L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 30 juin 2023 confirme la légalité du contrat d'engagement républicain (CER). Ce dispositif est prévu par la loi "séparatismes", ou plus exactement la loi "confortant le respect des principes de la République" du 24 août 2021. Il impose aux associations de signer ce contrat d'engagement républicain, préalablement à l'obtention de subventions publiques. Au coeur du CER figure évidemment le respect du principe de laïcité et de l'égalité entre hommes et femmes.
Dans sa décision du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré le CER conforme à la Constitution. Il a estimé que le dispositif ne mettait pas en cause la liberté d'association, particulièrement protégée par le Conseil depuis sa célèbre décision du 31 juillet 1971. Le Conseil fait justement observer que le CER n'a pas pour effet d'encadrer les conditions de constitution d'une association ou la manière dont elle exerce son activité. Libre à elle d'ailleurs de ne solliciter aucune subvention pour échapper à ce contrat.
Les opposants au dispositif ont alors adopté une autre stratégie, consistant à contester devant le Conseil d'État le décret du 31 décembre 2021 qui organise concrètement le CER. Un bon nombre de syndicats et d'associations parmi lesquelles Droit au Logement, le Gisti et, bien entendu, la Ligue des droits de l'homme ont déposé un recours pour excès de pouvoir contre ce décret. La décision du 30 juin 2023 rejette leur requête.
Parmi les moyens invoqués, deux suscitent l'intérêt. L'un repose sur l'imprécision des termes employés dans le décret, l'autre invoque une ingérence excessive dans la liberté d'association.
La République. Louis Valtat. 1869-1952
L'imprécision des termes employés
Les groupements requérants soutiennent que le décret impose aux association des contraintes qui sont formulées de manière insuffisamment précise. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) énonce ainsi, par exemple dans l'arrêt du 3 juillet 2008 Koretskyy et autres c. Ukraine, qu'une formulation trop vague, notamment lorsqu'elle n'a pas donné lieu à une interprétation précise par les juges, confère aux autorités une marge d'appréciation excessive. C'est le cas lorsque la liberté d'association est limitée parce qu'elle exerce une "activité politique" et bénéficie de "financements étrangers". Dans sa décision du 14 juin 2022 Ecodefence et autres c. Russie, la CEDH estime que ces notions peuvent donner lieu à des interprétations tendant à limiter de manière excessive la liberté d'association, notamment dans le cas des groupements de protection des droits de l'homme.
Dans le cas du contrat d'engagement républicain, le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur le principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi "séparatismes" du 24 août 2021. Le Conseil d'État, statuant sur le décret, déclare que les différentes obligations du CER sont définies de manière suffisamment précise et n'excèdent pas celles prévues par la loi.
Le Conseil d'État écarte ainsi, partiellement, les conclusions de son rapporteur public Laurent Domingo. Celui-ci s'était livré à un inventaire des différents engagements imposés aux associations par le CER. Parmi les sept engagements, deux lui semblaient pouvoir être sanctionnés pour défaut de lisibilité.
Le premier engagement concerne le "respect des lois de la République" et impose aux associations de n'entreprendre ni inciter à aucune action "manifestement contraire à la loi". Pour le rapporteur public, cette formule permet de comprendre qu'il s'agit d'une action illégale, mais n'apporte aucune précision sur le degré de gravité qui pourrait conduire au retrait d'une subvention ou à l'abrogation d'un agrément. En clair, une association comme Droit au Logement pourrait se voir sanctionnée pour avoir "installé un campement de tentes sur une place publique", ou un mouvement écologiste parce que ses militants se sont enchaînés aux grilles d'une installation nucléaire, etc. Le rapporteur public estime qu'il n'était pas dans l'intention du législateur d'empêcher des actions dites de "désobéissance civile".
Le Conseil d'État écarte cette analyse comme reposant sur une analyse un peu trop personnelle de l'intention du législateur. Celui-ci ne veut rien d'autre qu'imposer le respect des lois de la République aux associations. Les actions de désobéissance peuvent s'analyser comme un trouble grave à l'ordre public et justifier donc le retrait d'une subvention ou l'abrogation d'un agrément.
Le rapporteur public considère également comme imprécis l'engagement n° 5, selon lequel « l’association ou la fondation s’engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme ». En l'état actuel du droit, il rappelle que la notion de fraternité n'a été utilisée qu'une seule fois par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2018. Il a, sur son fondement, déclaré inconstitutionnel le délit d'aide au séjour irrégulier. Aux yeux du rapporteur public, cette unique occurrence suffit à épuiser la notion, et laisse entendre que le principe de fraternité ne s'appliquerait qu'aux associations actives dans l'assistance aux étrangers. De même, le rapporteur considère-t-il que la notion de "civisme" est limitée à la participation électorale, une subvention pouvant alors être refusée au seul motif qu'une association inciterait ses membres à l'abstention.
Le Conseil d'État ne se donne pas la peine d'évoquer la légalité de cet engagement n° 5, préférant peut-être ne pas donner trop de visibilité aux conclusions du rapporteur. Il se borne à mentionner que les éventuels refus de subvention ou d'agrément fondés sur la violation du CER donneront lieu à contentieux et qu'il appartiendra au juge administratif de préciser l'étendue des engagements imposés aux associations.
L'ingérence dans la liberté d'association
Le Conseil d'État se fonde sur les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Une ingérence dans la liberté d'association doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime, et se révéler "nécessaire dans une société démocratique".
Le fondement législatif ne fait aucun doute, puisque le CER figure dans la loi du 24 août 2021. Le but légitime n'est pas davantage contestable, dès lors qu'il s'agit d'assurer le respect "des principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que du caractère laïque de la République, de l'ordre public et des symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution".
La "nécessité dans une société démocratique" est appréciée par le Conseil d'État à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi "séparatismes". Il observe, de la même manière, que les atteintes à l'ordre public visées par le CER sont celles susceptibles d'entrainer des "troubles graves" et que le retrait d'une subvention n'entraine pas le remboursement de la somme versée pour la période antérieure. Aux yeux du Conseil d'État, l'ingérence dans la liberté d'association est d'autant plus proportionnée qu'elle s'exerce sous son contrôle.
Après la décision du Conseil constitutionnel, il était assez peu probable que le Conseil d'État voit dans le contrat d'engagement républicain une ingérence excessive dans la liberté d'association. De cette décision, on peut déduire que les associations privilégiant les actions illégales devront désormais se poser des questions. Le choix sera difficile entre la revendication d'une désobéissance civile particulièrement... désobéissante, et le choix de continuer à recevoir des subventions. Il est bien probable que l'opinion aura deux motifs de se réjouir, d'une part si des actions illégales permettent d'économiser des subventions inutiles, d'autre part si certains groupements préfèrent conserver une aide financière et recourir à des moyens d'action pacifiques.
Le droit à l'oubli : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12 section 2 § 1 B