« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 9 mars 2022

L'assistance de l'avocat durant la procédure pénale, toute la procédure pénale


Avec son arrêt Tonkov c. Belgique du 8 mars 2022, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) revient une nouvelle fois sur le droit d'accès à un avocat durant la procédure pénale. Ce droit est en effet l'un des éléments essentiels du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 et § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. 

Le requérant, de nationalité bulgare, a été condamné par la Cour d'assises de Flandre orientale en mai 2013 à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat. Les faits remontent à 2009, et la lenteur de la procédure s'explique en partie par le fait qu'après les premiers interrogatoires, M. Tonkov était rentré en Bulgarie. Les autorités belges avaient donc engagé une procédure d'extradition qui avait abouti à l'été 2010. Sa condamnation ayant été confirmée par la Cour de cassation belge, le requérant se tourne vers la CEDH. 

Il invoque l'atteinte au procès équitable, dans la mesure où il n'a bénéficié de la présence d'un avocat que de manière quelque peu intermittente. Durant la garde à vue en particulier, il n'a pas eu accès à un conseil. Mais cette absence était conforme au droit belge de l'époque.

 

Après Salduz

 

On se souvient que la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue a été imposée par la CEDH par l'arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008. Cette décision est directement à l'origine de la condamnation de la France par la décision Brusco c. France du 14 octobre 2010, condamnation qui a suscité une évolution radicale du droit de la garde à vue. Il en a été de même en Belgique avec la "Loi Salduz" du 13 août 2011, modifiée par la loi du 27 novembre 2016 dite "Salduz bis". La directive européenne du 22 octobre 2013  est ensuite intervenue pour définir un droit du gardé à vue de s'entretenir confidentiellement avec un avocat avant la première audition, puis de se faire assister durant toute la procédure. 

Au moment des faits,  la jurisprudence de la Cour a donc évolué par une décision de 2008 qui ne concerne que la Turquie, et le droit belge n'a pas encore été modifié par les "lois Salduz". L'arrêt mentionne pourtant que "l’ensemble de la procédure concernant le requérant s’est déroulé après le prononcé de l’arrêt Salduz dans lequel la Cour posa, en règle, le droit d’accès à un avocat dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police". Si la Belgique n'était pas formellement tenue de faire évoluer son droit immédiatement après la décision Salduz, elle prenait néanmoins le risque d'une condamnation.

Aux yeux de la Cour cependant, la jurisprudence Salduz s'imposait immédiatement aux autres États parties à la Convention  "l’ensemble de la procédure concernant le requérant s’est déroulé après le prononcé de l’arrêt Salduz dans lequel la Cour posa, en règle, le droit d’accès à un avocat dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police". L'idée n'est pas nouvelle, et les États qui ne font pas évoluer leur droit à la suite d'un arrêt de la Cour savent qu'ils risquent, à leur tour, une condamnation. C'est exactement ce qui s'est produit pour la France.

 


 Un défenseur habile. Daumier

 

L'arrêt Beuze c. Belgique

 

Après l'arrêt Salduz, la jurisprudence s'est affinée, au point que la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue n'est plus apparue comme une obligation absolue. La décision Beuze c. Belgique du 9 novembre 2018 sanctionne déjà une procédure criminelle belge. La condamnation de l'intéressé, lui aussi à la réclusion à perpétuité, reposait sur des aveux obtenus durant la garde à vue, en l'absence d'avocat. Mais ces aveux avaient ensuite été réitérés devant le juge d'instruction, cette fois en présence du conseil. La Cour va donc constater une violation du procès équitable, non pas en se fondant sur l'absence d'avocat, mais sur l'absence de contrôle des conséquences de cette situation sur l'équilibre général du procès.

Depuis l'arrêt Beuze, la Cour envisage donc la procédure pénale, dans sa globalité. Elle recherche d'abord s’il existe ou non des raisons impérieuses justifiant les restrictions du droit d’accès à un avocat, ce qui n'est évidemment pas le cas en l'espèce, en l'absence de circonstances exceptionnelles.

 

L'équité globale de la procédure

 

Le contrôle de la Cour se concentre donc sur l'équité globale de la procédure. Celle-ci peut éventuellement ne pas avoir prévu d'avocat dès la garde à vue, si le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement belge. Il doit montrer que l'ensemble du procès témoigne que l'on a pu remédier aux lacunes initiales en matière de droit de la défense. Or, en l'espèce, le requérant n'a pu obtenir l'assistance d'un avocat qu'à l'issue de son premier interrogatoire par le juge d'instruction. Et son conseil a été prévenu très tardivement des dates d'audition, ce qui a entravé leur préparation par la défense. La CEDH estime donc que les garanties offertes dans la suite du procès "n'ont pas eu un effet compensateur suffisant". Les juges belges ont failli à leur mission en ne procédant pas à cette analyse de l'incidence de l'absence d'avocat sur l'ensemble de la procédure. 

Cette jurisprudence a pour conséquence de rendre aux États une certaine autonomie dans la gestion des droits de la défense durant le procès pénal. La CEDH autorise ainsi un certain pragmatisme, pour tenir compte notamment des contraintes de temps, de disponibilité des membres des Barreaux etc. La question est évidemment posée de la situation française. On sait, en effet, que l'avocat en garde à vue n'a pas encore accès au dossier et doit se contenter d'assister à l'audition, même si il a pu rencontrer son client au préalable. Il est peu probable que la Cour voit dans cette situation une rupture de l'équilibre global de la procédure. En effet, l'avocat aura accès au dossier dès que l'instruction sera ouverte et pourra alors jouer pleinement son rôle de défenseur. Dans son arrêt Doyle c. Irlande du 23 mai 2019, la Cour juge en effet, à propos du système irlandais, que l'intervention de l'avocat durant la garde à vue peut se limiter à un simple entretien préalable à l'audition, le conseil ne pouvant assister à l'interrogatoire. La Cour n'a pas vu de rupture d'équilibre dans ce système et il n'y a donc aucune raison de penser qu'elle pourrait se montrer plus sévère envers le droit français qui, lui, permet au moins au conseil d'assister à l'audition.


Sur le principe de neutralité : Chapitre 4 section 2 § 1 B  du Manuel

 

dimanche 6 mars 2022

Pas de signes religieux sur la robe des avocats

 

 


Dans un arrêt du 2 mars 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme que le conseil de l'ordre des avocats peut modifier son règlement intérieur pour interdire aux avocats de porter sur la robe des signes distinctifs, et notamment des signes religieux. En l'espèce, la modification concernait les membres du Barreau de Lille, et était clairement rédigée : "L'avocat ne peut porter avec la robe ni décoration ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique" .

Concrètement, il s'agit d'imposer une obligation de neutralité, en interdisant aux avocats de manifester, même discrètement, leurs convictions politiques ou religieuses dans leurs activités judiciaires, celles qui précisément imposent le port de la robe. L'obligation de neutralité trouve son fondement dans le principe d'égalité devant la loi. Elle garantit que l'activité de ces professionnels du droit sera assurée de manière indifférenciée, quelles que soient les convictions des avocats ou de leurs clients. 

C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait admis le port de décorations sur la robe, dans un arrêt du 24 octobre 2018. A ses yeux, le fait d'arborer le Mérite ou la Légion d'Honneur n'emportait aucune rupture d'égalité entre confrères, et encore moins entre les clients. Pour le Barreau de Lille, il s'agissait d'afficher un strict respect de la neutralité, en imposant que la robe soit la même pour tous. On note qu'il n'y a pas de véritable contradiction en l'espèce. La Cour de cassation autorise le port des décorations sur la robe, mais n'interdit pas aux Barreaux de réglementer cet usage.


Le principe de neutralité


La décision du Conseil de l'Ordre s'inscrit dans un mouvement général d'élargissement du principe de neutralité, qui dépasse désormais largement le champ étroit du service public. Depuis l'arrêt de l'Assemblée plénière rendu le 25 juin 2014 dans la célèbre affaire Baby Loup, la neutralité peut désormais être imposée à la salariée d'une crèche associative. De même, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans deux décisions du 14 mars 2017, reconnaît aux entreprises le droit d'imposer la neutralité à leurs employés, à la condition toutefois que les motifs de ce choix soient clairement formulés dans le règlement intérieur.

Précisément, l'arrêt du 2 mars 2022 reconnait à l'ordre des avocats le droit de modifier son règlement intérieur pour imposer la neutralité. Ce n'est guère surprenant, si l'on considère que les avocats sont des auxiliaires de justice, donc participent au service public de la justice. Depuis le décret du 2 nivôse an XI, le port de la robe est davantage considéré comme un devoir que comme un droit. Ce principe est confirmé par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 qui énonce : "L'avocat revêt, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, le costume de sa profession". A contrario, en est-il dispensé lorsqu'il exerce des fonctions non directement judiciaires, par exemple recevoir un client à son cabinet.

 


Les bonnes causes. Christian-Jaque, 1963, Marina Vlady et Pierre Brasseur

 

La requérante n'était pas avocate

 

La 1ère Chambre civile, dans son arrêt du 2 mars 2022, commence par reconnaître l'irrecevabilité du pourvoi déposé par une demanderesse qui, dans son enthousiasme militant, avait oublié qu'elle n'était pas avocate.

Les textes sont pourtant clairs. L'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 donne compétence à la cour d'appel pour annuler, sur réquisitions du procureur général, les délibérations ou décisions du conseil de l'ordre. Le décret du 27 novembre 1991, affirme quant à lui, que le recours est ouvert à "tout avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels". Il doit alors saisir préalablement le bâtonnier, avant de déférer la décision en litige à la cour d'appel.

Or, en l'espèce, la requérante était une élève-avocate qui entendait porter le voile avec sa robe. Mais elle ne pouvait invoquer aucun "intérêt professionnel lésé", dès lors qu'elle n'exerçait pas encore la profession, n'étant pas encore titulaire du CAPA. Elle n'était donc pas soumise au port de la robe.

La jeune élève était toutefois en stage dans un cabinet, dont le responsable, cette fois avocat, s'était joint au pourvoi. Cette situation permet à la Cour de cassation de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

Elle écarte, logiquement, celui reposant sur l'incompétence du conseil de l'ordre pour modifier le règlement intérieur en matière de port des signes religieux. La Cour de cassation se fonde sur l'article 17 de la loi de 1971 qui donne attribution au conseil pour traiter de "toutes questions intéressant l'exercice de la profession". De même, l'article 21-1 lui confère une compétence générale pour unifier "les usages de la profession". On ne peut être surpris de ce rejet, d'autant que les Barreaux de Paris et Toulouse avaient déjà adopté ce type de réglementation. La Conférence des bâtonniers, en 2016, avait même appelé à une réglementation "disposant que les avocats se présentent tête nue dans l'exercice public de leurs fonctions d'assistance et de représentation".

 

L'avocat n'était pas décoré

 

Quant au dernier moyen, il repose sur les textes organisant la Légion d'honneur, l'Ordre du Mérite et la Médaille Militaire qui, tous, mentionnent que la personne décorée a le droit de porter les insignes liés à sa décoration. Il s'agissait donc d'obtenir l'annulation de la délibération, dans la mesure où elle interdisait le port de décorations. Hélas, le maître de stage se retrouve dans la même situation que sa stagiaire. N'étant titulaire d'aucune décoration, il ne peut se plaindre de ne pas pouvoir en porter sur sa robe d'avocat. 

La stagiaire n'était pas avocate, et le maître de stage n'était pas décoré. Il faut reconnaître que ce pourvoi avait bien peu de chances de prospérer. Mais ces recours militants teintés de prosélytisme ont, le plus souvent, un intéressant effet boomerang. Ils donnent l'occasion aux juges d'affirmer le droit positif avec clarté. Et contrairement à ce qui est parfois affirmé, le droit positif ne va pas du tout dans le sens de la reconnaissance d'un droit de porter des signes religieux dans toutes les activités professionnelles. Il tend au contraire, pas à pas, à étendre le principe de neutralité et à renforcer l'égalité devant la loi. Il faut donc remercier la stagiaire qui n'était pas avocate et le maître de stage qui n'était pas décoré pour leur effort remarquable en faveur du principe de laïcité.


Sur le principe de neutralité : Chapitre 10 section 2 § 2  du Manuel





jeudi 3 mars 2022

La réforme de l'adoption


La loi du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption a été présentée comme un texte bouleversant le droit positif. Techniquement il s'agit d'une proposition de loi déposée par la députée Monique Limon (LaRem), faisant suite à un rapport publié en octobre 2019, et sobrement intitulé : "Vers une éthique de l'adoption. Donner une famille à un enfant". Bien entendu, comme bon nombre de propositions de loi déposées par des députés LaRem, le texte est finalement rédigé par l'Exécutif et défendu par l'auteur de la proposition. Cette technique permet au gouvernement d'éviter la contrainte de l'étude d'impact et surtout de se placer en retrait, lorsque les divergences politiques sont importantes. 

C'était le cas en l'espèce. Malgré la procédure accélérée, il s'est passé quatorze mois entre le dépôt de la proposition le 7 décembre 2020, et son vote définitif en février 2022. Les divergences politiques ont finalement conduit à un échec de la commission mixte paritaire en novembre 2021, le dernier revenant à l'Assemblée nationale

La lecture de la loi laisse une impression bien éloignée de la communication qui l'a accompagnée. Bien loin de présenter une réforme globale visant à sécuriser l'adoption et à renforcer les droits des enfants, elle se présente comme l'un de ces textes fourre-tout, qui, il y a encore quelques années, aurait été modestement qualifié de loi "portant diverses dispositions (...)". Car la spécificité du texte réside sans doute dans la diversité de ses dispositions, au point que les commentateurs ont dénoncé un "agrégat d'articles hétérogènes".

 

La "valorisation" de l'adoption simple

 

L'objectif annoncé de "valoriser" l'adoption simple n'apparaît pas clairement, dans un texte qui ne modifie pas réellement le droit positif. Le législateur opère ainsi une réécriture de l'article 364-1 du code civil : "L'adoption simple confère à l'adopté une filiation qui s'ajoute à sa filiation d'origine. L'adopté conserve ses droits dans sa famille d'origine". Est donc supprimée la référence ancienne qui, depuis 1996, mentionnait que l'adopté conservait ses droits dans sa famille d'origine, "y compris ses droits héréditaires". Bien entendu, il ne faut pas comprendre que la nouvelle rédaction prive la personne de son héritage. Le législateur entend simplement insister sur le fait que l'adoption simple ajoute un nouveau lien de filiation, alors que l'adoption plénière substitue un lien de filiation à celui qui existait à la naissance. Le droit n'est donc pas modifié, et seule la rédaction change quelque peu.

De manière plus générale, la loi s'inscrit dans un mouvement de développement d'un droit du couple, désormais clairement détaché du droit du mariage. L'article 343 de ce même code civil est ainsi réécrit : "L'adoption peut être demandée par un couple marié non séparé de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins. Les adoptants doivent être en mesure d'apporter la preuve d'une communauté de vie d'au moins un an ou être âgés l'un et l'autre de plus de vingt-six ans". C'est évidemment un des points qui a suscité la plus forte opposition du Sénat, toujours dominé par une majorité attaché à une conception traditionnelle de la famille. A ses yeux, la cellule familiale ne saurait exister sérieusement hors mariage, à la condition qu'il s'agisse d'un mariage hétérosexuel. 

Mais précisément, la loi tire les conséquences des évolutions récentes du droit en facilitant l'adoption par des couples, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, mariés ou non mariés. La durée de communauté de vie est abaissée de deux à un an, et l'âge minimum pour adopter de 28 à 26 ans. Il s'agit là de modestes ajustements, mais ils vont néanmoins dans un sens libéral. 

Dans ce domaine de l'adoption, la loi n'innove pas vraiment mais, au contraire, témoigne tout simplement des évolutions de la société.


 Les enfants trouvés. Magritte


L'adoption intra-familiale

 

La première de ces évolutions est purement statistique. Il apparaît en effet que les adoptions intra-familiales sont les plus nombreuses. Pour ce qui est de l'adoption simple, 90 % des adoptés le sont par le conjoint de leur parent, le plus souvent un homme (78 %), et en couple dans 90 % des cas. La personne adoptée est âgée de 34, 5 ans en moyenne. Quant à l'adoption plénière, elle concerne essentiellement l'enfant du conjoint. Dans 83 % des cas, l'adoptant vit en couple avec une personne de même sexe, conséquence du recours aux techniques d'assistance médicale à la procréation. 

La seconde évolution porte précisément sur les conséquences de cette situation. Car si l'adoption intra-familiale est facilitée dans le droit positif, celle des enfants orphelins, délaissés ou abandonnés, demeure extrêmement difficile. C'est particulièrement vrai en matière d'adoption plénière des enfants de plus de quinze ans. La nouvelle rédaction de l'article 345-1 du code civil autorise leur adoption par le conjoint de l'un de leurs parents, lorsque l'autre parent est décédé ou s'est vu privé de l'autorité parentale, lorsque leurs parents y ont consenti, ou enfin lorque l'enfant est pupille de l'État ou déclaré judiciairement délaissé. La loi étend même cette adoption plénière au-delà de la majorité officielle de l'intéressé, jusqu'à l'âge de 21 ans.

 

L'adoption internationale

 

L'adoption internationale, quant à elle, n'est guère modifiée, si ce n'est que la loi rappelle la nécessité de l'agrément délivré par les autorités françaises et impose un consentement formel des parents biologiques à l'adoption de leur enfant. Le but est, à l'évidence, d'empêcher l'intervention d'officines qui, dans certains États, se livrent purement et simplement à la vente d'enfants.

La loi porte en elle toutefois une évolution substantielle dans ce domaine, avec une nouvelle définition de l'adoption internationale. Elle est tout simplement définie par le déplacement d'un mineur d'un État étranger vers la France où résident les adoptants. Cette définition écarte ainsi toute référence à la nationalité de l'enfant ou à celle des adoptants, simplification qui est dans l'intérêt de l'enfant et qui trouve son origine dans une jurisprudence qui privilégie désormais le critère de sa résidence habituelle pour apprécier sa nationalité.

 

Adoption et séparation du couple homosexuel

 

Enfin, la loi du 21 février 2022 vient combler une lacune de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. On se souvient que celle-ci prévoit une reconnaissance conjointe de la filiation de l'enfant par ses deux mères, lorsqu'il est issu d'une assistance médicale à la procréation (AMP). Or, rien n'était prévu concernant la pratique antérieure à ce texte, c'est-à-dire lorsque l'AMP avait eu lieu à l'étranger, dans l'hypothèse où la mère biologique de l'enfant, celle figurant dans l'acte de naissance, refuse la reconnaissance de son ex-conjointe. Certes, il s'agit d'une hypothèse rare, mais il n'en demeure pas que le droit positif ne supprime pas la filiation paternelle, lorsque le couple hétérosexuel s'est séparé avant la naissance de l'enfant. Au nom du principe d'égalité devant la loi, il est désormais possible à l'ex-conjointe d'apporter la preuve du projet parental commun et de l'AMP réalisée à l'étranger pour obtenir la reconnaissance de son lien de filiation. 

On observe avec intérêt que le Sénat s'est vivement opposé à cette disposition. A ses yeux, elle ne repose pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais se borne à régler un litige entre adultes. Sans doute, les membres du Sénat ont-ils oublié leur combat contre le mariage pour tous, durant lequel ils invoquaient le droit de l'enfant d'avoir deux parents ? Alors que ce droit peut aujourd'hui être revendiqué en faveur des couples homosexuels, il ne leur semble plus aussi fondamental.

On peut s'étonner que la loi du 21 février 2022 ait suscité une telle opposition au Sénat. En effet, elle peut être présentée comme un toilettage utile du droit positif, mais qui ne témoigne d'aucune vision globale de l'adoption. Contrairement à ce qu'affirmait le rapport de 2019, il ne s'agit pas de "donner une famille à un enfant", car la procédure d'adoption n'est pas fondamentalement modifiée. Au contraire, la rigueur nouvelle des procédures risque de tarir l'adoption internationale et, peut-être, d'accroître le recours à la gestation pour autrui à l'étranger. Il serait sans doute utile que le parlement prévoie une évaluation de ce texte, après quelques années de pratique. Hélas, contrairement aux lois bioéthique, celle-ci ne comporte aucune "clause de revoyure".



 

dimanche 27 février 2022

Conseil de l'Europe : la Russie suspendue de ses droits de représentation


Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé, lors d'une réunion extraordinaire du 25 février 2022, de prononcer la suspension immédiate des droits de représentation de la Fédération de Russie. La motivation de cette décision se trouve dans le compte-rendu d'une première décision datée du 24 février, dans laquelle les délégués  "condamnent avec la plus grande fermeté l’agression armée contre l’Ukraine par la Fédération de Russie en violation du droit international" et décident "d’examiner sans tarder, et en coordination étroite avec l’Assemblée parlementaire et la Secrétaire Générale, les mesures qu’il convient de prendre en réponse à la grave violation par la Fédération de Russe de ses obligations statutaires comme État membre du Conseil de l’Europe". 

 

Article 8 du Statut

 

La mesure a donc été prise dès le lendemain. Elle repose sur l'article 8 du statut qui énonce que "tout membre du Conseil de l'Europe qui enfreint gravement les dispositions de l'article 3 peut être suspendu de son droit de représentation (...)". Quant à l'article 3, c'est évidemment la disposition essentielle, par laquelle les États membres reconnaissent "le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales". Il ne fait guère de doute que l'agression contre l'Ukraine, pays souverain également membre du Conseil de l'Europe s'analyse comme une violation du droit international et une atteinte aux droits de l'homme les plus élémentaires, notamment le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Observons tout de même que seuls sont suspendus les "droits de représentation" au Comité des ministres et à l'Assemblée parlementaire, ce qui signifie que la Russie se voit seulement privée de son droit de vote dans ces instances, et n'est pas exclue du Conseil de l'Europe. En particulier, la Russie demeure partie à la Convention européenne des droits de l'homme et conserve un juge à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)es d. Cette mesure permet de conserver le droit de recours ouvert aux citoyens russes victimes d'atteintes aux droits de l'homme. En même temps, elle affirme une position commune des quarante-sept pays membres du Conseil de l'Europe, et ce consensus continental traduit l'isolement diplomatique de la Russie.


Le précédent de 2014


Les conséquences de cette suspension seront probablement limitées. On peut en effet évoquer le précédent de 2014, lorsqu'une mesure identique avait déjà frappé la Russie, après son annexion de la Crimée. A l'époque, la Russie avait riposté par une politique de la chaise vide, refusant non seulement de participer aux sessions mais aussi de s'acquitter de sa participation financière aux dépenses de l'organisation. Après de longues négociations, la Russie avait été réintégrée en 2019, non sans que l'Ukraine ait protesté contre cette réintégration.

Le ministère des affaires étrangères russe a déjà fait savoir qu'il préparait une réponse à cette nouvelle sanction, et on peut penser qu'au minimum, il reprendra la même politique de la chaise vide. Il n'est pas tout-à-fait exclu, cependant, qu'il aille plus loin en retirant son acceptation de la juridiction de la Cour. 

 


 

Calvin & Hobbes. Bill Watterson

 

La Russie, en délicatesse avec la CEDH

 

Ce serait certainement une très mauvaise nouvelle pour les citoyens Russes privés d'un recours contre les nombreuses atteintes aux droits de l'homme relevées dans le pays. Sur 70 000 requêtes pendantes au 1er janvier 2022, 17 000 viennent de Russie, soit 24,7 %. Ce pourcentage important fait de ce pays le plus attaqué des quarante-sept États parties à la Convention européenne. 

Certes, on pourra objecter que le deuxième est précisément l'Ukraine, avec 11 400 requêtes, soit 16, 1% des recours. Mais la Cour elle-même a constaté une amélioration de la situation de l'Ukraine, qui s'efforce de modifier son droit interne pour mieux répondre aux standards européens. Le 16 février 2022, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a ainsi choisi de clore la surveillance de l'exécution des arrêts Bochan 2 c. Ukraine. Après avoir refusé d'appliquer les règles du procès équitable et essuyé plusieurs condamnations de la CEDH, la Cour suprême ukrainienne avait en effet fait évoluer sa jurisprudence, permettant la levée de la surveillance.

La Russie n'est plus dans la situation d'un État qui se rapproche des standards, même si elle l'a été dans les années qui ont suivi son adhésion au Conseil de l'Europe, en 1996.  Certes, la Russie a décidé un moratoire sur la peine de mort et a même signé le protocole n° 6 visant une abolition définitive, sans toutefois le ratifier. Mais d'importantes atteintes aux droits de l'homme sont toujours commises dans ce pays, notamment au regard de l'absence de pluralisme politique, et des libertés d'association, de réunion et de manifestation qui sont loin d'être sérieusement garanties. Quant à la répression contre les Tchétchènes, elle a donné lieu à plusieurs sanctions de la CEDH, notamment parce que les autorités russes faisaient obstruction à toute enquête sur les interventions des forces de l'ordre. On pourrait citer une multitude des décisions de la Cour, intervenant sur les mêmes questions, et ne donnant lieu à aucun commencement d'exécution.

 

S'affranchir de la juridiction de la CEDH

 

Après la condamnation de la Russie dans l'affaire Ioukos, la Douma a voté une loi qui lui permet de s'affranchir des décisions de la CEDH, la Cour constitutionnelle de Russie exerçant désormais une autorité supérieure à celle des juges européens dans l'interprétation de la Convention européenne. Or, la Cour constitutionnelle n'est pas précisément un modèle en matière d'indépendance de la justice, ce qui permet à l'Exécutif russe de se soustraire comme il le souhaite aux décisions de la CEDH.

Le projet, caressé depuis quelque temps déjà par le Kremlin, a pris forme. La Russie entend s’affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’organe judiciaire du Conseil de l’Europe. Mardi 1er décembre, la Douma, la Chambre basse du Parlement russe, a voté en première lecture une loi qui place la Cour constitutionnelle de Russie au-dessus de la juridiction internationale destinée à assurer le respect des engagements souscrits par les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiée par la Russie depuis 1998.

Depuis lors, le conflit entre la CEDH et la Russie est gelé. D'un côté, un État qui refuse d'appliquer les décisions des juges européens et qui s'en donne les moyens juridiques, dans son droit interne. De l'autre, une Cour qui ne veut pas engager de mesures coercitives susceptibles de conduire à l'exclusion de la Russie, tout simplement pour laisser ouvert un recours aux citoyens russes victimes d'atteintes graves aux droits de l'homme. 

Considérée à la lumière de cette histoire récente, la décision de suspension de la Russie de ses droits de représentation au Conseil de l'Europe risque d'être utilisée comme prétexte par le Président Poutine pour sortir de la juridiction de la Cour européenne. Cette nouvelle marque de mépris pour les droits de l'homme serait une décision grave, non seulement pour la Russie, mais aussi pour l'ensemble du système européen de protection. L'idée d'un standard européen des droits de l'homme serait alors singulièrement fragilisée. 


Sur la CEDH : Chapitre 1 section 2 § 2  du Manuel

jeudi 24 février 2022

Le camping, pas vraiment indispensable à la vie de la nation


On s'en doutait un peu, mais le choc est tout de même rude pour tous les campeurs. Dans un arrêt du 17 février 2022, le Conseil d'État, sans précaution oratoire ni préparation psychologique, énonce en effet que le camping n'est pas une activité qui contribue à la vie de la nation.

 

La fermeture des terrains de camping

 

L'origine de cette grave question se trouve dans un recours déposé par une entreprise exploitant un terrain de camping. Elle a été contrainte de fermer cette installation durant l'état d'urgence sanitaire lié à l'épidémie de Covid-19, puis à la fin de cet état d'urgence, durant la période transitoire de sortie de crise. Or, cette période transitoire impliquait la possibilité de sortir hors de son domicile, dans un rayon de cent kilomètres. L'entreprise aurait donc apprécié de pouvoir ouvrir son camping à des campeurs "de proximité".

La requérante demande donc l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 20 mai 2020 qui faisait figurer parmi les activités susceptibles de recevoir du public les terrains de camping, "lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier". Ce décret complétait un premier texte du 11 mai 2020 qui dressait la liste des mesures susceptibles d'être prises dans le cadre de l'état d'urgence. Dans le cas présent, le terrain de camping n'accueillait malheureusement pas de résidents permanents et n'avait pas d'autre fonction que de permettre à des joyeux vacanciers de s'esbaudir au soleil.

Les moyens juridiques susceptibles d'être invoqués par l'entreprise gérant un terrain de camping n'étaient pas très nombreux. Comme on pouvait s'y attendre, celui reposant sur le caractère disproportionné de la mesure au regard de l'objectif de protection de la santé publique n'a pas prospéré. Le Conseil d'État se borné à mentionner que l'interdiction totale a été levée dès le 20 juin 2020, soit un mois après la publication du décret. Il ajoute que la mesure ne s'appliquait pas si le camping abritait le domicile régulier des résidents, dérogation montrant que la fermeture n'était pas une mesure absolue. 

 



Y'a du soleil et des nanas. Les Bronzés. Patrice Leconte. 1978. Michel Blanc

 

Egalité devant la loi

 

La société requérante a donc préféré s'appuyer sur la rupture du principe d'égalité devant la loi. Elle note que le décret du 11 mai 2020 ordonne la fermeture des campings, de villages vacances, maisons familiales et auberges collectives, mais, en revanche, autorise les hôtels à recevoir du public. Cette dérogation repose sur la nécessité d'assurer la poursuite des activités professionnelles qui nécessitent des déplacements, et donc un hébergement sur place. Aux yeux de l'entreprise requérante, les terrains de camping font l'objet d'une discrimination non justifiée, puisqu'ils peuvent aussi offrir un hébergement.

Mais pour le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Dans le cas présent, il note que les activités des terrains de camping ont "une visée principalement touristique", et ne sont pas vraiment utilisés pour les voyages d'affaires.

 

La continuité de la vie de la Nation

 

Les hôtels se voient donc investis d'une mission particulière liée à la "nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation", qui justifie un traitement différent.

La "nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation" est une notion qui n'est pas inconnue du système juridique. Elle trouve son fondement juridique dans l'article L 1111-1 du code de la défense, dans sa rédaction issue de la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009 : "La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier l'ensemble des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation, (...) et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter". Ce même code de la défense dresse ensuite une liste des secteurs d'activités d'importance vitale (SAIV) classés en quatre catégories, à savoir les dominantes humaine, régalienne, économique et technologique. On y trouve aussi bien la gestion de l'alimentation et de l'eau que les services civils, militaires et judiciaires de l'État, les communications, ou encore l'espace et la recherche.

La gestion de l'épidémie de Covid-19 a conduit à dresser la liste des services indispensables à la  continuité de la vie de la Nation, qui devaient rester accessibles pendant le confinement. L'article 12 du décret du 11 mai 2020 impose ainsi l'accueil dans les établissements scolaires des enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et "à la continuité de la vie de la nation". 

Le juge administratif a garanti le respect de cette disposition. C'est ainsi que le juge des référés a suspendu à plusieurs reprises, en particulier à la Réunion et en Guadeloupe, des arrêtés municipaux ordonnant la fermeture totale des écoles, sans accueil des enfants des personnels soignants. Le tribunal judiciaire d'Aix en Provence, dans un jugement du 30 avril 2020, rattache, quant à lui, les postiers aux "activités nécessaires à la continuité de la vie de la nation".

En revanche, les épiceries de nuit (T.A. Montpellier, 3 avril 2020) comme les fêtes foraines (T.A. Toulouse, 4 septembre 2020) ou les terrains de pétanque (TA Toulon, 23 avril 2020) ne sont pas considérés comme des "activités nécessaires à la continuité de la vie de la nation". Il en est de même des campings, et c'est précisément ce que vient d'affirmer le Conseil d'État. 

Certes, on pourrait dire que les membres du Conseil d'État ne fréquentent sans doute pas souvent les terrains de camping, préférant peut-être organiser un barbecue dans les jardins du Palais Royal. Ce serait sans doute leur faire un mauvais procès. Le droit de l'exception, celui des temps de tempête et des épidémies, se construit de manière purement réactive. L'"importance vitale pour la continuité de la vie de la nation" est définie en  fonction de la menace, en adaptant une grille définie par le Secrétariat générale de la défense nationale. En dehors de ces périodes d'exception, on retrouve un droit du temps normal, et même du beau temps et du soleil, un temps des vacances qui remplit les terrains de camping.


Sur l'urgence sanitaire : Chapitre 2 section 2 § 2 du Manuel


lundi 21 février 2022

Les invités de LLC. Serge Sur : Elections présidentielles : comment obtenir les 500 signatures

 


Il y a dix ans, le 17 février 2012, la question des parrainages nécessaires pour se porter candidat à l'élection présidentielle se posait déjà avec acuité. Marine Le Pen introduisait alors, sans succès, une QPC pour contester une procédure qui, à l'époque, reposait sur le caractère secret des signatures et l'opacité de la procédure. Depuis cette date, la loi du 25 avril 2016 est venue imposer la transparence des parrainages. Mais rien n'a changé et la recherche des signatures demeure extrêmement difficile pour certains candidats. De fait, la suggestion que faisait le professeur Serge Sur sur LLC le 17 février 2012 demeure d'une brûlante actualité.

 

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES : COMMENT OBTENIR LES 500 SIGNATURES

Serge Sur, professeur à l'Université Panthéon-Assas



La campagne présidentielle entre dans une phase active, dans la mesure où les principaux candidats sont désormais déclarés et assurés de participer à l’élection – tous sauf Madame Le Pen, qui semble toujours courir derrière les cinq cents signatures de maires nécessaires à la validation de sa candidature. Elle s’en plaint beaucoup, incrimine les forces politiques dominantes, UMP et PS, en les accusant de bloquer les parrainages indispensables. Ils ne le contestent au demeurant que mollement et refusent d’inciter leurs élus militants ou sympathisants à compenser la prudente abstention des maires, sollicités au nom du pluralisme légitime de l’expression démocratique. Ils ne craignent pas, parallèlement et presque dans le même souffle, de souhaiter que Madame Le Pen puisse être candidate au nom du même pluralisme.

Ce qui fait apparemment obstacle est la publication du nom des maires qui parrainent une candidature. La plupart d’entre eux redoutent de s’exposer à la vindicte de leurs électeurs s’ils semblaient soutenir une candidate qui, en dépit de ses efforts pour dédiaboliser le Front National, sent toujours le souffre. En vain souligne-t-on à l’envi que parrainer n’est pas approuver, mais simplement considérer qu’un courant politique enraciné mérite de se présenter au suffrage de l’élection politique majeure. Le sentiment général est en faveur de sa candidature, mais personne ne se précipite pour en accepter la  responsabilité.

La saisine du Conseil constitutionnel qui tend à remettre en cause la publicité des parrainages pourra-t-elle remédier à la difficulté ? Le Conseil pourrait-il écarter la publicité des signatures avec effet immédiat ? Madame Le Pen n’est pas seule en cause, puisque d’autres candidats – candidates – la rejoignent à l’appui de sa requête, Madame Christine Boutin et Madame Corinne Lepage. Le retrait de la première ne change pas la question de principe, qui est d’une portée plus générale que le sort d’une candidate virtuelle dans une élection particulière. La question a déjà été évoquée ici sous l’angle juridique, et l’on n’y reviendra pas.

Mr Smith au Sénat. Frank Capra. 1939
James Stewart


Il est en revanche une solution simple, facile à mettre en œuvre, et qui peut s’appliquer dès demain matin, sans aucun changement du droit en vigueur. Elle permettrait aux maires d’exercer leur rôle, sans conduire à un blocage démocratiquement difficile à justifier. Elle pourrait par exemple être initiée par l’Association des maires de France. Il suffirait que soit constitué entre eux un pool de maires qui acceptent de parrainer les candidats des partis légalement constitués, sans manifester de préférence pour un candidat particulier. Ils le feraient simplement au nom du pluralisme politique et de la libre expression des suffrages, qui sont des principes républicains.

Ces maires s’engageraient à accorder leur parrainage aux candidats répondant à ces critères, et un tirage au sort entre eux déterminerait le candidat qu’ils présentent. On s’assurerait que tous obtiennent le nombre de parrainages nécessaires. Ainsi aucun des maires participants ne pourrait se voir reprocher d’avoir soutenu un candidat particulier, puisqu’ils ne l’auraient pas eux-mêmes choisi. Le tirage au sort est une formule démocratique, utilisée dans d’autres situations, et personne ne la conteste. Y aurait-il multiplication indue des candidatures ? Sans doute pas si l’on se limitait aux formations politiques constituées et qui, lors d’élections précédentes, même récentes, ont obtenu un nombre minimal de voix.

 Pour les autres, le jeu ne serait pas fermé, puisque cette formule du tirage au sort ne serait pas exclusive. Rien n’empêcherait les autres candidats de tenter parallèlement leur chance auprès de leurs sympathisants, et rien ne leur interdirait de récuser la formule, de se soustraire au tirage au sort voire de récuser les parrainages qui en résulteraient. La formule de tirage au sort des parrainages serait une soupape de sécurité démocratique, interdisant à de grandes formations de bloquer indûment la compétition électorale et de s’en réserver le monopole. Pour les maires, parrainer n’est pas un privilège mais une fonction qui les fait participer à la libre expression du suffrage. Une fonction, c’est un devoir. Qu’ils l’assument !

Serge Sur
17 février 2012