« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 23 avril 2013

Publicité politique et liberté d'expression

L'arrêt Animal Defenders International c. Royaume Uni, rendu par la Cour européenne le 22 avril 2013, laisse aux Etats une grande liberté pour organiser la diffusion de la publicité politique à la radio et à la télévision. Animal Defenders International (ADI) est une ONG basée au Royaume-Uni, qui milite contre la souffrance des animaux et leur utilisation à des fins commerciales, scientifiques ou récréatives. Elle se livre donc à des activités de lobbying pour faire évoluer l'opinion publique et les législations des Etats. En 2005, elle souhaite diffuser sur les télévisions britanniques une campagne intitulée "My Mate's a Primate" dirigée contre l'exhibition de primates dans les zoos et les cirques.

La liberté d'expression publicitaire

Au Royaume-Uni, comme en France, la publicité politique payante à la radio et à la télévision est interdite par une loi de 2003 sur les communications. En cas de doute sur la nature politique ou non du message envisagé, il est possible de saisir une autorité chargée de ce contrôle le Broadcast Advertising Clearance Centre (BACC), auquel a succédé, en 2008, Clearcast. A l'époque des faits, le BACC avait refusé l'autorisation de diffuser la publicité "My Mate's a Primate", au motif que les objectifs de l'ONG Animal Defenders International sont "totalement ou principalement de nature politique". C'est évidemment ce point que conteste l'association requérante, estimant que la loi britannique porte atteinte à la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne considère que l'expression publicitaire doit effectivement être protégée par l'article 10 de la Convention. Dès un arrêt Casado-Coca c. Espagne du 24 février 1994, la Cour affirme ainsi qu'un message publicitaire relève de la liberté d'expression. En l'espèce, elle estime que les autorités espagnoles y portent une atteinte excessive en interdisant aux avocats de faire de la publicité pour informer les citoyens sur leur droit à l'assistance juridique. La Cour de cassation française ne raisonne pas autrement, lorsque, dans un arrêt du 19 novembre 1997, elle confirme la sanction pénale des responsables d'un journal, condamnés pour avoir diffusé une publicité en faveur du tabac. A ses yeux, une telle sanction constitue bien une ingérence dans la liberté d'expression, mais elle apparaît comme "nécessaire dans une société démocratique", dès lors qu'elle a pour finalité de protéger la sécurité publique.


La publicite politique aux Etats Unis
Romney Girl. Août 2012

Des restrictions "nécessaires dans une société démocratique"

Cette jurisprudence est claire : l'expression publicitaire entre dans le champ de la liberté d'expression. En revanche, les parlements nationaux peuvent en réduire la portée si cette restriction a un fondement législatif et si elle s'avère "nécessaire dans une société démocratique". Il en de même pour la publicité  politique, et la Cour avait déjà admis ce principe, dans un arrêt Vgt Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse de 2001. A l'époque, il s'agissait déjà de la diffusion d'une publicité dénonçant les conditions jugées cruelles de l'élevage des porcs. La Cour ne nie pas que la loi suisse qui interdit la publicité politique à la radio et à la télévision s'analyse comme une ingérence dans la liberté d'expression. Elle constate, en revanche, que cette ingérence peut être considérée comme "nécessaire dans une société démocratique".

Un consensus contre la publicité politique payante

La mesure individuelle touchant l'ONG requérante ne pose guère de problème, car elle est évidemment conforme à la loi anglaise. ADI ne conteste pas être un lobby et vouloir agir sur les parlementaires britanniques pour les inciter à modifier la loi sur la protection des animaux. A ce titre, au sens de la loi anglaise, les activités d'ADI entrent dans le cadre de la publicité "politique".

L'essentiel du raisonnement de la Cour repose sur l'examen du choix législatif qui a conduit le Royaume Uni à limiter la publicité politique à la radio et à la télévision. Elle observe d'abord que la plupart des pays du Conseil de l'Europe ont fait le même choix et que seuls quatre d'entre eux n'imposent aucune restriction à la publicité politique payante (Autriche, Estonie, Finlande et Pologne). Sur ce point, le Conseil de l'Europe se montre très respectueux des choix des Etats. La recommandation no R (99) 15 du Comité des Ministres, modifiée en 2007, ne prend d'ailleurs pas position sur le fond,  se bornant à indiquer que « si la publicité payante est autorisée, elle devrait être assujettie à certaines règles minimales (...) ». Le consensus européen est donc plutôt du côté de la méfiance à l'égard de cette pratique. 

Quant à la loi britannique, la Cour observe qu'elle ne peut pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression, et notamment celle des ONG. Ces dernières peuvent toujours s'exprimer dans la presse ou sur internet, médias qui ne sont pas soumis à des restrictions identiques. Il ne leur est pas davantage interdit de participer à des débats ou à des interviews à la radio et à la télévision, dès lorsque leur intervention ne s'analyse pas comme une publicité payante. Aux yeux de la Cour, la restriction à la liberté d'expression est donc très limitées, et ne saurait être perçue comme une violation de l'article 10 de la Convention.

Derrière cette jurisprudence, se dégage une volonté de préserver le débat politique des actions de lobbying de puissants groupes financiers. L'image des campagnes électorales américaines n'est certainement pas absente du raisonnement de la Cour, image de ce que l'Europe doit éviter. Nul n'ignore en effet que la publicité payante est très présente les campagnes électorales américaines, qui prennent la forme d'une course à l'argent, au sponsoring des grands groupes financiers qui ne manqueront, pas ensuite, de demander au nouvel élu de récompenser leurs efforts.

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2 commentaires:

  1. Excellent article.

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  2. Je tiens également à souligner le caractère clair et concis de cette article quant aux enseignements à tirer de l'arrêt ADI c. Royaume Uni.

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