déjà répondu aux demandes d'explications et il est sans doute possible que la demande de mesure provisoire soit inutile dès lors qu'il a déjà été répondu au fond. En outre, un tel recours ne porte pas atteinte au caractère exécutoire de la décision d'arrêt des soins qui a déjà été vainement contestée devant toutes les juridictions possibles et que le Comité n'est pas en mesure d'empêcher, puisqu'il ne rend pas de décision obligatoire.

En tout cas, cette abstention n'est pas sans avantages. Elle permettra aux partisans du caractère obligatoire des "recommandations" et autres "observations" des comités consultatifs chargés de la mise en oeuvre des conventions des Nations Unies de continuer à les voir comme de véritables juridictions. Quant à ceux qui considèrent qu'elles n'imposent aucune contrainte au droit interne, ils seront tout aussi confortés dans leur point de vue, dès lors que la Cour de cassation ne mentionne même pas ce point, comme si l'intervention du Comité était parfaitement sans influence sur les contentieux internes. Les débats doctrinaux vont donc pouvoir continuer, peut-être sans Vincent Lambert.


Sur le droit de mourir dans la dignité : Chapitre 7 section 2 § 2 A  du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.


jeudi 27 juin 2019

RIP : Relevé des compteurs et démocratie

Le recueil des soutiens à la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national d'ADP a été ouvert avec le décret du 9 juin 2019. Après quelques bugs au démarrage, la procédure fonctionne désormais et chacun peut se rendre sur le site spécialement ouvert par le ministère de l'intérieur pour déposer son soutien.

Cette procédure démocratique se déroulerait donc à la satisfaction générale, si seulement il existait un compteur des soutiens. C'est évidemment un élément important, de mobilisation pour les uns, d'information pour les autres.  Le ministère de l'intérieur ne s'est pas senti obligé d'en créer un.

Il justifie ce choix par le fait que la loi organique du 6 décembre 2013 ne prévoit pas un tel compteur. Mais cette justification ne satisfait pas, dès lors que si la loi n'oblige pas à créer un tel compteur, elle n'en interdit pas pour autant la création. Le décret du 11 décembre 2014 qui organise concrètement le recueil et la validation des soutiens ne se penche pas davantage sur cette question.

La protection des données


D'autres obstacles juridiques sont donc invoqués, et en particulier la protection des données personnelles des signataires.  Il s'agit essentiellement du nom et des prénoms de l'état civil, de la date et du lieu de naissance, ainsi que de la commune dans laquelle vote l'intéressé. Rien de bien sensible dans tout cela, mais il s'agit tout de même de données d'identification qui doivent être protégées. De fait, l'article 8 du décret de 2015 précise que seuls les agents du ministère de l'intérieur compétent, les membres du Conseil constitutionnel et l'INSEE peuvent accéder à l'intégralité du fichier.

Certes, mais le système permet tout de même d'accéder librement à certaines de ces informations : le nom, les prénoms et la commune de vote. Il est théoriquement possible de consulter l'ensemble de la liste, page par page. Encore faut-il être remarquablement patient, car chaque page, et il y en a des milliers, ne peut être consultée qu'après avoir passé l'obstacle de deux "captchas" successifs.

Le "captcha" n'a rien à voir avec un couvre-chef slave. Il s'agit d'une marque commerciale, brevet déposé par l'Université Carnegie-Mellon et qui permet, par une série de tests, de distinguer l'utilisateur humain du robot. Le site de recueil des soutiens à la proposition de loi sur ADP demande ainsi de compter les feux de signalisation dans des cases, et de recopier un assemblage improbable de lettres et de chiffres. Si l'on satisfait à ce double test à chaque page, on peut consulter la page. Le système autorise donc la communication de données d'identification, ce qui signifie que la protection des données personnelles ne peut guère être invoquée comme argument justifiant l'impossibilité d'opérer un comptage global.

Car si chacun peut, avec pas mal de patience, regarder si son voisin a signé, il n'est évidemment pas possible de reproduire l'opération à des milliers d'exemplaires, surtout lorsqu'il s'agit d'appréhender une fichier en perpétuelle évolution. Autrement dit, le site procure une sorte de gigantesque index des signataires, mais ne le compte pas. Ce n'est donc pas l'accès aux données qui est impossible, c'est le comptage.

Air du Catalogue. Don Giovanni. Mise en scène Michael Haneke.
Opéra de Paris. 2015

L'immédiateté


L'autre obstacle juridique invoqué se trouve dans la nécessité de s'assurer de la validité du soutien. Une fois qu'il est déposé, il est enregistré dans un délai de 48 heures, puis validé dans un second délai de cinq jours (article 4 du décret). Il s'agit en fait de contrôler la pièce d'identité déposée par l'électeur, et de s'assurer qu'il n'a pas déjà apporté son soutien. En bref, il faut éviter de faire voter les morts et de bourrer les listes comme on bourrerait les urnes.

Ces garanties sont indispensables, et elles distinguent le RIP de ces pétitions initiées par des personnes privées sur Change.org et sur tout autre site, et qui permettent de signer dix fois si l'on a dix adresses courriel.

Mais ce délai empêche-t-il la création d'un compteur ? Ne peut-on envisager un compteur qui mentionne les soutiens "non encore validés" à côté des soutiens "validés" ? Dans n'importe quel Sidaction ou Téléthon, on voit s'afficher sur l'écran notre télévision, le montant des "promesses de don". Personne n'ignore qu'il peut y avoir une différence entre ces promesses et ces dons, mais le chiffre constitue tout de même une information intéressante. Dans le cas du RIP, les soutiens ne sont pas invités à faire preuve de générosité, et on peut penser que l'écart entre les soutiens non validés et les soutiens validés est extrêmement modeste (même si, en l'absence de compteur, on n'en sait rien).

Si les pouvoirs publics redoutent la moindre distorsion, ils peuvent aussi créer un compteur qui se limitera à dénombrer les soutiens, après validation. N'est-il pas préférable de bénéficier d'un compteur qui ne soit pas en temps réel plutôt que pas de compteur du tout ? 

En tout état de cause, cette procédure de validation n'empêche pas la création d'un compteur. Et force est de constater que seul le ministère de l'intérieur dispose des instruments pertinents pour le mettre en oeuvre.


Le risque de Fake News



En attendant, les compteurs privés, plus ou moins improvisés et plus ou moins justes, prolifèrent. "CheckNews" de Libération a créé à compteur, d'abord à partir d'extrapolations, ensuite en exploitant une faille du système mis en place par le ministère de l'intérieur. Mais celui-ci s'est empressé de corriger son programme, montrant ainsi une volonté résolue d'empêcher tout comptage. D'autres sites, comme ADPrip.fr s'efforce aussi de compter les signataires en traitant un grand nombre d'informations grâce à la mise en réseau d'ordinateurs situés à l'étranger.

Ces sites s'efforcent probablement de fournir une information fiable, mais le risque existe de voir intervenir d'autres compteurs, plus ou moins désireux de manipuler l'opinion. On pourrait trouver amusant qu'un gouvernement qui n'a pas hésité à faire voter une loi sur les Fake News en période électorale, les encourage en matière référendaire par son simple refus de donner aux citoyens l'information à laquelle ils ont droit. Cette abstention risque d'être perçue comme une obstruction à un processus démocratique, et l'accusation est grave. Pour éviter ces accusations, le ministère de l'intérieur a encore le temps de mettre en place un compteur fiable, pourquoi pas le Ripothon

dimanche 23 juin 2019

Le projet de code de justice pénale des mineurs

Nicole Belloubet, ministre de la justice, diffuse un projet de code de justice pénale des mineurs qui devrait être adopté par ordonnance à l'automne. Il s'agit donc d'un document susceptible d'évolutions importantes, sous l'influence des avis de la commission supérieure de codification et du Conseil d'Etat,  puis des débats préalables à la loi d'habilitation.

Encore ! C'est sans doute ce que vont penser les spécialistes de la justice des mineurs, tant il est vrai qu'elle ressemble à ces chantiers perpétuellement en cours d'achèvement mais jamais achevés. L'ordonnance du 2 février 1945 a été réformée à de multiples reprises, et parfois à un rythme impressionnant (quinze fois entre 2007 et 2011). On peut espérer que la présente entreprise de codification aura au moins pour mérite de stabiliser un droit dans les méandres duquel même les spécialistes ont parfois des difficultés à s'orienter.

La spécificité de la justice des mineurs



Etrangement, cette stabilisation se fait au détriment de la spécificité de la justice des enfants. Les rédacteurs de l'ordonnance de 1945 concevaient la justice des mineurs comme une exception. Il ne s’agit pas tant, comme pour les majeurs, de juger un acte de délinquance, mais bien davantage de s’intéresser à celui qui l’a commis, dans une perspective globale qui cumule sanction et assistance éducative. La sanction est un élément du continuum éducatif, et l'ensemble repose sur l'idée qu'un mineur délinquant est, avant tout, un enfant en danger. 

Sur cette question, le projet cultive une étrange ambiguité. D'un côté, le simple fait qu'il y ait codification semble affirmer clare et intente la spécificité de la justice des mineurs. De l'autre, l'article 113-5 affirme que « les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale sont applicables aux mineurs sauf s’il en est disposé autrement par les dispositions du présent code ". Le message manque de clarté, et cette subsidiarité du code risque de provoquer de multiples difficultés d'interprétation.

 Y'a rien à faire. Les Compagnons de la chanson, 1964

La présomption d'irresponsabilité


La présomption d'irresponsabilité des mineurs de 13 ans (c'est-à-dire âgés de moins de 13 ans ou ayant atteint cet âge) est certainement l'élément qui a été le plus relayé dans les médias. Le seuil de responsabilité pénale est donc fixé à treize ans, sauf si le juge en décide autrement. Là encore, un principe est posé, allant dans le sens du traitement particulier des mineurs, mais il s'accompagne immédiatement d'une possibilité de dérogation offerte au juge.

Il est vrai que le droit était, sur ce point, relativement lacunaire. Le fait de poser un principe de responsabilité pénale, sans fixer l'âge à partir duquel elle s'exerce, pouvait apparaître comme une atteinte à la sécurité juridique. Sur ce point, la France se trouvait isolée en Europe, même si les Etats de l'UE se trouvent divisés sur ce point (8 ans en Ecosse et en Grèce ; 10 ans en Angleterre ; 12 ans aux Pays Bas, en Belgique et au Portugal, 14 ans en Espagne, Allemagne et Italie, 18 ans au Luxembourg). 

L'abstention française s'explique très largement par l'absence de consensus sur ce sujet. En 2008, le rapport Varinard proposait un seuil de douze ans, qui n'a pas été repris par le législateur. Plus récemment, en février 2019, le rapport d'information parlementaire sur la justice des mineurs révélait d'importantes divergences. L'un des rapporteurs (Cécile Untermaier, PS, Saône et Loire) souhaitait, comme le Défenseur des droits et le syndicat de la Magistrature que le seuil de 13 ans soit inscrit dans la loi, l'autre (Jean Terlier (LaRem, Tarn) préconisait le maintien du statu quo, laissait les juges apprécier le discernement de l'enfant. Il est très probable que les débats futurs refléteront ces divergences.


Les "sanctions éducatives"



Un point positif du projet réside dans une volonté de simplifier la justice des mineurs, l'ordonnance de 1945 étant devenue pratiquement illisible. Les "sanctions éducatives" encourues par les mineurs sont au nombre de quatre. L' "avertissement judiciaire" s'analyse comme un rappel à la loi. Viennent ensuite la "remise judiciaire à des personnes qui en ont la garde", le "suivi éducatif en milieu ouvert" et le "placement du mineur". Le suivi éducatif peut prendre des aspects très divers ; obligation de se présenter périodiquement devant certains services, de suivre des formations, mais aussi mesures de réparation à l'égard de la victime, d'insertion, de santé (placement dans un établissement médico-social). Ces mesures en elles-mêmes n'ont rien de bien nouveau et le projet de code se borne à mise en forme de l'existant.

En matière délictuelle, le projet envisage une "mise à l'épreuve éducative" de plusieurs mois, permettant au juge d'apprécier l'évolution du mineur entre une première audience de déclaration de culpabilité et l'audience de prononcé de la sanction. L'idée n'est sans doute pas mauvaise, à la condition que les services compétents aient les moyens de suivre efficacement cette mise à l'épreuve.


Le renforcement du rôle du parquet



Sur le plan procédural, le futur code semble s'orienter vers un renforcement du rôle du parquet, qui conduit à limiter l'intervention du juge des mineurs. L'article 211-14 du projet affirme ainsi que "le juge des mineurs est saisi aux fins d'ordonner des mesures éducatives provisoires, de les modifier ou de les rapporter, par réquisitions motivées du procureur de la République". C'est donc le parquet qui, après avoir conduit l'enquête, envisage la mesure éducative et le juge est saisi à l'issue de cette première procédure. Dans le cas d'une comparution immédiate, le mineur risque ainsi de ne connaître le juge que le jour de son jugement.

L'évolution est loin d'être neutre, car elle remet en question une tradition qui veut le juge des enfants se voie confier, non pas une affaire, mais un enfant, dans le but de le suivre dans une perspective globale d'assistance éducative.  On tend désormais à limiter l'intervention du juge au seul stade du jugement. Cette évolution était engagée depuis la décision QPC du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011, qui avait déclaré non conformes à la constitution les dispositions prévoyant que le juge des enfants qui procède à l’instruction de l’affaire est également le président de la formation de jugement.
Ces éléments, et il y en a bien d'autres, permettent de constater un rapprochement de la justice des mineurs avec le droit commun, élément d'une tendance lourde bien antérieure à l'actuel projet de codification. Elle coïncide globalement avec une volonté de renforcer la sévérité de la réponse pénale, à un moment où bon nombre de professionnels, enseignants, policiers, se plaignent de ne pouvoir gérer une délinquance de plus en plus violente. Certes, mais cette sévérité risque aussi de mettre en cause l'individualisation de cette même réponse pénale, l'idée même que la sanction doit s'intégrer dans une démarche éducative.

On pourrait espérer que les débats parlementaires permettront d'éclairer la démarche suivie et d'en renforcer la cohérence. Ce souhait risque pourtant d'être une sorte de voeu pieux. Alors même que le parlement avait initié une réflexion sur la justice des mineurs avec le rapport de février 2019, le gouvernement décide de procéder par ordonnance à cette codification. Certes, les ordonnances de l'article 38 n'interdisent pas le débat parlementaire, au moment de l'habilitation d'abord, à celui de la ratification ensuite. Mais le fait majoritaire risque de réduire ces débats à la portion congrue.




mardi 18 juin 2019

Parcoursup devant le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 juin 2019, juge qu'un syndicat étudiant n'est pas fondé à demander communication des algorithmes définis par les établissements d'enseignement supérieur dans le cadre de la procédure d'inscription Parcoursup. Heureusement, cette décision restera sans conséquence. Anticipant la décision du Conseil d'Etat, et sans doute désireux de mettre fin aux accusations d'opacité qui avaient marqué la première utilisation de Parcourssup en 2018,  le décret du 26 mars 2019 impose désormais aux établissement une publication "des critères généraux encadrant l'examen des candidatures (...)" (art. D. 612-1-5 du code de l'éducation). 

Doit-on en déduire que l'arrêt du Conseil d'Etat arrive après la bataille et que sa décision est dépourvue d'intérêt ? Pas tout à fait. Elle témoigne en effet de la conception que se fait la Haute Juridiction du principe de transparence administrative pourtant consacré par la loi.


La loi du 8 mars 2018



La décision semble reposer sur une application stricte de la loi du 8 mars 2018, celle qui précisément est à l'origine de Parcoursup. Son article 1er énonce  : "Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l'examen des candidatures", les obligations de transparence "sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise".

Une distinction est ainsi établie entre les deux étapes du traitement de Parcoursup par les Universités. Une première phase est d'abord menée à terme, à partir d'algorithmes, conduisant à un premier classement des candidats. Une seconde phase se conclut ensuite par une décision définitive prise par une équipe pédagogique. Les algorithmes ne sont alors qu'un outil de première phase, d'aide à une décision qui intervient en seconde phase. Dans son avis préalable à la décision du tribunal de Basse Terre, la CADA avait considéré que l'obligation d'information des candidats ne concernait que cette seconde phase, celle de la "délibération des équipes pédagogiques". Les algorithmes demeuraient donc secrets, précisément parce qu'ils relevaient de la première phase.

Le Conseil d'Etat simplifie considérablement le propos en s'appuyant directement sur le texte de l'article 1er de la loi : seuls les candidats peuvent obtenir la communication des informations, et donc des algorithmes. L'UNEF n'est pas candidate sur la plateforme Parcoursup. Elle ne représente pas davantage les candidats qui, étant encore lycéens, ne sauraient être représentés par un syndicat étudiant.

Tout cela serait juridiquement convaincant, si l'UNEF s'était placée sur le fondement de la loi de 2018 mais, au contraire, elle s'est présentée comme un citoyen lambda invoquant le droit commun de la transparence administrative.


Soirée étudiante après Parcoursup
Scène de la taverne. Les Contes d'Hoffmann. Offenbach  
Paris 2002

Le droit commun de la transparence administrative



Le syndicat fonde sa requête sur la loi générale qui reste applicable dans le cas d'une demande formulée par un tiers à la procédure. On doit reconnaître que cette demande s'inscrivait dans un contexte législatif et jurisprudentiel parfaitement cohérent. Il constituait d'ailleurs le fondement de l'injonction de communication prononcée par le tribunal administratif de Basse Terre le 4 février 2019.

L'UNEF s'appuie tout simplement sur la loi du 17 juillet 1978 désormais codifiée dans les articles L 311-1 et L 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, loi qui consacre l'existence d'un droit d'accès aux documents administratifs. Depuis un avis du 8 janvier 2015 DGFIP, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) estime ainsi sur ce fondement que le code source utilisé pour le calcul de l'impôt sur le revenu est un document communicable, principe confirmé par le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 10 mars 2016. Dans un avis du 23 juin 2016, Association Droits des Lycéens, la CADA s'était elle-même déclarée favorable à une transparence de même nature pour le code source du logiciel d'admission post-bac (APB), système qui a précédé Parcoursup.

La loi Lemaire pour une République numérique du 7 octobre 2016 ajoute ensuite les codes sources à la liste des documents administratifs communicables. Le décret du 14 mars 2017 précise que toute personne à laquelle est appliquée une décision issue d'un traitement algorithmique doit pouvoir obtenir communication des règles définissant ce traitement ainsi que des caractéristiques principales de sa mise en oeuvre. L'article L 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration (crpa) impose aux administrations la publication en ligne de ces algorithmes, lorsqu'ils fondent des décisions individuelles.  L'État a effectivement rempli cette obligation en mai 2018 pour le système centralisé Parcoursup. Cette publication conduit ainsi à élargir l'information aux tiers et non plus aux seuls candidats, mais elle ne concerne que l'algorithme mis en place par le ministère de l'enseignement supérieur, algorithme mis en oeuvre après la décision des établissements d'enseignement supérieur et qui permet évidemment de la remettre en cause, au nom sans doute de l'autonomie des universités.

Le tribunal administratif de Basse Terre s'était précisément fondé sur le droit commun, rappelant au passage que la communication des algorithmes des établissements d'enseignements supérieurs ne portaient pas atteinte au secret des délibérations. Ils ne sont qu'un outil d'aide à la décision et la décision finale demeure celle des équipes pédagogiques compétentes.

Le Conseil d'Etat réfute donc cette analyse. Sa motivation semble reposer sur un principe général d'interprétation du droit faisant prévaloir la loi spéciale, celle du 8 mars 2018 organisant Parcoursup, sur la loi générale que constitue le code des relations entre le public et l'administration. Ce faisant, il oublie totalement que les deux droits à la communication des informations n'ont pas les mêmes titulaires. Le droit d'accès de la loi de 2018 n'est exercé que par les candidats, le droit d'accès de droit commun est ouvert à n'importe quel administré, particulier, association ou syndicat. Ce tour de passe-passe juridique a  pour conséquence d'interdire aux tiers d'exercer un droit qui leur est pourtant reconnu par la loi.


Le secret, valeur à protéger



Même si le décret du 26 mars 2019 est venu, très opportunément, vider de son contenu cette analyse, elle témoigne d'une tendance générale qui vise à réduire autant que possible la transparence administrative.

On sait que celle-ci fut l'un des thèmes majeurs des libertés publiques dans les années soixante-dix, de l'accès aux données personnelles initié par la loi du 6 janvier 1978 à l'accès documents administratifs consacré par celle du 17 juillet 1978 en passant par l'accès aux archives de la loi du 3 janvier 1979 ou la motivation des actes administratif de celle du 11 juillet 1979. Ces textes étaient alors salués comme la "Troisième génération des droits de l'homme" (Guy Braibant) et autant d'avancées vers une véritable démocratie administrative.

Aujourd'hui, c'est le secret qui est mis en avant, secret fiscal pour justifier le maintien du verrou de Bercy, secret de la vie privée pour restreindre l'Open Data des décisions de justice, secret des affaires pour protéger les entreprises de différentes investigations. Le Conseil d'Etat, quant à lui, se retrouve ainsi sur un terrain qui lui est cher. Il a toujours plus ou moins considéré que l'accès des citoyens à l'information était un droit inutile, puisque, lui, "gardien des libertés publiques", avait communication des informations dans le cadre du recours contentieux. Puisque le Conseil d'Etat est là pour vous protéger, vous n'avez pas besoin de contrôler l'administration. Cette tendance n'a malheureusement pas disparu, alors que les juges devraient plutôt protéger un principe de transparence actuellement battu en brèche par une série de normes privilégiant le secret.