Les menus de substitution, à Tassin-la-demi-lune
Le jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon le 22 octobre 2024 ne fait pas exception. Le 6 juillet 2016, une délibération du conseil municipal de Tassin-la-demi-lune porte sur le renouvellement de l'affermage du service public de restauration scolaire, à compter d'août 2016. En demandant au conseil municipal de se prononcer sur le choix du délégataire, il est expressément mentionné "qu'au sein du cahier des charges et dans la mise en oeuvre de la délégation, il n'est pas prévu de mettre en place des menus de substitution".
La Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) a demandé, en 2022, à la commune l'abrogation de cette délibération, et, devant son refus, il a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une double demande. D'une part, le juge est sollicité en excès de pouvoir pour déclarer illégal le refus d'abroger la décision. D'autre part, il lui est demandé d'enjoindre à la commune de rétablir ces menus.
Observons d'emblée que la requête n'est pas tardive, même si elle intervient des années après la décision. En effet, l'article L 243-2 du code des relations entre le public et l'administration précise que "l'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé".
Et précisément, dans son jugement, le tribunal de Lyon donne une complète satisfaction à la LICRA. Elle annule la délibération litigieuse, ajoutant que cette annulation implique que la commune revienne au statu quo ante, c'est-à-dire à l'offre de menus de substitution.
Doit-on pour autant affirmer, comme le font les commentateurs, que la délibération violait le principe de laïcité ? En réalité, il n'en est rien, et cette analyse sommaire, que le juge ne mentionne évidemment pas, repose sur une confusion entre les motifs du juge et ceux de la délibération du conseil municipal.
Georges d'Espagnat. circa 1925
Du menu de substitution à la substitution de motifs
Or la jurisprudence est beaucoup plus libérale que l'on pourrait le penser. La question des menus de substitution dans les cantines scolaires a déjà été évoquée dans un arrêt du Conseil d'État rendu le 11 décembre 2020. A l'époque, le juge avait annulé la délibération du conseil municipal de Châlon-sur-Saône supprimant ce type de menu. Certes, mais c'était pour ajouter immédiatement qu'il n'est ni obligatoire ni interdit pour une collectivité locale de proposer aux élèves des repas différenciés selon leurs contraintes alimentaires. En d'autres termes, les élus peuvent faire ce qu'ils veulent.
Mais pas pour n'importe quel motif. Le problème est que, à Tassin-la-demi-lune comme à Châlon-sur-Saône, les élus avaient formellement appuyé leur décision sur le principe de laïcité et la neutralité du service public qu'il impose. Le maire de Tassin-la-demi-lune invoquait même un "document sur la laïcité" rédigé par l'association des maires de France.
Précisément, le simple fait de fonder la décision sur le principe de laïcité est une erreur de droit. Le juge fait observer qu'aucune disposition législative n'interdit de distribuer des menus de substitution pour des motifs liés au principe de laïcité. Mais aucune disposition n'impose non plus de distribuer ces menus, et la décision du tribunal administratif de Dijon de 2017 allant dans ce sens au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant a été annulée par la Cour administrative d'appel de Lyon le 23 octobre 2018.
Les commentateurs qui se réjouissent de cette décision au nom du droit à la liberté religieuse oublient de dire que les élus auraient pu se fonder sur un autre motif. Le Conseil d'État les y incitait dans son arrêt du 11 décembre 2020, en leur donnant la recette pour ne pas encourir ses propres foudres. Il leur suffit de fonder leur décision, non sur la neutralité ou la laïcité, mais tout simplement sur les nécessités du service, contraintes techniques, faiblesse du personnel de cuisine, coût de ces repas individualisés.
Le tribunal administratif, le 22 octobre 2024, reprend à son compte ces efforts d'information. Il fait observer aux élus qu'il "leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public", mais cette exigence s'apprécie à l'aune "des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités". Autrement dit, il suffit à la commune d'invoquer des contraintes financières, et malheureusement ces dernières sont de plus en plus lourdes, pour justifier son refus de servir des repas de substitution.
Rien de nouveau donc dans la jurisprudence récente. On note, avec un peu d'amusement, que l'argument du respect de la laïcité n'est pas plus efficace pour refuser les menus de substitution que pour saluer l'annulation de ce refus.
Reste tout de même à prendre note de la formidable hypocrisie du droit. Le législateur n'a jamais osé s'intéresser à ce sujet, qu'il a abandonné au droit mou, notamment au documents de l'Association des maires de France, et à la jurisprudence. Les élus se débrouillent comme ils peuvent, et le Conseil d'État en est réduit à leur souffler discrètement une méthode pour interdire les menus de substitution, sans toucher au principe de laïcité. Hélas, le maire de Tassin-la-demi-lune n'avait pas lu la jurisprudence du Conseil d'Etat. Mais maintenant qu'il est mieux éclairé, rien ne lui interdit de faire voter au conseil municipal une nouvelle délibération, avec de nouveaux motifs. A l'heure où le budget des communes connaît des coupes sombres, il n'est pas difficile d'en trouver.