Le traité supérieur à la loi
Aux termes de l'article 34-1 du code civil, les maires célèbrent les mariages sous le contrôle du procureur de la République. René X. et Mohammed Y. ont donc été contraints de demander au juge l'annulation ou la main-levée de cette opposition. Ils ont obtenu satisfaction auprès des juges du fond, mais le parquet s'est pourvu en cassation.
L'article 4 de la Convention
La décision intervenue le 28 janvier 2015 donne le sentiment que la Cour privilégie l'économie de moyens. L'article 4 de la Convention franco-marocaine offre en effet au juge interne une soupape de sûreté. Il précise que la loi d'un des deux Etats désignés par la Convention peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat si elle est "manifestement incompatible avec l'ordre public". Tel est le cas, affirme la Cour de cassation, de la loi marocaine qui s'oppose au mariage des personnes de même sexe, puisqu'elle heurte directement le droit français.
Economie de moyens certes, mais cela ne signifie pas que la décision soit sans conséquences. Car la Cour de cassation affirme clairement que le droit au mariage est un élément de "l'ordre public" français.
La Cour ne donne guère de précisions, mais on peut penser qu'elle s'appuie sur la décision du 13 août 1993, par laquelle le Conseil constitutionnel consacre la "liberté du mariage" comme ayant valeur constitutionnelle, car elle est "une des composantes de la liberté individuelle". Dix ans plus tard, le 20 novembre 2003, il la rattache à la "liberté personnelle", et donc aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Ce fondement constitutionnel du droit au mariage laisse cependant entrevoir que la Cour de cassation aurait pu s'appuyer sur d'autres arguments. C'est d'ailleurs ce que suggéraient les juges du fond, et la Cour se donne la peine d'opérer une substitution de motifs, allant en quelque sorte du plus solennel au moins solennel, adoptant finalement la solution la plus simple, celle qui trouve son origine dans les termes mêmes de la Convention contestée.
Il convient de revenir brièvement sur les motifs écartés par la Cour, ceux auxquels la décision a en quelque sorte, échappé.
Georges Braque. Le couple. 1963 |
Les motifs écartés
Le premier motif possible résidait précisément dans ce fondement constitutionnel qui aurait très bien être explicité dans la décision. Depuis sa décision Pauline Fraisse du 2 juin 2000, la Cour reconnaît en effet que "l'article 55 de la Constitution ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle". Autrement dit, la supériorité des traités sur la loi trouve son fondement dans la Constitution, plus précisément dans son article 55. Rien n'interdisait donc de faire prévaloir la norme constitutionnelle sur le traité, et, en l'espèce, d'écarter la convention bilatérale, car elle emporte une violation du droit au mariage et surtout du principe d'égalité devant la loi. La Cour a sans doute préféré un fondement textuel à un fondement jurisprudentiel.
Un autre motif possible consistait à invoquer directement la Convention européenne des droits de l'homme, et le principe de non discrimination qu'elle garantit, pour affirmer sa supériorité sur la convention bilatérale. En l'espèce, la Cour de cassation ne mentionne pas ce motif, peut-être tout simplement parce qu'il n'a pas été soulevé dans le pourvoi. Certains juges du fond n'ont pourtant pas hésité à s'y référer, en particulier le TGI de Rennes, dans sa décision du 26 juin 2014, décision également rendue à propos d'une union franco-marocaine. Il n'en demeure pas moins qu'affirmer la supériorité d'une convention sur une autre, même multilatérale, n'a rien d'évident. On comprend que la Cour ait préféré l'éviter.
Une troisième motif, cette fois formellement écarté, figure dans la formule selon laquelle la convention franco-marocaine "ne heurte aucun principe essentiel du droit français". C'est sans doute l'ambiguité de la formule qui justifie que le motif ne soit pas retenu. Certes la Cour l'a déjà utilisée, dans un avis du 7 juin 2012 interdisant la transcription en France du jugement d'adoption plénière d'un enfant adopté en Grande Bretagne, par un couple homosexuel. La Cour d'appel avait refusé cette transcription, en se fondant sur la violation de l'article 346 du code civil, qui précise que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n'est par deux époux. La Cour de cassation écarte ce moyen, en affirmant que l'article 346 ne consacre pas un "principe essentiel reconnu par le droit français". Dans cet avis, l'ambiguité était volontaire. La formule permettait à la Cour de ménager la possibilité de transcrire un jugement d'adoption prononcé à l'étranger au profit d'un couple non marié. Il est très probable que, dans sa décision du 28 janvier 2015, la Cour n'a pas voulu considérer le principe de non-discrimination comme un "principe essentiel du droit français", qualification d'ailleurs inutile si l'on considère qu'il a déjà valeur constitutionnelle.
Enfin, quatrième et dernier motif écarté, la Cour mentionne que la convention ne heurte pas davantage "la conception française de l'ordre public international en matière d'état des personnes". La Cour aurait pu s'appuyer sur sa décision du 23 octobre 2013.' S'appuyant sur ce même article 4 de la Convention franco-marocaine, elle avait écarté la loi marocaine autorisant la répudiation de l'épouse par le mari, en invoquant sa contrariété avec la "conception française de l'ordre public international". Le refus d'adapter cette jurisprudence au domaine du mariage des couples de même sexe trouve sans doute son origine dans le fait qu'il n'existe aucun consensus international dans ce domaine. L'existence même de ces conventions bilatérales montre le contraire. Le mariage pour tous est rejeté au Maroc certes, mais aussi en Pologne, en Tunisie, au Laos, au Cambodge, au Vietnam, en Algérie, à Madagascar, et dans les Etats de l'ex-Yougoslavie.
La substitution de motifs opérée au profit d'un fondement textuel incontestable, l'article 4 de la Convention, présente l'avantage de poser une règle claire. La Cour résiste ainsi aux sirènes du droit naturel, à la tentation de consacrer des principes flous au contenu normatif incertain. L'inconvénient réside dans le fait que pour le moment, la Convention franco-marocaine est écartée, et seulement elle. Car tous les traités bilatéraux passés dans ce domaine n'ont peut-être pas un article 4 aussi commode permettant aux juges français de s'abstraire de systèmes juridiques parfois directement inspirés par la Charia. Il est donc probable que, dans les moins qui viennent, la Cour sera appelée à se prononcer sur d'autres mariages, avec des ressortissants d'autres Etats signataires de ce type de conventions. Elle aura alors à sa disposition toute une série de motifs pour garantir l'égalité devant le mariage, définitivement cette fois.