« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 31 décembre 2011

Un coup d'arrêt à la concentration des autorités indépendantes ?


Dans une lettre adressée à Christian Vanneste, député du Nord (UMP), et que ce dernier rend publique sur son site personnel, le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, se déclare défavorable à la fusion entre l'Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Le rapport Vanneste-Dosière

Ce courrier apparaît comme une réponse, quelque peu tardive, au rapport parlementaire co-rédigé par Christian Vanneste avec René Dosière (député de l'Aisne, PS) sur  les autorités administratives indépendantes au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Publié en octobre 2010, ce rapport se prononce pour "un effort de rationalisation passant par des regroupements".

Au moment de la publication du rapport, on recense en effet une bonne quarantaine d'autorités indépendantes, et leur déploiement ne repose sur aucune idée directrice ni démarche prospective. La notion même d'autorité indépendante n'a jamais été clairement élucidée. S'il est vrai que leurs membres bénéficient généralement d'un statut d'indépendance et qu'elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique, leur nature administrative ne fait cependant aucun doute. Certaines, comme la CNIL ou le CSA prennent des décisions administratives. Le plus souvent cependant, elles se présentent comme des commissions consultatives ordinaires, ce qui signifie qu'elles rendent des avis que l'autorité dotée du pouvoir de décision n'est pas tenue de suivre. A l'origine limitées aux secteurs de la régulation économique ou de la médiation avec les administrés, elles ont peu à peu envahi l'ensemble de l'espace administratif, y compris le plus régalien comme la défense ou la justice. Si le succès de la formule témoigne de son enracinement dans le droit positif, il révèle aussi une véritable dispersion de ces autorités, dont la visibilité même se trouve affectée.

Les regroupements en cours

Bien avant le rapport Vanneste-Dosière, le législateur s'était déjà efforcé d'opérer des regroupements entre différentes autorités administratives indépendantes exerçant leurs missions dans des secteurs connexes. La loi du 1er août 2003 fusionne la Commission des opérations de Bourses, le Conseil des marchés financiers et le Conseil de discipline de la gestion financière. Mais le rapport Vanneste-Dosière propose une fusion plus ambitieuse, qui va se traduire par la loi du 29 mars 2011 qui fédère le Médiateur, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Halde au sein d'une unique autorité indépendante : le Défenseur des droits.

Dans ce contexte, il pouvait  sembler logique de mettre en oeuvre un troisième rapprochement, directement issu du rapport Vanneste, celui entre l'Arcep, le CSA et l'Hadopi.

Marcel Burtin. 1902-1979. Tableau des autorités administratives indépendantes

La logique du regroupement Arcept, CSA, Hadopi

Dans ses rapports de 2006 et 2009, la Cour des comptes s'interrogeait déjà sur l'intérêt d'une gestion éclatée du spectre des fréquences, distinguant l'usage audiovisuel et les communications électroniques, alors même que c'est le Premier ministre qui attribue les fréquences à chacun des deux secteurs. Le passage au numérique impose la fin de la spécialisation des réseaux, qui peuvent désormais être indifféremment affectés soit au l'audiovisuel, soit aux communications électroniques. Le mode de régulation du CSA, qui reposait sur l'idée que les réseaux étaient une ressource rare, est aujourd'hui mis en cause. Avec l'avènement du numérique, les sociétés de télévision sont aujourd'hui concurrencées par les opérateurs internet. Cette "convergence numérique" remet ainsi en question le partage des compétences entre l'Arcep et le CSA.

L'Hadopi, quant à elle, est présentée comme "une réponse ponctuelle à un problème spécifique" par Messieurs Vanneste et Dosière. S'il est vrai que la lutte contre le piratage et la protection des droits des auteurs sont des préoccupations parfaitement légitimes, les auteurs du rapport considéraient qu'il n'était pas pour autant indispensable de créer une autorité indépendante spécialement compétente dans ce domaine. L'Arcep, chargée de réguler les communications électroniques, ou le CSA compétent en matière de contenus, auraient pu, à leurs yeux, assumer les compétences qui sont celles de l'Hadopi.

Les motifs du refus

Le ministre de la Culture refuse pourtant d'envisager un regroupement de ces autorités,

- Pour la fusion CSA/Hadopi, le ministre s'aligne sur la poisition du Premier ministre qui avait affirmé que "fusionner les deux autorités reviendrait à dénaturer l'une et l'autre". Alors que ces deux autorités sont bien connues pour leur sourde rivalité, cette décision conforte le CSA qui conserve la mission de régulation des contenus, alors que l'Hadopi reste cantonné aux seules questions de droit d'auteur. Et nul n'ignore qu'elle rencontre bien des difficultés pour faire appliquer la loi qui l'a instituée. D'une certaine manière, le ministre refuse de prendre position dans le conflit, et renvoie chaque autorité à ses compétences propres.

- Pour la fusion Arcep/CSA, Frédéric Mitterrand évoque un risque de voir pénétrer les préoccupations économiques dans la mission de respect du pluralisme. Il est vrai que l'Arcep a d'abord pour mission de garantir la libre concurrence entre les opérateurs, alors que le CSA s'attache essentiellement au pluralisme des contenus. Par ce refus, le ministre donne satisfaction aux milieux de la culture qui ne sont pas favorables à une telle fusion. Sur ce second projet de fusion, on ne peut qu'être sensible aux arguments du ministre qui s'efforce de protéger le contrôle des contenus des préoccupations mercantiles. 

Plus généralement, sa décision met un frein au mouvement de fusion des autorités indépendantes dont les création du Défenseur des droits est l'élément le plus visible. 

De manière implicite, c'est la question du bien-fondé de ce premier regroupement qui est posée. Car le Défenseur des droits fusionne des autorités indépendantes dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont encore moins de points communs que celles que Frédéric Mitterrand refuse de regrouper. Il est vrai qu'il s'agissait alors de mettre fin aux activités d'une  Halde  très dispendieuse et pour le moins gaffeuse, et d'un Médiateur dont chaque rapport constituait un réquisitoire contre les politiques gouvernementales en matière sociale.On doit donc en déduire que la fusion des autorités indépendantes n'est une bonne chose que lorsqu'il s'agit de les replacer sous contrôle gouvernemental.

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