Lefor-Openo. Affiche pour le referendum de 1958 |
Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
vendredi 26 avril 2013
Le referendum d'initiative partagée, vote en seconde lecture
mardi 23 avril 2013
Publicité politique et liberté d'expression
La liberté d'expression publicitaire
La Cour européenne considère que l'expression publicitaire doit effectivement être protégée par l'article 10 de la Convention. Dès un arrêt Casado-Coca c. Espagne du 24 février 1994, la Cour affirme ainsi qu'un message publicitaire relève de la liberté d'expression. En l'espèce, elle estime que les autorités espagnoles y portent une atteinte excessive en interdisant aux avocats de faire de la publicité pour informer les citoyens sur leur droit à l'assistance juridique. La Cour de cassation française ne raisonne pas autrement, lorsque, dans un arrêt du 19 novembre 1997, elle confirme la sanction pénale des responsables d'un journal, condamnés pour avoir diffusé une publicité en faveur du tabac. A ses yeux, une telle sanction constitue bien une ingérence dans la liberté d'expression, mais elle apparaît comme "nécessaire dans une société démocratique", dès lors qu'elle a pour finalité de protéger la sécurité publique.
Des restrictions "nécessaires dans une société démocratique"
Cette jurisprudence est claire : l'expression publicitaire entre dans le champ de la liberté d'expression. En revanche, les parlements nationaux peuvent en réduire la portée si cette restriction a un fondement législatif et si elle s'avère "nécessaire dans une société démocratique". Il en de même pour la publicité politique, et la Cour avait déjà admis ce principe, dans un arrêt Vgt Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse de 2001. A l'époque, il s'agissait déjà de la diffusion d'une publicité dénonçant les conditions jugées cruelles de l'élevage des porcs. La Cour ne nie pas que la loi suisse qui interdit la publicité politique à la radio et à la télévision s'analyse comme une ingérence dans la liberté d'expression. Elle constate, en revanche, que cette ingérence peut être considérée comme "nécessaire dans une société démocratique".
Un consensus contre la publicité politique payante
La mesure individuelle touchant l'ONG requérante ne pose guère de problème, car elle est évidemment conforme à la loi anglaise. ADI ne conteste pas être un lobby et vouloir agir sur les parlementaires britanniques pour les inciter à modifier la loi sur la protection des animaux. A ce titre, au sens de la loi anglaise, les activités d'ADI entrent dans le cadre de la publicité "politique".
L'essentiel du raisonnement de la Cour repose sur l'examen du choix législatif qui a conduit le Royaume Uni à limiter la publicité politique à la radio et à la télévision. Elle observe d'abord que la plupart des pays du Conseil de l'Europe ont fait le même choix et que seuls quatre d'entre eux n'imposent aucune restriction à la publicité politique payante (Autriche, Estonie, Finlande et Pologne). Sur ce point, le Conseil de l'Europe se montre très respectueux des choix des Etats. La recommandation no R (99) 15 du Comité des Ministres, modifiée en 2007, ne prend d'ailleurs pas position sur le fond, se bornant à indiquer que « si la publicité payante est autorisée, elle devrait être assujettie à certaines règles minimales (...) ». Le consensus européen est donc plutôt du côté de la méfiance à l'égard de cette pratique.
Quant à la loi britannique, la Cour observe qu'elle ne peut pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, et notamment celle des ONG. Ces dernières peuvent toujours s'exprimer dans la presse ou sur internet, médias qui ne sont pas soumis à des restrictions identiques. Il ne leur est pas davantage interdit de participer à des débats ou à des interviews à la radio et à la télévision, dès lorsque leur intervention ne s'analyse pas comme une publicité payante. Aux yeux de la Cour, la restriction à la liberté d'expression est donc très limitées, et ne saurait être perçue comme une violation de l'article 10 de la Convention.
Derrière cette jurisprudence, se dégage une volonté de préserver le débat politique des actions de lobbying de puissants groupes financiers. L'image des campagnes électorales américaines n'est certainement pas absente du raisonnement de la Cour, image de ce que l'Europe doit éviter. Nul n'ignore en effet que la publicité payante est très présente les campagnes électorales américaines, qui prennent la forme d'une course à l'argent, au sponsoring des grands groupes financiers qui ne manqueront, pas ensuite, de demander au nouvel élu de récompenser leurs efforts.
,
samedi 20 avril 2013
Le fichier des empreintes digitales devant la CEDH
En l'espèce, la Cour examine l'ensemble des principes gouvernant la collecte et la conservation des empreintes digitales sur le FAED. Elle observe ainsi que la durée de conservation est extrêmement longue, vingt-cinq ans et qu'une demande d'effacement des données personnelles a bien peu de chances de prospérer, puisqu'elle repose sur une décision du Procureur de la République. Or, la Cour considère que les membres du Parquet ne sont pas des magistrats indépendants, puisqu'ils sont placés sous l'autorité de l'Exécutif (CEDH, 23 novembre 2010, Moulin c. France). Il y a donc bien peu de chances que le Procureur autorise la suppression de données, alors que les autorités de police veulent que le FAED contiennent le plus grand nombre possible de références.
La Cour se borne cependant à mentionner ces éléments, sans s'attarder davantage, car elle s'appuie sur d'autres motifs, directement liés à la nature du fichier.
Imprécision des finalités du fichier
Le premier réside dans l'incertitude des finalités attribuées au fichier, dans la rédaction initiale du décret de 1987. Certes, il s'agit d'abord de "faciliter la recherche et l’identification des auteurs de crimes et de délits", finalité relativement claire. Mais le fichier doit également « faciliter la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires dont l’autorité judiciaire est saisie » (art. 3 al. 2 du décret de 1987). La formulation est alors beaucoup plus imprécise, et la Cour européenne fait observer qu'elle peut englober toutes les infractions, y compris les simples contraventions, dans la mesure où elles permettraient d'identifier les auteurs de crimes ou de délits. Or la jurisprudence de la Cour considère généralement qu'une ingérence dans la vie privée ne peut être justifiée que dans le but de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. La mesure est donc disproportionnée à ses yeux. On observe d'ailleurs que les autorités françaises n'ont pas attendu l'arrêt M.K c. France pour modifier ce texte. Un décret du 27 mai 2005 est donc venu modifier celui de 1987, pour limiter les relevés d'empreintes digitales aux seuls crimes et délits.
Le fichage des innocents
Le second motif développé par la Cour apparaît réside le fait que le FAED peut ficher, non seulement les personnes condamnées, mais aussi celles qui ne le sont pas. En l'espèce, les deux procédures diligentées contre M. K. se sont soldées par des décisions de relaxe ou de classement sans suite. Au moment où il demande l'effacement des données, il est donc juridiquement innocent. Pour les autorités françaises, ce fichage de personnes innocentes se justifie par la double finalité de la lutte contre les usurpations d'identité et de la poursuite des infractions pénales. Pour la Cour, ce fichage emporte un risque de stigmatisation de personnes qui n'ont été reconnues coupables d'aucune infractions et sont en droit de bénéficier de la présomption d'innocence. L'argument de la nécessité de la lutte contre l'usurpation d'identité est d'ailleurs considéré comme particulièrement dangereux, car il "reviendrait, en pratique, à justifier le fichage de l’intégralité de la population présente sur le sol français, ce qui serait assurément excessif et non pertinent".
Quel avenir pour "Titres électroniques sécurisés" ?
Cet argument fait irrésistiblement songer au problème du célèbre "fichier des honnêtes gens", officiellement nommé "Titres électroniques sécurisés" (TES), mis en oeuvre par la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité. Le législateur de l'époque, emporté par un élan sécuritaire et désireux de lutter efficacement contre l'usurpation d'identité, avait prévu la collecte et la conservation de données biométriques nombreuses pour toutes les personnes sollicitant un titre d'identité. Mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 mars 2012, avait censuré ces dispositions en estimant que le nombre des données biométriques conservées était disproportionné par rapport aux finalités poursuivies. Le "lien fort", choisi par le législateur, permettait en effet non seulement de repérer l'usurpation d'identité, mais aussi d'identifier à coup sûr l'usurpateur. Pour le Conseil constitutionnel, reprenant sur ce point la position de la CNIL, il était possible de lutter contre l'usurpation d'identité en utilisant un "lien faible", supposant la conservation d'une quantité plus limitée de données, en l'espèce les seules empreintes digitales.
Le Conseil constitutionnel n'avait pourtant pas censuré le TES au motif qu'il collectait des données sur l'ensemble de la population. Sur ce point, la décision du 18 avril 2013 fait peser une menace nouvelle sur ce "fichier des honnêtes gens" qui pourrait bien, un jour ou l'autre, susciter un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Et un fichier déclaré constitutionnel, sous certaines conditions il est vrai, par le Conseil constitutionnel risquerait alors d'être déclaré non conforme à la Convention européenne. Intéressante situation sur le plan juridique.
mardi 16 avril 2013
L'injure sur le "mur" de Facebook est-elle publique ou privée ?
Dimitri Vrubel. Bruderkuss. Peinture réalisée sur le mur de Berlin |
lundi 15 avril 2013
Le droit à l'instruction, et la sélection à l'Université
L'examen de droit. Gravure XIXè s. |
vendredi 12 avril 2013
La liberté de critique cinématographique
Un échange un peu vif...
Recours contre l'hébergeur
Absence de trouble manifestement illicite
La Cour d'appel rappelle que pour que la mise en ligne d'un article constitue un trouble manifestement illicite, il faut évidemment que le contenu de cette publication présente un caractère manifestement illicite. Sur cette question, la Cour répond par la négative, en s'appuyant sur deux arguments.
Le premier repose sur l'analyse, en quelque sorte textuelle, des échanges. La Cour fait observer la "radicalité" des propos de la réalisatrice, qui a créé un "rapprochement douloureux" "en ce qu'elle prétend que ceux qui considèrent les émotions humaines comme une abomination ou une faiblesse rejoignent Hitler". Dans ces conditions, les réponses du critique ne sont pas dirigées contre la personne de madame B., mais s'analysent comme un "désaccord sur la position de l'appelante, en termes certes vulgaires, mais demeurant dans le champ de la liberté de critique". Le trouble manifeste n'est donc pas constitué, puisque l'appelante s'était elle-même livrée à des excès de langage.
Bien que le recours ne se situe pas dans le droit de la presse, on trouve là un raisonnement assez analogue de celui qui existe en matière d'injure, avec l'excuse de provocation. Le juge la reconnaît, par exemple dans une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 mai 2006, lorsque l'injure a été proférée comme une "réaction immédiate et irréfléchie aux propos de la victime". Dans ce cas cependant, l'excuse de provocation n'a pas pour effet de supprimer la culpabilité de l'auteur des propos injurieux, mais peut fonder une décision le dispensant de peine. De la même manière, dans la décision du 4 avril 2013, la cour d'appel ne nie pas que l'auteur du blog a commis un excès de langage en demandant à la réalisatrice de "fermer sa g...", mais cet excès était une réaction un peu vivre contre des propos jugés eux-même particulièrement radicaux par le juge.
Le second argument, implicite cette fois, repose sur la prééminence de la liberté d'expression, et plus particulièrement de la liberté de critique cinématographique. Le juge reconnaît qu'un échange peut être vif lorsqu'il s'agit de donner son opinion sur une oeuvre de l'esprit et que le débat d'idées peut parfois se déployer dans un style pamphlétaire. On sait que la Cour européenne considère déjà que les journalistes et les hommes politiques doivent bénéficier, sur ce point, d'une indulgence particulière. Le débat auquel ils participent peut quelquefois être si vif qu'il serait considéré comme injurieux dans un autre contexte. Dans son arrêt Pragger et Oberschlick c. Autriche du 26 avril 1995, rendu à propos d'un article traitant d'"imbécile" le responsable d'un parti politique, la Cour européenne reconnaît que ce type de débat peut parfois comporter "une certaine dose d'exagération, voire de provocation". Aux journalistes et aux hommes politiques, il faut peut-être ajouter les critiques de cinéma qui ont aussi besoin de liberté de ton pour susciter le débat.
La décision de la Cour d'appel a quelque chose de rafraichissant, car elle constitue une sorte d'incitation à refuser la pression du "politiquement correct". Pour les lecteurs, c'est même une excellente nouvelle, car les débats sur les oeuvres de l'esprit ont toujours été percutants, voire insolents. On imagine ce que deviendrait la critique cinématographique s'il n'était plus possible d'écrire qu'un film est mauvais, quand bien même, ou parce que, il fait étalage de bons sentiments. On se trouverait alors tout simplement dans un régime de censure.