L'erreur de droit
White Heat. Raoul Walsh. 1949. James Cagney |
Le principe d'impartialité
De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par la Cour de cassation, dans sa décision du 13 janvier 2015.
Critères de l'impartialité
Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d'impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes. L'animosité à l'égard de l'accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. Tel n'est évidemment pas le cas en l'espèce, et la Cour préfère utiliser le second critère.
Celui-ci est présenté comme "objectif", parce qu'il s'agit de contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple : CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du 8 avril 2009. Elle y rappelle l'importance de l'impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil. Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité.
Dans le cas de l'affaire AZF, la Cour n'affirme en aucun cas que le magistrat exerçant en même temps des fonctions associatives dans un groupement visant à garantir les droits des victimes n'était pas impartial. Cette double fonction a cependant pour effet de semer le doute dans l'esprit des justiciables, et c'est ce doute même que sanctionne la Cour.
Le Conseil d'Etat en retrait
Doit-on en déduire que le principe d'impartialité à la fois constitutionnalisé et garanti par la Convention européenne des droits de l'homme est désormais parfaitement mis en oeuvre dans notre système juridique ? Certainement pas, car le Conseil d'Etat se place résolument en retrait. Dans un arrêt récent, du 13 novembre 2013, il a ainsi admis la légalité d'une sanction disciplinaire alors même que le directeur général de l'administration du ministère concerné avait pris toutes les décisions relatives à l'intéressé. Il avait ainsi décidé de son changement d'emploi, de la nomination de son successeur. Il avait établi et signé le rapport sur les faits qui lui étaient reprochés et demandant la saisine du Conseil de discipline. Pour faire bonne mesure, il l'avait d'ailleurs présidé lui-même.
Le fondement de la décision ne repose pas sur l'idée que le principe d'impartialité s'appliquerait avec moins de rigueur, voire pas du tout, aux sanctions disciplinaires. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue sur QPC du 25 novembre 2011, le Conseil constitutionnel énonce très clairement que le contraire, en affirmant que le principe d'impartialité s'impose (...) "lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition".
En réalité, l'origine de la décision repose sur une conception univoque de l'impartialité, celle qualifiée d'objective. Le Conseil se borne donc à affirmer qu'"il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait, dans la conduite des débats, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de l'intéressé". Cette formule est directement issue d'un arrêt Laniez du 15 mai 1960, tellement oublié qu'il ne figure même plus dans les bases de données recensant le droit en vigueur.
Le principe d'impartialité s'applique donc aujourd'hui avec une intensité variable selon que l'on s'adresse au juge judiciaire ou au juge administratif. Sur ce plan, on doit se réjouir de la décision AZF qui l'applique dans toute sa rigueur. Il n'en demeure pas moins que ce manquement, pas plus d'ailleurs que l'erreur de droit commise, n'aurait jamais dû existé. Comment un juge peut-il siéger alors que le conflit d'intérêts est patent, au point qu'il est susceptible de mettre en doute son impartialité ? Cette légèreté conduit à priver les victimes, celles-là même que les associations concernées se proposaient de protéger, de la réparation à laquelle elles sont en droit de prétendre. Situation paradoxale dans une affaire qui prend l'allure d'une catastrophe, judiciaire cette fois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire