La Cour européenne des droits de l'homme vient de rendre, le 1er décembre 2011, un
arrêt Schwabe et M. G. c. Allemagne portant sur la conformité à la Convention d'une procédure d'internement préventif. Le 3 juin 2007, lors d'un contrôle d'identité réalisé à proximité de la prison de Rostock, la police a découvert dans le véhicule des deux requérants des bannières appelant à la libération de militants altermondialistes emprisonnés pour la durée du sommet du G 8 d'Heiligendamm qui devait se dérouler du 6 ou 8 juin. Dès le lendemain, les requérants se voyaient contraints de rejoindre leurs camarades à la prison de Rostock, pour un séjour qui s'achèverait après l'issue du sommet, le 9 juin.
Cette procédure n'est pas un internement administratif, dans la mesure où elle est prononcée par un juge, en l'espèce le tribunal de district de Rostock, sur le fondement d'une loi du Land de Macklenbourg-Poméranie occidentale. Elle présente cependant un caractère préventif puisque l'objet de cette législation est de permettre la détention de personnes considérées comme étant sur le point de commettre une infraction.
En l'espèce, la Cour européenne des droits de l'homme estime que l'internement de ces deux personnes n'est pas conforme aux dispositions de le Convention. D'une part, le fait qu'elles aient eu l'intention de commettre une infraction n'est pas établi. Leur intention de libérer leurs camarades relevait de l'action symbolique et rien ne laissait penser qu'ils pourraient effectivement tenter de les faire évader. D'autre part, une mise en détention, alors que la police disposait d'autres moyens légaux comme la saisie des bannières ou des assignations à résidence dans leur ville d'origine, constitue une atteinte au principe de sûreté garanti par l'article 5 § 1. Enfin, la détention des requérants a également porté une atteinte excessive à leur liberté de réunion et de manifestation consacrée par l'article 11 (pour une analyse plus précise, voir l'
article de N. Hervieu sur CPDH).
La sévérité de Cour n'est pas surprenante et comprend sa réaction face à un droit d'exception particulièrement attentatoire au principe de sûreté. Sur ce point, on reste cependant un peu surpris d'apprendre qu'un pays fondateur de l'Union européenne a dans son arsenal juridique un système d'internement préventif, et que les forces de police peuvent saisir les bannières des manifestants dans le seul but de porter atteinte à leur liberté de manifester. La Cour européenne ne relève pas ce point, sans doute parce qu'elle dispose d'autres motifs pour déclarer la mesure non conforme à la Convention.
Les faits de l'espèce laissent également songeur, avec ces policiers de Rostock qui prétendent, sans rire, que quelques alter-mondialistes uniquement armés de banderoles allaient faire évader leurs camarades retenus dans un établissement pénitentiaire. On comprend que la Cour ait voulu sanctionner une détention de cinq jours et demi, très excessive pour des manifestants non armés qui, selon la formule employée par la Cour, entendaient prendre part à un "débat d'intérêt public", à savoir les conséquences de la mondialisation sur la vie des peuples.
La décision est évidemment à rapprocher de celle intervenue à propos de l
'arrêt O.H. c. Allemagne du 24 novembre 2011. La rétention de sûreté, qui permet de maintenir enfermés, à l'issue de leur peine, des criminels présentant un risque très élevé de récidive est également décidée par un juge et repose sur une appréciation subjective d'un comportement futur. En l'espèce, la Cour estime que cette détention est une peine, dès lors qu'elle est effectuée dans un établissement pénitentiaire. Et le fait de prononcer une peine pour des motifs purement hypothétiques constitue une violation de l'article 5 § 1 du 24 novembre 2011.
Ces décisions, toutes deux intervenues à propos de législations allemandes, montrent la volonté de la Cour européenne d'encadrer très strictement ce type d'internement préventif. Elle refuse de s'appuyer sur le seul respect de la séparation des pouvoirs, qui conduirait à admettre ce type d'internement dès lors qu'il est prononcé par un juge. Elle préfère apprécier ces dispositions au cas par cas, en tenant compte de la gravité de l'atteinte à la sûreté, et notamment de la durée de la rétention, et de son caractère proportionné ou non à la menace pour l'ordre public. Les aspirations sécuritaires des Etats européens devront désormais tenir compte d'une jurisprudence attentive au maintien de la liberté d'expression.
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