« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 10 janvier 2012

La privatisation de la sécurité : création du CNAPS

Le 9 janvier 2012, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a procédé officiellement à l'installation du CNAPS, acronyme désignant le tout nouveau "Conseil national des activités privées de sécurité". Alain Bauer, "criminologue" officiel, candidat à toutes les présidences de toutes les structures créées dans le domaine de la politique sécuritaire, par ailleurs créateur d'une entreprise privée d'audit et de consultation dans ce domaine, a, comme il se doit, été élu Président de cette nouvelle instance. Il sera assisté d'un directeur, le préfet Jean-Yves Latournerie, désigné par le décret du 26 décembre 2011. 

Une communication réussie

Le CNAPS trouve son origine dans la loi du 14 mars 2011 sur la sécurité intérieure, dite Loppsi 2, ou plus exactement dans un amendement gouvernemental déposé devant le Sénat. Selon les éléments de langage diffusés par la presse, cet amendement trouve son origine dans le rapport remis au ministre de l'intérieur le 7 juin 2010 rédigé conjointement par l'inspection générale de l'administration et les inspections générales de la police (IGPN) et de la gendarmerie (IGGN). Ce rapport Blot, du nom de son rapporteur, aurait en effet préconisé la création d'une telle structure, afin d'organiser le contrôle de l'Etat sur ses entreprises privées de sécurité. Le conditionnel s'impose cependant, car le rapport Blot n'est pas publié et reste introuvable sur le site de ministère de l'intérieur, qui affecte pourtant une page spéciale au téléchargement des rapports des inspections générales. 

On trouve en revanche beaucoup de documents témoignant du désir des professionnels privés du secteur de bénéficier d'un tel encadrement. Le Président du syndicat national des entreprises de sécurité (SNES) déclarait ainsi, dans une interview,  : "Nous sommes pour l'instauration, enfin !, d'un interlocuteur unique pour la profession, que le SNES attend et réclame depuis des années. C'est là une avancée considérable dont nous nous félicitons". Ce point de vue, que l'on retrouve à peu près dans les mêmes termes, à l'Union des entreprises de sécurité privées (USP), n'a rien à voir avec la langue de bois d'usage dans ce type de situation. Il reflète au contraire parfaitement la position des professionnels du secteur, qui perçoivent le CNAPS comme un instrument d'organisation, indispensable dès lors que ces entreprises emploient  environ 165 000 personnes. 

La communication, parfaitement réussie, du ministère de l'Intérieur a donc pour objet de laisser croire que la création du CNAPS est seulement un instrument au service de l'Etat, alors qu'elle est aussi l'instrument de la privatisation de la sécurité.

Un instrument au service de l'Etat

Le nom de la nouvelle structure laisserait volontiers entendre qu'il s'agit d'une autorité indépendante, d'autant que l'organe délibérant est pompeusement qualifié de "collège". En réalité, le CNAPS n'est rien d'autre qu'un établissement public administratif, et le fameux "collège" ressemble fort à un conseil d'administration. 

La mission du Conseil, si l'on en croit la communication officielle, est de "faire le ménage", c'est à dire d'octroyer un agrément aux entreprises de sécurité, afin de "moraliser" un secteur qui comprend aussi bien les détectives privés que les gardiens d'immeuble en passant par les convoyeurs de fond et les agents de surveillance ou de vidéosurveillance. Pour effectuer cette mission de police administrative, le CNAPS disposera de 215 experts répartis sur l'ensemble du territoire, et qui auront pour mission de traquer les officines douteuses, celles qui ne respectent pas les règles organisant le secteur. 

Cette mission n'a rien de nouveau cependant, et depuis la loi du 12 juillet 1983, les activités privées de sécurité font l'objet d'une réglementation qui se traduit par l'octroi d'un agrément, matérialisé par une carte professionnelle (décret du 9 février 2009). La réforme actuelle se borne donc à transférer cette activité de police administrative des préfectures au CNAPS. 

De la même manière, le Conseil pourra être saisi par n'importe quel citoyen désirant se plaindre des agissements illégaux ou contraires à la déontologie d'une entreprise de sécurité privée, et, le cas échéant, prononcer des sanctions. Là encore, la défunte Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), créée 2000, exerçait cette mission avec une indépendance plus large, puisqu'il s'agissait d'une autorité administrative indépendante et non pas d'un établissement public. On peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle fonction, car la CNDS avait été saisie de quatre plaintes portant sur des entreprises de sécurité privée entre 2000 et 2010, soit environ une tous les deux ans. 

Morris et René Gosciny. Lucky Luke contre Joss Jamon. 1958

Un instrument au service de la privatisation de la sécurité

On le voit, le CNAPS est sans doute un instrument au service de l'Etat, mais ses missions ne sont guère innovantes. On constate en revanche que les principales bénéficiaires de la création de ce nouveau établissement public sont les entreprises privées elles mêmes.  

L'affirmation peut surprendre, et pourtant... Sur le plan structurel, on observe que les professionnels du secteur ont obtenu une très large représentation au sein du conseil d'administration. On y trouve en effet 8 représentants des professionnels du secteurs, 13 de l'Etat, et quatre "personnalités qualifiées' (dont Alain Bauer). S'ils sont minoritaires sur le papier, les professionnels constituent une minorité suffisamment puissante pour pouvoir tirer parti de tous les soutiens dont elle disposera, et ils sont nombreux, parmi les "personnalités qualifiées" et les représentants des autorités publiques. 

De même, l'article 19 de la loi de finances rectificative pour 2011 prévoit que l'institution nouvelle sera financée par une taxe de 0,5 % des ventes de prestation de service d'activité de sécurité privée. Le budget annuel, fixé à environ 13 millions €, sera donc largement le produit de l'activité du secteur privé de la sécurité. Autant dire que le contrôle de ces entreprises est financé par elles-mêmes, ce qui leur confère évidemment un poids non négligeable dans la nouvelle institution. 


D'un côté, le gouvernement actuel a besoin des entreprises privées pour assurer des missions de sécurité que les forces et de gendarmerie ne peuvent plus assumer, faute des moyens nécessaires. La privatisation de la sécurité lui paraît la solution idéale pour vendre du sentiment de sécurité aux citoyens, sans pour autant investir dans la sécurité. De l'autre côté, celui des entreprises, le CNAPS permet une organisation en lobbying et une légitimité toute neuve, dans le cadre d'une institution entièrement tournée vers la privatisation de la sécurité. Ces petits arrangements entre amis apporteront sans doute des bénéfices substantiels à ceux qui considèrent la sécurité, non pas comme un service public, mais comme un marché.

samedi 7 janvier 2012

Le principe démocratique face aux 500 signatures

Les candidats aux élections présidentielles ont jusqu'au 16 mars 2012 pour présenter leurs 500 signatures. Certains ont beaucoup de difficultés pour obtenir ces indispensables "présentations" qui conditionnent leur éligibilité. Christine Boutin (PCD), Philippe Poutou (NPA), Marine Le Pen (FN) affirment ne pas être certains de pouvoir finalement être candidats. D'autres ne le disent pas, mais rencontrent les mêmes difficultés. Cette règle de procédure peut elle conduire à interdire purement et simplement à certains candidats de défendre leurs chances à l'élection présidentielle ?

La question ne relève pas seulement du droit électoral mais aussi du droit constitutionnel puisque, selon l'article 4 de la Constitution, "les partis concourent à l'expression du suffrage", formule dont on peut penser qu'elle les autorise à présenter des candidats aux élections. Elle relève aussi des libertés publiques, ou plus précisément des droits du citoyen. Cette règle de procédure destinée à rationaliser l'élection présidentielle se heurte en effet aux droits d'éligibilité et de vote. Directement pour le droit d'éligibilité, puisque celui qui n'a pas obtenu ses signatures ne peut être candidat. Indirectement pour le droit de vote dont le citoyen n'est pas réellement privé. Mais il voit son choix réduit, puisqu'il est contraint de reporter son suffrage sur un autre candidat, voire de voter nul, voire de ne pas voter du tout. Il conserve donc le droit de vote, mais perd celui d'affirmer clairement ses convictions.

Avant toute analyse de fond, il convient d'observer l'hypocrisie de la terminologie employée. Le droit électoral parle de "présentations" et se place donc du coté du signataire habilité, à titre personnel et individuel, à "présenter" un candidat. Dans la pratique cependant, il s'agit d'une recherche de "parrainages" dès lors que les candidats se voient contraints de solliciter les signatures par un éprouvant "porte à porte" électoral. 

Il faut alors se demander si les objectifs poursuivis par ce système de parrainages justifient une telle atteinte aux droits de vote et d'éligibilité des citoyens. 

Limiter le nombre des candidats

Le principe du parrainage existe depuis 1962, c'est à dire depuis l'origine de l'élection du Président de la République au suffrage universel, sous la Vème République. A l'époque, il suffisait d'obtenir 100 signatures d'élus pour pouvoir se présenter. La contrainte était donc fort légère, et le nombre de candidats a effectivement augmenté, passant de 6 en 1965 à 12 en 1974. Cette croissance peut cependant sembler bien naturelle, et atteindre une douzaine de candidats aux élections présidentielles n'aurait pas dû, a priori, susciter d'inquiétudes pour l'exercice de la démocratie.

Monsieur Giscard d'Estaing, une fois élu, a cependant estimé que ce nombre était trop élevé. En 1976, la loi électorale a donc été modifiée. Désormais, il faut réunir 500 signatures provenant de 30 départements différents, avec, au maximum, 50 signatures par département. Seuls les élus peuvent parrainer une candidature, soit les maires des 36 000 communes auxquels il faut ajouter les parlementaires, les conseillers régionaux et généraux ainsi que les membres de l'assemblée corse et des assemblées d'outre-mer, soit un collège potention d'environ 45 000 signataires.

Cette réforme a empêché Jean Marie Le Pen de se présenter aux présidentielles de 1981, alors même qu'il avait pu faire acte de candidature en 1974. Pour autant, elle n'a pas réellement eu l'effet annoncé. S'il est vrai que l'on est passé de 12 candidats en 1974 à 10 en 1981 et  9 en 1988 et 1995, le nombre de candidatures remonte ensuite à 16 candidats en 2002, pour se stabiliser à 12 en 2007. Le nombre de candidats est certes élevé, mais il est absolument identique en 1974 et en 2007, ce qui montre bien l'inutilité totale de la réforme de 1976. 

Empêcher les candidatures fantaisistes

On peut comprendre la volonté d'éviter les candidatures fantaisistes. La première d'entre elles, sous la Vè République, est celle de Pierre Dac, qui s'est déclaré candidat aux présidentielles de 1965, Chef du Parti d'en rire et Président du Mouvement ondulatoire unifié (MOU), Pierre Dac affiche une devise toujours d'actualité,  "Les temps sont durs, vive le MOU", Il retirera sa candidature à la demande personnelle du général de Gaulle, qu'il avait rejoint dans la France Libre. Rien ne dit qu'il ait jamais cherché à obtenir les cent signatures nécessaires à l'époque pour concrétiser sa candidature.


Plus tard, Coluche et Dieudonné se sont trouvés dans des situations à peu près identiques.  Déclarés candidats, l'un en 1981, l'autre en 2002, tous deux ont renoncé avant que la question des 500 signatures se pose réellement. Et s'ils avaient alors affirmé avoir des promesses de parrainages, des études récentes montrent qu'ils n'ont jamais sérieusement démarché les élus.

De toute évidence, la menace que constituent les candidatures fantaisistes peut être écartée par d'autres moyens qu'une procédure de parrainages qui sanctionne l'ensemble des petits candidats, fantaisistes ou non.

La règle des 500 signatures n'a pas atteint les objectifs annoncés. Dans ses observation sur les présidentielles de 2002, le Conseil constitutionnel affirmation déjà être "conduit à s'interroger sur le bien-fondé des règles de présentation (...)". De même, le Comité Balladur, réuni en 2007 à l'initiative du Président Sarkozy, a proposé la suppression du système actuel au profit de la création d'un collège de 100 000 électeurs chargé de désigner la liste des candidats.

Reste à se demander pourquoi aucune réforme n'est intervenue, ce qui conduit à envisager la troisième finalité, non écrite, de ce système de parrainages. 

Un instrument de pression

Dès lors que le collège des signataires est essentiellement composé d'élus locaux, les grands partis n'hésitent pas à faire pression sur eux pour qu'ils signent, ou ne signent pas. N'est il pas tentant de "signer" pour un candidat d'opposition qui risque de "mordre" sur l'électorat de l'adversaire principal ? N'est-il pas tentant de donner des consignes visant à éliminer le Front National de l'élection si on pense que son candidat risque de mordre sur l'électorat du Président sortant ou d'empêcher le leader de l'opposition d'être présent au second tour ? Toutes les manoeuvres sont possibles.

Cette procédure est donc l'instrument de tactiques politiques visant à éliminer l'un ou l'autre, ou au contraire à favoriser la candidature de l'un ou l'autre, pour le seul intérêt des grands partis.

Le débat électoral impose pourtant l'égalité entre les candidats, petits et grands. Christine Boutin ou Philippe Poutou représentent peut être 1% des voix, mais cette estimation est sans influence sur leur droit d'exprimer l'opinion de leur parti par une candidature aux présidentielles.Celle-ci a précisément pour objet d'accroître leur audience dans l'opinion, et cette préoccupation est parfaitement légitime.

Quant à Marine Le Pen, quoi qu'on pense du programme politique du FN, elle a évidemment le même droit de défendre les opinions de son parti. Peut on d'ailleurs envisager qu'environ 20 % du corps électoral se sente frustré dans ses convictions et ait le sentiment d'être privé de son droit de suffrage ? On le voit, c'est le principe démocratique lui-même qui se trouve menacé. Car le débat politique ne peut se développer que dans l'espace démocratique, et combattre les idées de madame Le Pen implique qu'elle puisse les exprimer, y compris par la voie électorale. Et il appartiendra au corps électoral de trancher, comme toujours dans un régime démocratique.

jeudi 5 janvier 2012

Enfin le consensus sur la garde à vue ?

Le Sénat va bientôt voter sur une proposition de résolution européenne "sur le droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et le droit de communiquer après l'arrestation". A dire vrai, ce texte est assez largement passé inaperçu, ne serait-ce que parce qu'il a été enregistré à la Présidence de la Haute Assemblée le 23 décembre, date plus propice aux achats de Noël qu'à la réflexion sur la procédure pénale. 

Il faut ajouter que le droit français de la garde à vue a suscité, depuis l'été 2010, deux QPC, une décision de la Cour européenne, quatre de la Cour de cassation, sans oublier évidemment la loi du 14 avril 2011. La liste n'est pas close puisque l'on attend encore une QPC sur la constitutionnalité de la procédure de garde à vue mise en place dans les affaires de terrorisme qui accompagne le recours devant le Conseil d'Etat contre le décret d'application de la loi de 2011. Cet afflux de textes et de décisions provoque certainement un peu de lassitude chez les commentateurs, d'autant que la  QPC du 18 novembre 2011, semble avoir définitivement écarté les dernières revendications des avocats. Elle refuse en effet de considérer comme inconstitutionnelles les dispositions relatives à l'"avocat taisant" ou lui interdisant l'accès au dossier ainsi qu'à certains actes de procédure.

Un débat déplacé au plan communautaire

La proposition sénatoriale, alors même qu'elle n'a pour objet que le vote d'une résolution (art 73- du règlement intérieur), montre que le débat s'est désormais déplacé au plan communautaire. Après un Livre Vert de février 2003, la Commission a présenté en 2004 une proposition de décision-cadre pour définir un socle commun de procédures applicables aux personnes soupçonnées d'avoir commis une ou plusieurs infractions. Les Etats membres ne sont pas parvenus à s'accorder sur ce texte, et la Commission a finalement choisi de procéder par étapes, choix concrétisé par une "feuille de route" adoptée par le Conseil européen en décembre 2010. 

La première étape, la plus facile à franchir, a conduit à l'adoption d'une directive du 20 octobre 2010 qui permet à la personne soupçonnée de bénéficier des services d'un traducteur. La seconde, encore en cours de négociation, traite du droit d'être informé sur les droits et les charges retenues. La troisième, celle qui précisément donne lieu à la proposition sénatoriale, a essentiellement trait au droit à l'assistance d'un avocat. 

Le projet de directive

Le projet de directive diffusé en juillet 2011 est, pour une large part, assez proche de la loi française du 14 avril 2011. C'est ainsi qu'il consacre le droit à l'assistance d'un avocat  "dès que possible" après l'arrestation. Mais il va aussi bien au-delà du texte français, et reprend la plupart des revendications des avocats, celles qui s'étaient exprimées de manière particulièrement nette lors de la QPC du 18 novembre 2011. Est ainsi autorisée la participation active de l'avocat aux auditions et interrogatoires, et à tous les actes de procédure impliquant la présence du gardé à vue. De la même manière, l'avocat se voit confier une mission générale de contrôle des lieux de détention, mission que les Barreaux n'avaient d'ailleurs jamais clairement revendiquée dans notre pays. 

Les dispositions rejetées par le Conseil constitutionnel pourraient donc finalement intégrer notre système juridique par le vecteur du droit communautaire. Et c'est précisément ce que veut éviter le Sénat. 


Otto Dix. Portrait de l'avocat Hugo Simons. 1925

La recherche de l'équilibre 

La proposition de résolution sénatoriale a certes été présentée par le sénateur UMP du Nord, Jean-René Lecerf, mais elle a été adoptée à l'unanimité par la Commission des affaires européennes. C'est tout l'intérêt de ce texte, qui dégage, pour la première fois, un consensus parlementaire sur le sujet. Force est de constater en effet que la nouvelle majorité sénatoriale, pourtant clairement à gauche, ne souhaite pas accroître les prérogatives de l'avocat durant la garde à vue. 

La proposition de résolution repose sur trois principes fondamentaux qui constituent le socle de cette proposition de résolution.

Le premier est l'indispensable équilibre entre les droits du gardé à vue et les nécessités de l'enquête. Pour reprendre la formule d'Alain Richard pendant les débats en commission, les sénateurs estiment "qu'une garde à vue constitue une véritable course contre la montre au cours de laquelle un équilibre délicat doit être maintenu entre l'objectif de recherche des infractions et la défense des droits de la personne".  Au nom de cet équilibre, ils refusent la présence de l'avocat à tous les actes de procédure, estimant qu'elle n'est pas utile sur le fond, et aurait pour seul effet de ralentir l'enquête. 

D'autre part, les sénateurs veulent empêcher toute confusion entre les phases policière et judiciaire de l'enquête, confusion qui conduirait inéluctablement à un judiciarisation de la garde à vue. A leurs yeux, la garde à vue demeure une mesure de police judiciaire qui n'a pas pour objet d'imposer un débat contradictoire sur les éléments de preuve réunis pendant l'enquête. Ce débat se déroule ensuite, durant l'instruction. 

Enfin, les auteurs de la proposition s'opposent totalement à ce que les avocats se voient confier une mission de contrôle des lieux de détention. Les sénateurs constatent que cette fonction est déjà assurée par le procureur de la République, le juge d'instruction, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, voire le parlement. Or, tous ces intervenants ont un statut d'indépendance que n'a pas l'avocat, qui se rend sur les lieux de détention essentiellement dans le but de défendre son client. 

Cette position ferme est exactement celle développée par les gouvernements français, belge, irlandais, néerlandais et britannique dans une note conjointe du 22 septembre 2011, dans laquelle ils expriment des réserves sur ces points. On le voit, la directive communautaire risque de demeurer encore longtemps à l'état de projet. Quant au débat sur la garde à vue, il aura au moins réussi à provoquer l'union nationale..

mardi 3 janvier 2012

Dominique Tiberi et l'égalité d'accès aux emplois publics


Le 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt annulant la nomination de Dominique Tiberi au poste de contrôleur général économique et financier. La décision n'est pas passée inaperçue, en raison de la personnalité en cause, puisqu'il s'agissait du fils de l'ancien maire de Paris. Sa nomination était même présentée par certains comme l'élément d'un accord, permettant de libérer une circonscription parisienne pour accueillir la candidature du Premier ministre. Autant dire que les conséquences politiques de cette décision ont été largement commentées, mais que ses fondements juridiques n'ont été que fort peu évoquées.  

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Même s'il n'est pas formellement mentionné dans les visas, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est au coeur de cette décision : "(La loi) doit être la même pour tous. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". L'égalité d'accès aux emplois publics est aujourd'hui un principe républicain, sur lequel doit s'appuyer un gouvernement qui se veut "irréprochable". 

C'est précisément ce qu'a affirmé avec force le Conseil d'Etat dans un arrêt Barel de 1954, déjà intervenu à propos d'un héritier, cette fois le fils d'un député communiste, qui s'était vu radier de la liste des candidats admis à participer au concours de l'Ecole nationale d'administration. Pour le juge, l'administration avait violé l'égalité d'accès aux emplois de la fonction public, dès lors que "des circonstances et des faits précis" laissaient penser que le requérant avait été écarté du concours en raison de ses opinions politiques. 

Plus près de nous, dans un arrêt El Haddioui du 10 avril 2009, le Conseil d'Etat rappelle qu'un jury de concours ne peut départager les candidats en leur posant des questions sans lien avec leur aptitude à remplir l'emploi. L'égalité d'accès aux emplois public implique donc nécessairement, et heureusement, un lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule.  

Egalité et tour extérieur

Si l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme ne figure pas dans les visas de la décision Tiberi, c'est tout simplement que la nomination de M. Tiberi à un poste de contrôleur général économique et financier n'est pas la résultat d'un concours, mais d'une nomination au tour extérieur, d'ailleurs prévue par l'article 8 de la loi du 13 septembre 1984. On sait en effet que 1/5 des emplois vacants des corps d'inspection et de contrôle peuvent être pourvus par décret en conseil des ministres "sans condition autre que l'âge".

De cette formulation, il est probable que l'Exécutif ait considéré que, si le candidat avait l'âge requis, il n'était sans pas indispensable qu'il ait, en outre, des compétences particulières pour exercer ce type d'emploi. Sur ce point, il pouvait d'ailleurs s'appuyer sur l'arrêt du 25 février 2011 qui refusait d'annuler la nomination d'un autre héritier, M. Arno Klarsfeld, au Conseil d'Etat. 

La nomination au tour extérieur n'exclut cependant pas, conformément au principe d'égalité d'accès aux emplois publics, l'appréciation du lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule. L'article 8 de la loi du 13 septembre 1984 prévoit ainsi l'intervention d'une commission "chargée d'apprécier l'aptitude des intéressés à exercer leurs fonctions (...) en tenant compte de leurs fonctions antérieures et de leur expérience". En l'espèce, la Commission avait donné un avis défavorable à la nomination de l'intéressé, faisant observer "qu'il n'avait exercé ni des responsabilités d'encadrement ou de direction, ni des fonctions d'analyse et d'expertise approfondies à caractère économique et financier".

Salvador Dali. Le cheval de Caligula. 1971

L'erreur manifeste d'appréciation

Le Conseil va finalement exercer un contrôle de l'"erreur manifeste d'appréciation". Cette notion exprime  l'idée que le pouvoir discrétionnaire de l'administration est limité par l'interdiction d'apprécier de manière manifestement erronée les faits qui sont à la base de la décision. 

Il se trouve que le contrôle de l'erreur manifeste a été étendu aux nominations au tour extérieur par un arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat du 16 décembre 1988, Association des administrateurs civils c. D. A partir de cette date, le juge administratif accepte ainsi de contrôler l'existence d'un minimum d'adéquation entre les connaissances et la formation de la personne ainsi désignée et l'emploi qu'elle se voit offrir. Lorsque cette adéquation n'existe manifestement pas, le juge annule la nomination pour illégalité. 

Bien sûr, le Conseil d'Etat aurait pu se montrer encore plus sévère et estimer que la désignation de Dominique Tiberi était l'exemple type d'une "nomination pour ordre", que l'on peut définir comme le fait d'investir une personne d'une fonction, non pour qu'elle l'exerce, mais pour qu'elle en tire les avantages qui lui sont attachés. Mais les preuves d'une telle finalité sont cependant bien difficiles à trouver car il s'agit alors, comme dans le détournement de pouvoir, d'apprécier directement les motivations de l'auteur de la nomination. La sanction pour erreur manifeste est déjà  lourde pour un Exécutif coupable d'avoir fait prévaloir l'amitié politique sur le mérite. 

samedi 31 décembre 2011

Un coup d'arrêt à la concentration des autorités indépendantes ?


Dans une lettre adressée à Christian Vanneste, député du Nord (UMP), et que ce dernier rend publique sur son site personnel, le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, se déclare défavorable à la fusion entre l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Le rapport Vanneste-Dosière

Ce courrier apparaît comme une réponse, quelque peu tardive, au rapport parlementaire co-rédigé par Christian Vanneste avec René Dosière (député de l'Aisne, PS) sur  les autorités administratives indépendantes au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Publié en octobre 2010, ce rapport se prononce pour "un effort de rationalisation passant par des regroupements".

Au moment de la publication du rapport, on recense en effet une bonne quarantaine d'autorités indépendantes, et leur déploiement ne repose sur aucune idée directrice ni démarche prospective. La notion même d'autorité indépendante n'a jamais été clairement élucidée. S'il est vrai que leurs membres bénéficient généralement d'un statut d'indépendance et qu'elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique, leur nature administrative ne fait cependant aucun doute. Certaines, comme la CNIL ou le CSA prennent des décisions administratives. Le plus souvent cependant, elles se présentent comme des commissions consultatives ordinaires, ce qui signifie qu'elles rendent des avis que l'autorité dotée du pouvoir de décision n'est pas tenue de suivre. A l'origine limitées aux secteurs de la régulation économique ou de la médiation avec les administrés, elles ont peu à peu envahi l'ensemble de l'espace administratif, y compris le plus régalien comme la défense ou la justice. Si le succès de la formule témoigne de son enracinement dans le droit positif, il révèle aussi une véritable dispersion de ces autorités, dont la visibilité même se trouve affectée.

Les regroupements en cours

Bien avant le rapport Vanneste-Dosière, le législateur s'était déjà efforcé d'opérer des regroupements entre différentes autorités administratives indépendantes exerçant leurs missions dans des secteurs connexes. La loi du 1er août 2003 fusionne la Commission des opérations de Bourses, le Conseil des marchés financiers et le Conseil de discipline de la gestion financière. Mais le rapport Vanneste-Dosière propose une fusion plus ambitieuse, qui va se traduire par la loi du 29 mars 2011 qui fédère le Médiateur, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Halde au sein d'une unique autorité indépendante : le Défenseur des droits.

Dans ce contexte, il pouvait  sembler logique de mettre en oeuvre un troisième rapprochement, directement issu du rapport Vanneste, celui entre l'Arcep, le CSA et l'Hadopi.

Marcel Burtin. 1902-1979. Tableau des autorités administratives indépendantes

La logique du regroupement Arcept, CSA, Hadopi

Dans ses rapports de 2006 et 2009, la Cour des comptes s'interrogeait déjà sur l'intérêt d'une gestion éclatée du spectre des fréquences, distinguant l'usage audiovisuel et les communications électroniques, alors même que c'est le Premier ministre qui attribue les fréquences à chacun des deux secteurs. Le passage au numérique impose la fin de la spécialisation des réseaux, qui peuvent désormais être indifféremment affectés soit au l'audiovisuel, soit aux communications électroniques. Le mode de régulation du CSA, qui reposait sur l'idée que les réseaux étaient une ressource rare, est aujourd'hui mis en cause. Avec l'avènement du numérique, les sociétés de télévision sont aujourd'hui concurrencées par les opérateurs internet. Cette "convergence numérique" remet ainsi en question le partage des compétences entre l'Arcep et le CSA.

L'Hadopi, quant à elle, est présentée comme "une réponse ponctuelle à un problème spécifique" par Messieurs Vanneste et Dosière. S'il est vrai que la lutte contre le piratage et la protection des droits des auteurs sont des préoccupations parfaitement légitimes, les auteurs du rapport considéraient qu'il n'était pas pour autant indispensable de créer une autorité indépendante spécialement compétente dans ce domaine. L'Arcep, chargée de réguler les communications électroniques, ou le CSA compétent en matière de contenus, auraient pu, à leurs yeux, assumer les compétences qui sont celles de l'Hadopi.

Les motifs du refus

Le ministre de la Culture refuse pourtant d'envisager un regroupement de ces autorités,

- Pour la fusion CSA/Hadopi, le ministre s'aligne sur la poisition du Premier ministre qui avait affirmé que "fusionner les deux autorités reviendrait à dénaturer l'une et l'autre". Alors que ces deux autorités sont bien connues pour leur sourde rivalité, cette décision conforte le CSA qui conserve la mission de régulation des contenus, alors que l'Hadopi reste cantonné aux seules questions de droit d'auteur. Et nul n'ignore qu'elle rencontre bien des difficultés pour faire appliquer la loi qui l'a instituée. D'une certaine manière, le ministre refuse de prendre position dans le conflit, et renvoie chaque autorité à ses compétences propres.

- Pour la fusion Arcep/CSA, Frédéric Mitterrand évoque un risque de voir pénétrer les préoccupations économiques dans la mission de respect du pluralisme. Il est vrai que l'Arcep a d'abord pour mission de garantir la libre concurrence entre les opérateurs, alors que le CSA s'attache essentiellement au pluralisme des contenus. Par ce refus, le ministre donne satisfaction aux milieux de la culture qui ne sont pas favorables à une telle fusion. Sur ce second projet de fusion, on ne peut qu'être sensible aux arguments du ministre qui s'efforce de protéger le contrôle des contenus des préoccupations mercantiles. 

Plus généralement, sa décision met un frein au mouvement de fusion des autorités indépendantes dont les création du Défenseur des droits est l'élément le plus visible. 

De manière implicite, c'est la question du bien-fondé de ce premier regroupement qui est posée. Car le Défenseur des droits fusionne des autorités indépendantes dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont encore moins de points communs que celles que Frédéric Mitterrand refuse de regrouper. Il est vrai qu'il s'agissait alors de mettre fin aux activités d'une  Halde  très dispendieuse et pour le moins gaffeuse, et d'un Médiateur dont chaque rapport constituait un réquisitoire contre les politiques gouvernementales en matière sociale.On doit donc en déduire que la fusion des autorités indépendantes n'est une bonne chose que lorsqu'il s'agit de les replacer sous contrôle gouvernemental.

mercredi 28 décembre 2011

Le "crime" de Florence Hartmann ou les secrets du TPIY


Le lundi 26 décembre, le ministère des affaires étrangères a annoncé qu'il refusait de donner suite à l'arrêt rendu le 16 octobre par la Chambre d'appel du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), qui ordonne aux autorités françaises "de rechercher, d'arrêter, d'écrouer et de remettre rapidement au tribunal" madame Florence Hartmann. Quel crime de guerre a donc commis cette ancienne journaliste du Monde et porte-parole du procureur du TPIY de 2000 à 2006 ?

Le "crime" de Madame Hartmann

Nous pouvons être rassurés. Notre compatriote n'a pas participé à des massacres, elle s'est bornée à écrire un livre publié en 2007 et intitulé "Paix et Châtiment". Elle y fait état de deux décisions de la chambre d'appel du TPIY rendues dans le cadre du procès Milosevic. Selon elle, ces décisions auraient permis de mettre en évidence le rôle de la Serbie dans le génocide de Srebenica qui a fait 8000 victimes bosniaques en 1995. Le problème est que le TPIY avait décidé de conserver la confidentialité de ces deux décisions, et c'est précisément parce qu'elle a rompu ce secret que Florence Hartmann est poursuivie. 

En première instance, elle a été condamnée à payer une amende de 7000 € par une décision du 14 septembre 2009,. Ayant refusé d'obtempérer, Florence Hartmann a ensuite été condamnée pour "Contempt of Court" par une décision de la Chambre d'appel du TPIY, intervenue le 19 juillet 2011. C'est évidemment cette seconde décision qui constitue le fondement du mandat d'arrêt que les autorités françaises refusent d'exécuter. 

Le refus d'extrader

Le communiqué du Quai d'Orsay mentionne que "les textes qui organisent la coopération entre le TPIY et la France ne s'appliquent qu'aux crimes graves que ce tribunal a pour mission de juger". Le "Contempt of Court" ne figure pas au nombre de ces "crimes graves" et ne justifie donc pas la remise de Madame Hartmann au Tribunal. 

Le texte qui "organise la coopération entre le TPIY et la France" est la loi du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant le TPIY en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991. De toute évidence, Florence Hartmann n'a pas commis  "des infractions graves aux Conventions de Genèves du 12 août 1949, des violations des lois et coutumes de la guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité". Ces dispositions figurant dans l'article 1er de loi constituent le champ d'application de la coopération entre la France et il ne fait guère de doute que la divulgation d'informations considérées comme confidentielles, voire le refus de se soumettre à un jugement du TPIY, ne sauraient être analysés comme des violations du droit humanitaire. 

On doit au contraire considérer qu'agissant ainsi, la France se borne à respecter la Convention européenne des droits de l'homme qui dans son article 10 consacre la liberté de presse comme un élément de la liberté d'expression.



Une justice politique 

Le "crime" commis par madame Hartmann ne justifie pas qu'elle soit jetée sur la paille humide des cachots de Scheveningen.  On devrait plutôt la remercier d'avoir mis en lumière quelques aspects pour le moins surprenants de la justice rendue par le TPIY. Celui-ci reproche à la journaliste d'avoir violé le secret attaché à deux décisions de justice. Car le TPIY rend donc des décisions secrètes ?

Le TPIY considère que "la conduite de l'accusée pourrait dissuader des Etats souverains de fournir des éléments de preuve au Tribunal dans le cadre de leur coopération avec celui-ci". En l'espèce, Florence Hartmann affirme que le TPIY aurait rendu ces deux décisions sous l'influence du substitut principal, le britannique Geoffrey Nice, qui se serait efforcé d'obtenir l'abandon des charges contre la Serbie. Est-ce à dire que les charges retenues contre les uns ou les autres sont le résultat d'un lobbying ou d'une négociation ? Et à l'issue de cette négociation, suffirait-il d'une décision secrète pour interdire toute poursuite à l'égard des crimes les plus révoltants ? 

L'affaire Hartmann éclabousse bien davantage le TPIY que la journaliste qu'il condamne. Elle montre une juridiction qui rend des décisions politiques dans une opacité totale. Et une juridiction qui rend des décisions politiques ne rend plus la justice. Et la justice politique est à la justice ce que la musique militaire est à la musique, comme disait Clemenceau.