« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Marwa. Trier par date Afficher tous les articles
Affichage des articles triés par pertinence pour la requête Marwa. Trier par date Afficher tous les articles

samedi 11 mars 2017

Marwa et le droit de mourir dans la dignité

La question de la fin de vie a été largement évoquée, dans les années récentes, à travers le cas de Vincent Lambert, jeune homme en état de conscience minimum dont la famille se déchire. Les uns souhaitent arrêter les traitements et le laisser s'éteindre dans la dignité, les autres demandent qu'il soit maintenu en vie, espérant une improbable amélioration de son état. Aujourd'hui, un autre cas est porté devant le juge des référés du Conseil d'Etat qui s'est prononcé par une ordonnance du 8 mars 2017 Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille.

Marwa, est une enfant qui à l'âge de dix mois, en septembre 2016, a été atteinte par un grave virus ayant causé des lésions neurologiques définitives. Elle est désormais entièrement paralysée, ne peut respirer sans être ventilée et doit être alimentée par perfusion. Devant une telle situation, l'équipe médicale de l'hôpital de La Timone à Marseille a décidé l'arrêt des traitements en novembre 2016. Mais les parents de l'enfant refusent cette décision. Ils obtiennent sa suspension du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, d'abord par une ordonnance avant-dire-droit du 4 novembre 2016 qui demande une expertise médicale, puis par une seconde ordonnance du 8 février 2017 qui estime que les conditions exigées par la loi Léonetti pour interrompre les traitements ne sont pas réunies, du moins pour le moment. C'est ce que confirme le juge des référés du Conseil d'Etat, saisi en appel par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille. Cette décision enjoint donc à l'équipe médicale de continuer les soins dispensés à l'enfant. 

Cette ordonnance ne doit pas être considérée comme une décision de principe qui donnerait une interprétation définitive des dispositions de la loi Léonetti et qui devrait, dans un avenir plus ou moins lointain, susciter une autre décision ordonnant le maintien du traitement de Vincent Lambert. Au contraire, le juge des référés insiste sur le fait que toute décision dans ce domaine est une décision particulière, précision déjà donnée dans l'arrêt du 24 juin 2014 Rachel L. portant sur le cas de Vincent Lambert.  

L'urgence et le fond


La particularité de ce contentieux réside d'abord dans l'étendue des pouvoirs du juge des référés. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ». Ces dispositions indiquent donc que le juge des référés ne peut faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale que lorsque cette atteinte est "manifestement illégale". En l'espèce, la liberté en cause est le droit de toute personne à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

L'ordonnance du 8 mars 2017 commence par assouplir assez sensiblement ce caractère "manifestement illégal". En l'espèce, le juge des référés s'autorise à contrôler si la continuation du traitement de l'enfant peut, ou non, s'analyser comme une "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti. Aux termes de l'art. L 1110-5 al. 2 du code de la santé publique (csp), une telle obstination est caractérisée lorsque "les actes de prévention, d'investigation ou de soins (...) apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". A titre exceptionnel, le juge s'autorise donc à pénétrer dans un contrôle de légalité classique qui n'est plus limité au contrôle de la disproportion manifeste habituellement exercé en matière d'urgence. Cet élargissement est, à l'évidence, lié au caractère irrémédiable de la décision du juge. Le refus de suspendre la décision aurait en effet eu pour conséquence immédiate d'entrainer l'interruption des soins, et donc le décès de l'enfant. Sur le plan purement contentieux, il aurait pu sembler choquant que ce décès intervienne à la suite d'une décision du juge des référés, rendant inutile le contrôle de légalité exercé par les juges du fond.

Dans le cas présent, le juge des référés s'interroge donc sur la légalité de la décision d'interrompre le traitement au regard des conditions posées par la loi Léonetti. Il s'appuie essentiellement sur deux éléments pour justifier son illégalité, deux éléments qui constituent autant de différences avec l'affaire Lambert. 


ça n'arrive qu'aux autres. Nadine Trintignant 1971
Musique de Michel Polnareff

Obstination déraisonnable ou non 


Le juge contrôle d'abord si les conditions posées par l'article L 1110-5 csp sont réunies, justifiant l'interruption du traitement. Les soins traduisent-ils un "obstination déraisonnable", n'ont-ils pas d'autre objet que "le seul maintien artificiel de la vie" ? Dans le cas de lésions cérébrales graves, comme c'est le cas en l'espèce, les médecins peuvent se fonder sur une diversité d'éléments dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des "circonstances particulières à chaque patient", le conduisant "à appréhender chaque situation dans sa singularité". Or, au moment où le  juge est saisi, l'état de conscience, ou d'inconscience, de l'enfant ne semble pas réellement stabilisé. Si les médecins de l'équipe soignante insistent sur le caractère irréversible des lésions, l'expertise demandée par le tribunal administratif de Marseille est plus nuancée. Il n'est pas exclu, à ses yeux, que l'enfant ait un certain niveau de conscience que sa paralysie lui interdit d'exprimer. Devant une telle situation, le juge des référés du Conseil d'Etat estime qu'il n'est pas encore possible d'envisager l'évolution future de l'état de l'enfant, et que l'arrêt des traitements ne peut donc pas encore être envisagé. 

Le juge se montre donc particulièrement prudent et impose à l'équipe médicale de montrer, dans la durée, le caractère irréversible des lésions cérébrales de l'enfant. De cette analyse, on doit d'abord déduire que le juge n'interdit pas à l'équipe médicale d'entreprendre une nouvelle démarche dans les mois, ou peut être les années, qui viennent. Et si l'état de l'enfant ne s'est pas amélioré, le juge n'exclut pas de statuer différemment. Sur ce point, le cas de Marwa est très différent de celui de Vincent Lambert, plongé dans un état végétatif depuis maintenant une dizaine d'années, sans qu'une amélioration sensible ait été observée. Seule la mère de Vincent Lambert pense que l'état de son fils pourrait s'améliorer, et cette opinion est vigoureusement contestée par les expertises.

La volonté de la famille


Dans l'affaire Marwa, le juge des référés ne se fonde pas seulement sur l'état de l'enfant mais aussi sur la volonté de ses parents. Ces derniers refusent tous deux l'interruption du traitement et ce sont eux qui jouent un rôle essentiel dans la procédure. En l'absence de directives anticipées rédigées par le patient lui-même, ce qui est à l'évidence impensable pour une enfant de dix mois, la loi Léonetti prévoit que l'interruption des traitement peut être effective à l'issue d'une procédure collégiale réunissant les médecins traitants, qui se prononcent après avis de la "famille" (art L. 111-4 csp). En l'espèce, l'avis de la famille est négatif, et le juge estime qu'une décision aussi grave ne peut être prise dans de telles conditions.

Cette prise de position du juge trouve certaine son origine dans le sentiment de compassion qu'il éprouve à l'égard des parents de l'enfant et sans doute aussi dans la volonté d'éviter des contentieux particulièrement longs. Sur un plan strictement juridique, la loi Léonetti précise pourtant que les membres de la famille doivent être "consultés". Leur avis n'est que consultatif et l'équipe médicale peut prendre la décision d'arrêter un traitement, même dans l'hypothèse où cet avis est négatif. Le problème est que cette rigueur juridique est bien délicate à mettre en oeuvre lorsqu'une famille n'est pas en mesure d'accepter l'inacceptable. A leur manière, les juges décident donc de laisser du temps au temps. Le temps pour les médecins de démontrer le caractère irréversible des lésions, le temps pour les parents de le comprendre et de l'accepter.

Là encore, la situation est bien différente dans l'affaire Vincent Lambert. Dans son cas, la famille est loin d'être unanime et elle est même extrêmement divisée. Si la mère du jeune homme refuse tout interruption des traitements, son épouse et son frère souhaitent au contraire le laisser s'éteindre dans la dignité. Il faut bien reconnaître que, dans cette affaire, le temps a plutôt permis de cristalliser les conflits plutôt que de les résoudre.

L'ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat le 8 mars 2017 montre finalement que la loi Léonetti définit un cadre juridique, librement interprété par le juge. Il est vrai qu'il y est incité par le Code de la santé publique qui rappelle que chaque cas est un cas particulier, qui doit être apprécié dans sa globalité. Le résultat, et c'est le seul point commun entre le cas de Vincent Lambert celui de Marwa, est que l'intervention de la famille devient prépondérante, ce qui n'était sans doute pas dans l'esprit initial de la loi. Le concept même de jurisprudence est-il encore pertinent dans un contentieux où il n'existe que des cas d'espèce très différents et donc le seul point commun est leur caractère tragique ?


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 8 section 4 § 1 C du manuel de libertés publiques sur internet


lundi 5 juin 2017

La fin de vie devant le Conseil constitutionnel

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le droit de la fin de vie, dans une décision rendue  sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 2 juin 2017 à la demande de l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésésLa loi du 22 avril 2005, puis celle du 2 février 2016, n'avaient en effet pas été déférées au Conseil au moment de leur vote. Ce n'est pas surprenant si l'on considère qu'un consensus parlementaire est généralement recherché sur les sujets éthiques. En témoigne le fait que le texte le plus récent était défendu à la fois par Jean Léonetti (LR Alpes Maritimes) et par Alain Claeys (PS Vienne). A l'issue de la procédure, il n'existait donc pas de majorité parlementaire suffisamment structurée pour saisir le Conseil.

C'est donc par la voie de la QPC que le Conseil déclare aujourd'hui conforme à la Constitution la procédure d'arrêt des traitements, lorsque le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté et qu'il n'a pas laissé de directives anticipées ou n'a pas désigné un tiers de confiance susceptible de la faire connaître. En l'espèce, les dispositions contestées sont les articles L 1110-5-1, L 1110-5-2 et L 1111-4 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de la loi du 2 février 2016. Ce sont eux qui prévoient que l'arrêt des traitements est une décision de l'équipe médicale, précédée d'une procédure consultative par laquelle les proches peuvent rapporter la volonté du patient, ou plus simplement donner leur propre avis si cette dernière n'est pas clairement établie.

Droit à la vie et dignité de la personne humaine


L'association requérante invoque le droit à la vie. Elle n'a sans doute pas beaucoup d'espoir de le voir pris en considération par le Conseil constitutionnel, mais on pourrait dire qu'il s'agit là d'un passage obligé. En matière éthique, le droit à la vie a toujours été invoqué, et toujours en vain, pour contester aussi bien le droit à l'IVG que la fécondation in vitro ou la recherche sur l'embryon. Les réticences du Conseil s'expliquent sans doute par son caractère induit, car le Conseil constitutionnel le considère comme la conséquence du principe de dignité. Ce dernier figure dans le Préambule de 1946 et a été consacré par le Conseil comme principe à valeur constitutionnelle par la  décision du 27 juillet 1994.

De fait, le Conseil observe que le soin de préciser le contenu du droit à la vie relève de la compétence du législateur, et de lui seul, conformément à l'article 34 de la Constitution. Il précise ainsi "qu'il appartient au législateur de fixer es garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles une décision d’arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne". Et il ajoute, selon une formule désormais bien connue qu'il "ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement".

Le parlement a donc décidé de confier à l'équipe médicale, et non pas à la famille du patient, le soin de prendre la décision d'arrêt des traitements. Ce choix a été largement débattu et il repose sur le volonté de ne pas faire peser sur les proches la responsabilité d'un choix extrêmement difficile.

Si l'association requérante n'obtient pas satisfaction sur le fond, ce qui était largement prévisible, la décision donne au Conseil l'occasion de rappeler un certain nombre de principes de nature procédurale particulièrement utiles à la mise en oeuvre d'un droit récent et souvent mal compris.

Le droit à un recours juridictionnel effectif


Depuis sa décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel déduit l'existence d'un droit au recours juridictionnel effectif des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : 'Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Il est désormais acquis, en particulier depuis la décision Albin R. du 25 novembre 2011, que cet article 16 fait partie des "droits et libertés que la Constitution garantit" et peut donc être invoqué à l'appui d'une QPC.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas l'absence de droit au recours, tout simplement parce que la décision de l'équipe peut parfaitement être contestée devant le juge administratif. C'est ainsi que le Conseil d'Etat s'est prononcé le 24 juin 2014 sur la décision de suspension du traitement de Vincent Lambert, en état végétatif depuis presque une dizaine d'années. De la même manière, le juge des référés du Conseil d'Etat a accepté d'élargir les conditions du référé pour suspendre la décision d'arrêter les traitement de la petite Marwa, par une ordonnance du 8 mars 2017.

S'il n'accueille pas le grief tiré de l'absence de droit au recours, le Conseil constitutionnel prend soin de formuler deux réserves d'interprétation précisant les garanties procédurales qui doivent le faciliter.

Georges Brassens. L'Ancêtre. 1969

Les réserves d'interprétation

 

Il impose d'abord la notification formelle de la décision prise par l'équipe médicale à l'ensemble des personnes consultées. Certes, il est très probable que cette formalité était déjà mise en oeuvre mais force est de constater qu'elle ne figurait pas expressément dans la loi Léonetti ni dans le décret du 2 février 2016 précisant l'organisation de la procédure consultative. Il s'agit là d'une simple précision, mais elle se révélera sans doute fort utile dans un domaine marqué par l'existence de graves conflits familiaux, comme dans l'affaire Lambert.

La seconde réserve réside dans une obligation de célérité liée à une utilisation privilégiée de la procédure de référé. Le Conseil affirme ainsi que le recours "doit pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée". En insistant ainsi sur l'intérêt du référé pour les parties, le Conseil constitutionnel valide implicitement l'élargissement de ses conditions réalisée par le juge des référés, dans l'affaire Marwa.

Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ». Ces dispositions indiquent donc que le juge des référés ne peut faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale que lorsque cette atteinte est "manifestement illégale". Dans l'affaire Marwa, le juge des référé s'autorise à contrôler si la continuation du traitement de l'enfant peut, ou non, s'analyser comme une "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti. Il pénètre donc dans un contrôle de légalité classique qui n'est plus limité au contrôle de la disproportion manifeste habituellement exercé en matière d'urgence. Cet élargissement est, à l'évidence, lié au caractère irrémédiable de la décision du juge. Le refus de suspendre une telle décision a pour conséquences, rappelons-le, d'entraîner l'interruption des soins et donc le décès de la personne. Dans ce cas très particulier, le Conseil d'Etat a admis d'intégrer le contrôle de légalité dans la procédure de référé, et le Conseil constitutionnel, en insistant sur l'intérêt du référé, valide cette pratique.

Comme souvent dans ces domaines sensibles, la QPC a un effet absolument opposé à ce qu'attendait l'association requérante. Au lieu de fragiliser la  procédure d'arrêt des soins et la loi Léonetti, elle la renforce. Même les réserves d'interprétation sont destinées à assurer que l'arrêt des soins n'interviendra qu'à l'issue d'une procédure rigoureuse, marquée par une consultation formelle avec la famille et lui offrant une large possibilité de recours. Mais il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la loi Léonetti est maintenu : la suspension des traitements demeure une décision de l'équipe médicale.


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 8 section 4 § 1 C du manuel de libertés publiques sur internet

vendredi 5 janvier 2018

Inès : la jeune fille et la mort

Le 5 janvier 2018, le juge des référés du Conseil d'Etat a refusé de suspendre la décision d'arrêt de soins prise par l'équipe médicale en charge du cas de la jeune Inès, en état végétatif depuis six mois. Appliquant la loi Léonetti-Claeys du 2 février 2016, il autorise ainsi les médecins, malgré l'avis contraire des parents, à interrompre la ventilation et à procéder à l'extubation d'une enfant de quatorze ans. Si cette décision est exécutée, son décès devrait intervenir dans les heures ou les jours qui suivent l'interruption des traitements.

Compte tenu de l'importance de l'enjeu, puisqu'il s'agissait de se prononcer sur une décision susceptible d'entrainer le décès la patiente, l'ordonnance de référé a été prise par un collège de trois juges, à l'issue d'une audience réunissant les avocats du centre hospitalier et ceux des parents de l'enfant.

Une autorisation, pas une injonction

 

L'ordonnance est très soigneusement motivée. Le juge précise d'abord qu'il appartiendra au médecin compétent d'apprécier "si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée", compte tenu des circonstances. Il devra également prendre des mesures pour assurer la sauvegarde de la dignité de la patiente et lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. L'ordonnance de référé s'analyse donc comme une autorisation d'interrompre le traitement, pas comme une injonction. 

Au regard de l'ensemble de la jurisprudence antérieure, il demeure évident que cette décision devait être prise, aussi cruelle soit-elle. Il n'était en effet pas possible de statuer autrement, sans vider de son sens la loi Léonetti et le droit de mourir dans la dignité qu'elle met en oeuvre. Toutes les conditions mises à son application étaient en effet réunies.

L'obstination déraisonnable


La loi Léonetti affirme que les traitements peuvent être interrompus lorsqu'ils révèlent une "obstination déraisonnable", c'est-à-dire lorsqu'ils « apparaissent inutiles, disproportionnés et n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". Tel est malheureusement le cas dans le cas d'Inès qui souffrait depuis longtemps d'une myasthénie auto-immune sévère. En juin 2017, elle a été trouvée inanimée à son domicile, à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire. Prise en charge au CHRU de Nancy, tous les examens ont montré une évolution neurologique défavorable et une absence totale de réactivité. Les médecins n'ont rien pu faire si ce n'est placer l'enfant sous ventilation et assurer son alimentation et son hydratation par sondes. Au moment où intervient le référé, elle est dans un coma profond depuis six mois, en "maintien artificiel de la vie", au sens de la loi Léonetti, et la durée même de cette situation traduit une "obstination déraisonnable".

Sur ce plan, la situation d'Inès est différente de celle de la petite Marwa, affaire jugée par le tribunal administratif de Marseille en mars 2017. Il s'agissait alors d'une enfant de dix mois victime d'un virus provoquant de graves dommages cérébraux. A peine deux mois après l'apparition de la maladie, les médecins proposent l'interruption des traitements. Mais, au moment où le  juge est saisi, l'état de conscience, ou d'inconscience, de l'enfant ne semble pas tout-à-fait stabilisé. Si les médecins de l'équipe soignante insistent sur le caractère irréversible des lésions, les expertises sont plus nuancées. Un expert sollicité par le tribunal ne semble pas exclure que l'enfant ait un certain niveau de conscience que sa paralysie lui interdit d'exprimer. Devant une telle situation, le juge des référés du tribunal administratif estime qu'il n'est pas encore possible d'envisager l'évolution future de l'état de l'enfant, et que l'arrêt des traitements ne peut donc pas encore être envisagé. La situation de Marwa ne relève pas de l'acharnement thérapeutique ou de l'"obstination déraisonnable" au sens de la loi de 2016.




La jeune fille et la mort. Franz Schubert. Quatuor Alban Berg

La procédure


Dans le cas d'Inès, l'équipe médicale a appliqué la procédure fixée par la loi. En l'absence de directives anticipées rédigées par le patient lui-même, précaution possible mais peu probable dans le cas d'une enfant de quatorze ans, la loi Léonetti prévoit que l'interruption des traitements peut être effective à l'issue d'une procédure collégiale réunissant les médecins traitants et un expert extérieur au service, qui se prononcent après avis de la "famille". Dans le cas de Vincent Lambert, on sait que les premiers juges avaient estimé que, dans un contexte de conflit familial, la consultation devait être élargie à l'ensemble des proches du patient. Dans celui d'Inès, la situation est juridiquement plus simple car le code de la santé publique prévoit que, dans le cas d'un patient mineur, ce sont les titulaires de l'autorité parentale qui sont consultés (art L. 111-4 csp). 

L'ordonnance de référé précise que parents d'Inès s'opposent à l'arrêt des traitements pour des motifs religieux et qu'ils pensent même qu'une hospitalisation à domicile permettrait d'améliorer l'état de leur fille. Les médecins considèrent, quant à eux, qu'un tel projet n'est pas réaliste "compte tenu de la gravité de l’état de la patiente, de son caractère irréversible et de la lourdeur des soins qu’il impliquerait de délivrer en permanence". Le juge des référés se borne à mentionner cette divergence. Il n'a pas besoin de l'arbitrer car, au sens de la loi, les parents d'Inès ne sont pas titulaires du pouvoir de décision. 

Celui-ci appartient à l'équipe médicale, et le Conseil constitutionnel l'a clairement rappelé dans sa décision QPC du 2 juin 2017 : « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel (...) de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l’absence de volonté connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d’obstination thérapeutique déraisonnable, une décision d’arrêt ou de poursuite des traitements. ». La décision est celle des médecins, et le législateur l'a précisément voulu ainsi pour ne faire peser sur la famille du patient une responsabilité trop lourde. Le Conseil constitutionnel ajoute que les proches du patient, s'ils sont en désaccord avec la décision prise, peuvent toujours saisir le juge d'une demande de référé. 

La décision s'appuie ainsi sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'elle mentionne d'ailleurs expressément. Elle fait observer que, dans le cas d'Inès, la procédure s'est déroulée conformément à la loi, que ses parents ont été entendus, qu'un rapport d'expert indépendant a été demandé. In fine, le juge des référés refuse, logiquement, de suspendre la décision d'interruption des traitements.

Il convient de rappeler qu'une demande de référé-liberté ne s'accompagne pas nécessairement d'un recours au fond. La décision des médecins est donc immédiatement exécutoire. Mais les parents d'Inès n'ignorent pas que ceux de Vincent Lambert ont aussi été confrontés à une ordonnance de référé déclarant légale la décision d'arrêt des traitements. C'était le 24 juin 2014. Ils ont ensuite subi un nouvel échec devant la Cour européenne des droits de l'homme, le 6 juin 2015. La voie contentieuse ne leur étant pas favorable, ils ont donc utilisé d'autres moyens. Par diverses pressions et intimidations, ils ont obtenu la démission du chef de service dans lequel leur fils était hospitalisé, et la désignation d'un nouveau médecin a permis de reprendre la procédure au début...Les parents d'Inès vont-ils, à leur tour, adopter une tactique de guérilla juridique ou, au contraire, laisser leur fille s'éteindre dans la dignité ?


Sur le droit de mourir dans la dignité : Chapitre 7 section 2 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet version e-book, version papier

vendredi 26 avril 2019

Vincent Lambert : la troisième procédure

Le juge des référés du Conseil d'Etat, dans une ordonnance du 24 avril 2019, refuse de suspendre la décision prise par le chef du service de soins palliatifs du centre hospitalier universitaire de Reims de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de Vincent Lambert. Les contentieux sur cette affaire se suivent et se ressemblent. Ils sont le fruit d'un conflit qui oppose les membres de la famille de ce jeune homme, victime d'un accident de moto en 2008.
 
Depuis cette date, il est en état de conscience minimum, ne reçoit aucun traitement médical particulier, car les médecins n'ont pas d'espoir qu'il puisse retrouver conscience et autonomie, même partielle. Il est nourri et hydraté artificiellement, et c'est précisément l'interruption de cette alimentation que demande une partie de sa famille. Une partie seulement, sa femme et son frère, car ses parents veulent que Vincent soit maintenu en vie, position dictée par leurs convictions religieuses et un espoir de guérison auquel ils refusent de renoncer. Derrière cette tragique querelle de famille, l'enjeu est la mise en oeuvre de la loi Léonetti du 22 avril 2005 qui consacre le droit de mourir dans la dignité. 

Elle permet à chacun de désigner une "personne de confiance" ou de rédiger des "directives anticipées" faisant connaître ses souhaits dans une telle situation. Vincent Lambert, âgé d'une trentaine d'années au moment de son accident, n'avait pas songé à prendre de telles précautions. Dans cette hypothèse, lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la loi prévoit que l'arrêt du traitement peut être décidé par le chef de service, à l'issue d'une procédure collégiale réunissant les médecins traitants, qui se prononcent après avis de la "famille" ou, à défaut, "des proches" du patient (art. L 111- 4 cps).


Trois procédure successives

 

 
Le passé contentieux de l'affaire Lambert est aujourd'hui très lourd. Le présent référé concerne la 3è procédure d'arrêt des soins engagée à l'initiative de l'épouse de Vincent Lambert, les deux précédentes ayant été interrompues ou rendues ineffectives par l'action de ses parents, contentieuse ou non.
 
La première procédure a été interrompue par une ordonnance de référé rendue le 11 mai 2013 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. A l'époque, les médecins avaient consulté l'épouse et le frère de Vincent Lambert, mais n'avaient pas recueilli l'avis de ses parents, éloignés géographiquement. On a donc recommencé la procédure en l'élargissant à l'ensemble de la famille. 
 
La seconde procédure à été menée à son terme juridique. Dans sa décision du 24 juin 2014, le Conseil d'Etat a refusé de suivre l'analyse des parents de Vincent Lambert qui estimaient que l'alimentation et l'hydratation de leur fils ne constituait pas un "traitement" au sens de la loi Léonetti. Le Conseil d'Etat a au contraire considéré ces soins comme des actes médicaux, même s'ils n'ont "pas d'autre effet que le maintien artificiel de la vie". Tirant les leçons de cette jurisprudence, la seconde loi Léonetti du 2 février 2016 affirme clairement que "la nutrition et l'hydratation artificielles constituent un traitement". Quoi qu'il en soit, la procédure est cette fois menée à terme, et la Cour européenne des droits de l'homme confirme l'analyse du Conseil d'Etat en rejetant le recours des parents le 5 juin 2015. Alors qu'il n'y a, en principe, plus de recours possible, d'autres techniques sont explorées... et le médecin chef de service de l'hôpital de Reims finit par quitter ses fonctions, reconnaissant publiquement avoir fait l'objet de pressions et de menaces s'il mettait en oeuvre la décision du Conseil d'Etat.

Une troisième procédure est donc engagée, car on reprend à chaque fois au début, c'est-à-dire à la consultation de la famille. En effet, dans un nouvel arrêt de 2017, le Conseil d'Etat précise que la décision de son prédécesseur n'engageait pas le nouveau chef de service, se fondant sur l'article R 4127-5 csp qui énonce que "le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". C'est cette troisième procédure qui est l'objet de l'ordonnance de référé du 24 avril 2019, sachant qu'elle a été émaillée de nouveaux contentieux parasites, les parents de Vincent Lambert ayant successivement contesté la tutelle confiée à son épouse et ayant essayé d'obtenir le transfert de leur fils dans un autre établissement. Malgré tous ces écueils, la procédure s'est tout de même terminée par une nouvelle décision d'interruption des soins.
 
 
 
Voutch, 2019

 

Les motifs de la décision

 

 
Les motifs développés par le juge des référés du Conseil d'Etat n'apportent rien de nouveau au dossier. Les premiers éléments sont d'ordre médical, et la décision s'appuie sur l'avis d'un collège d'experts. Contrairement à ce qu'affirmaient les parents de Vincent Lambert qui croyaient déceler une amélioration de l'état de leur fils, les experts constatent "un état végétatif" (...) avec des "lésions cérébrales, graves et étendues (...) qui sont irréversibles". La situation médicale du patient est identique à celle de 2014, à l'exception "d'éléments minimes d'aggravation". 

Sur ce plan, cette décision s'inscrit dans une jurisprudence qui inscrit les expertises médicales dans la durée. Le caractère irréversible des lésions ne peut être apprécié immédiatement, et il convient d'être certain que l'état du patient ne connaît aucune amélioration. Dans l'affaire Marwa, le juge des référés, intervenant le 8 mars 2017, suspend ainsi la décision d'interrompre le traitement d'une enfant de deux ans atteintes de graves lésions cérébrales à la suite d'une infection virale survenue quelques mois auparavant. Le juge estime que les médecins doivent prendre le temps nécessaire pour montrer leur caractère irréversible, délai qui présente aussi l'avantage de ménager la famille de l'enfant. 

Figurent aussi dans la décision des éléments non médicaux, le juge faisant référence à la précédente décision du Conseil d'Etat, rendue en 2014. A l'époque, le juge avait relevé que, lors de la première procédure consultative, des proches de Vincent Lambert avaient fait état de propos qu'il avait tenus avant son accident, mentionnant que, dans une telle situation, il ne souhaitait pas faire l'objet d'une "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti.

Cette décision du juge des référés constitue certainement une étape importante vers la reconnaissance du droit de Vincent Lambert de mourir dans la dignité. Ce n'est pourtant pas la dernière car ses parents ont déjà annoncé leur intention de saisir, une nouvelle fois, la Cour européenne des droits de l'homme. Il est très peu probable que la Cour déclare leur requête recevable, mais ce nouveau recours permet à ses parents de repousser l'échéance de quelques semaines, ou de quelques mois. En tout cas, il est certain qu'elle ne pourra sans doute pas être indéfiniment repoussée.


 






Sur le droit de mourir dans la dignité : Chapitre 7 section 2 § 2 A du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.