« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 4 avril 2013

La notion de harcèlement, selon Littré

L'arrêt rendu le 13 février 2013 par la Chambre sociale de la Cour de cassation précise la notion de harcèlement, en insistant sur le caractère répété des agissements constitutifs de l'infraction. En l'espèce, il s'agissait de harcèlement moral. Le requérant, employé à la Caisse d'Epargne se plaignait d'une mise au placard particulièrement pénible. Alors que l'ensemble des salariés de l'agence avaient déménagé dans des locaux modernes, il avait en effet été abandonné pendant plus de deux mois dans des locaux vétustes, difficiles d'accès et fermés au public. Son ordinateur ne disposait d'aucune connexion extérieure, pas davantage que son téléphone.

La Cour rappelle les termes de l'article L 1152-1 du code du travail qui dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Rappelons que ces dispositions, issues de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, figurent, exactement dans les mêmes termes, dans l'article 222-33-2 du code pénal qui punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € les actes de harcèlement commis dans les relations de travail.

Les critères du harcèlement moral

Pour le juge, le harcèlement s'apprécie à partir de trois critères cumulatifs. D'une part, les conséquences du traitement dont le salarié fait l'objet doivent être évidentes, tant au regard de sa carrière que de sa santé physique ou psychologique. D'autre part, ses conditions de travail doivent porter atteinte à sa dignité, ce qui signifie que le harcèlement s'inscrit toujours dans une relation d'autorité, une volonté d'humilier l'intéressé, le plus souvent dans le but de briser sa volonté pour le conduire à l'arrêt maladie ou à la démission. Sur ce point, il n'est pas rare que le harcèlement soit systématiquement organisé, dans un but de réduction des effectifs. Enfin, dernier critère et le plus important au regard de la décision du 13 février 2013, le caractère répété des agissements de l'employeur.

Dessin de Siné


Le caractère répété ou persistant du harcèlement

Le harcèlement n'est jamais déduit d'une seule mesure touchant le salarié, par exemple un changement de poste de travail ou un refus de lui attribuer des compétences. Ce caractère répété peut être interprété de manière large comme étant constitué par la persistance des agissements en cause pendant une durée suffisamment longue pour avoir des conséquences physiques ou psychologiques pour la victime. Peu importe que ces agissements soient purement verbaux, dès lors qu'ils sont répétés, et la Cour de cassation, dans une décision du 12 décembre 2006, estime que le salarié d'une agence immobilière qui trouve spirituel de parler "petit nègre" à l'un de ses subordonnés d'origine centrafricaine est l'auteur d'un harcèlement moral. Peu importe aussi que ce harcèlement se déroule sur une durée relativement courte, comme en l'espèce. En effet, le salarié de la Caisse d'Epargne n'aura finalement passé que deux mois dans cette situation, avant d'obtenir une nouvelle affectation. Mais, durant ces deux mois, il a subi une série de brimades persistantes que le juge du fond aurait dû qualifier de harcèlement. La Chambre sociale a d'ailleurs affirmé, dans une décision du 26 mai 2010, qu'il résulte du code du travail "que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période", dès lors évidemment qu'il présentent un caractère répété. 

Cette définition a été validée par la Cour de cassation, dans une décision du 11 juillet 2012 qui refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant précisément sur l'article L 1152-1 du code du travail. Certes, la Cour fait observer que la constitutionnalité de cette disposition a déjà été examinée, lorsque le Conseil a examiné la loi de modernisation de 2002 dans laquelle elle figurait. Mais la Cour éprouve le besoin de rappeler que l'infraction est définie de manière suffisamment précise par la loi, dès lors que "les faits commis doivent présenter un caractère répété et avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (...)"

Et le harcèlement sexuel ?

Cette insistance sur le caractère répété du harcèlement doit être rapprochée de la nouvelle loi du 6 août 2012 portant cette fois sur le harcèlement sexuel. On sait que ce texte  a été voté après la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions anciennes par la décision du Conseil constitutionnel datée du 4 mai 2012. A l'époque, le Conseil s'était fondé sur l'absence de précision et de lisibilité de la loi qui définissait le harcèlement sexuel comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Cette définition tautologique écartait donc non seulement le critère d'autorité, mais aussi celui fondé sur le caractère répété des agissements du harceleur.

La loi du 6 août 2012 modifie l'article 222-33 du code pénal et sanctionne "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant". En ce qui concerne le caractère répété de l'agissement fautif, la circulaire d'application exige seulement qu'il se soit produit "à deux reprises", ce qui constitue, on en conviendra, le minimum en matière de "répétition". 

Dans le second alinéa de ce même article, le législateur énonce en outre qu'"est assimilé à un harcèlement sexuel" le fait, "même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle (...)". Dans ce cas, la mention du caractère répété de l'acte disparaît purement et simplement. On est alors confronté à une pratique dont la qualification est obscure, un acte "assimilé" à un harcèlement, sanctionné comme un harcèlement, mais qui n'est pas réellement un harcèlement. De quoi plonger les juges du fond dans un abîme de perplexité lorsqu'ils devront se prononcer. Ce principe d'assimilation d'une infraction à une autre est-il d'ailleurs, en soi, conforme au principe de lisibilité de la loi ? La question mérite au moins d'être posée.

La décision rendue par la Cour de cassation le 13 février 2013, a le mérite de revenir à la définition classique de la notion de harcèlement. Pour le Littré, harceler, c'est "tourmenter, inquiéter par de petites mais de fréquentes attaques". Pour le Petit Robert, c'est "soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants", définition sensiblement identique à celle du Larousse : "soumettre quelqu'un à d'incessantes petites attaques". La réitération est ainsi un élément de la définition du harcèlement. Si le droit positif veut répondre aux principes de lisibilité et de clarté de la loi, il serait sans doute souhaitable d'utiliser une notion unique du harcèlement, applicable à la fois en matière sexuelle et morale, et conforme à celle qui est en usage dans le langage courant, c'est à dire compréhensible par tous. C'est bien peu demander.

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