« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 3 mars 2022

La réforme de l'adoption


La loi du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption a été présentée comme un texte bouleversant le droit positif. Techniquement il s'agit d'une proposition de loi déposée par la députée Monique Limon (LaRem), faisant suite à un rapport publié en octobre 2019, et sobrement intitulé : "Vers une éthique de l'adoption. Donner une famille à un enfant". Bien entendu, comme bon nombre de propositions de loi déposées par des députés LaRem, le texte est finalement rédigé par l'Exécutif et défendu par l'auteur de la proposition. Cette technique permet au gouvernement d'éviter la contrainte de l'étude d'impact et surtout de se placer en retrait, lorsque les divergences politiques sont importantes. 

C'était le cas en l'espèce. Malgré la procédure accélérée, il s'est passé quatorze mois entre le dépôt de la proposition le 7 décembre 2020, et son vote définitif en février 2022. Les divergences politiques ont finalement conduit à un échec de la commission mixte paritaire en novembre 2021, le dernier revenant à l'Assemblée nationale

La lecture de la loi laisse une impression bien éloignée de la communication qui l'a accompagnée. Bien loin de présenter une réforme globale visant à sécuriser l'adoption et à renforcer les droits des enfants, elle se présente comme l'un de ces textes fourre-tout, qui, il y a encore quelques années, aurait été modestement qualifié de loi "portant diverses dispositions (...)". Car la spécificité du texte réside sans doute dans la diversité de ses dispositions, au point que les commentateurs ont dénoncé un "agrégat d'articles hétérogènes".

 

La "valorisation" de l'adoption simple

 

L'objectif annoncé de "valoriser" l'adoption simple n'apparaît pas clairement, dans un texte qui ne modifie pas réellement le droit positif. Le législateur opère ainsi une réécriture de l'article 364-1 du code civil : "L'adoption simple confère à l'adopté une filiation qui s'ajoute à sa filiation d'origine. L'adopté conserve ses droits dans sa famille d'origine". Est donc supprimée la référence ancienne qui, depuis 1996, mentionnait que l'adopté conservait ses droits dans sa famille d'origine, "y compris ses droits héréditaires". Bien entendu, il ne faut pas comprendre que la nouvelle rédaction prive la personne de son héritage. Le législateur entend simplement insister sur le fait que l'adoption simple ajoute un nouveau lien de filiation, alors que l'adoption plénière substitue un lien de filiation à celui qui existait à la naissance. Le droit n'est donc pas modifié, et seule la rédaction change quelque peu.

De manière plus générale, la loi s'inscrit dans un mouvement de développement d'un droit du couple, désormais clairement détaché du droit du mariage. L'article 343 de ce même code civil est ainsi réécrit : "L'adoption peut être demandée par un couple marié non séparé de corps, deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou deux concubins. Les adoptants doivent être en mesure d'apporter la preuve d'une communauté de vie d'au moins un an ou être âgés l'un et l'autre de plus de vingt-six ans". C'est évidemment un des points qui a suscité la plus forte opposition du Sénat, toujours dominé par une majorité attaché à une conception traditionnelle de la famille. A ses yeux, la cellule familiale ne saurait exister sérieusement hors mariage, à la condition qu'il s'agisse d'un mariage hétérosexuel. 

Mais précisément, la loi tire les conséquences des évolutions récentes du droit en facilitant l'adoption par des couples, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, mariés ou non mariés. La durée de communauté de vie est abaissée de deux à un an, et l'âge minimum pour adopter de 28 à 26 ans. Il s'agit là de modestes ajustements, mais ils vont néanmoins dans un sens libéral. 

Dans ce domaine de l'adoption, la loi n'innove pas vraiment mais, au contraire, témoigne tout simplement des évolutions de la société.


 Les enfants trouvés. Magritte


L'adoption intra-familiale

 

La première de ces évolutions est purement statistique. Il apparaît en effet que les adoptions intra-familiales sont les plus nombreuses. Pour ce qui est de l'adoption simple, 90 % des adoptés le sont par le conjoint de leur parent, le plus souvent un homme (78 %), et en couple dans 90 % des cas. La personne adoptée est âgée de 34, 5 ans en moyenne. Quant à l'adoption plénière, elle concerne essentiellement l'enfant du conjoint. Dans 83 % des cas, l'adoptant vit en couple avec une personne de même sexe, conséquence du recours aux techniques d'assistance médicale à la procréation. 

La seconde évolution porte précisément sur les conséquences de cette situation. Car si l'adoption intra-familiale est facilitée dans le droit positif, celle des enfants orphelins, délaissés ou abandonnés, demeure extrêmement difficile. C'est particulièrement vrai en matière d'adoption plénière des enfants de plus de quinze ans. La nouvelle rédaction de l'article 345-1 du code civil autorise leur adoption par le conjoint de l'un de leurs parents, lorsque l'autre parent est décédé ou s'est vu privé de l'autorité parentale, lorsque leurs parents y ont consenti, ou enfin lorque l'enfant est pupille de l'État ou déclaré judiciairement délaissé. La loi étend même cette adoption plénière au-delà de la majorité officielle de l'intéressé, jusqu'à l'âge de 21 ans.

 

L'adoption internationale

 

L'adoption internationale, quant à elle, n'est guère modifiée, si ce n'est que la loi rappelle la nécessité de l'agrément délivré par les autorités françaises et impose un consentement formel des parents biologiques à l'adoption de leur enfant. Le but est, à l'évidence, d'empêcher l'intervention d'officines qui, dans certains États, se livrent purement et simplement à la vente d'enfants.

La loi porte en elle toutefois une évolution substantielle dans ce domaine, avec une nouvelle définition de l'adoption internationale. Elle est tout simplement définie par le déplacement d'un mineur d'un État étranger vers la France où résident les adoptants. Cette définition écarte ainsi toute référence à la nationalité de l'enfant ou à celle des adoptants, simplification qui est dans l'intérêt de l'enfant et qui trouve son origine dans une jurisprudence qui privilégie désormais le critère de sa résidence habituelle pour apprécier sa nationalité.

 

Adoption et séparation du couple homosexuel

 

Enfin, la loi du 21 février 2022 vient combler une lacune de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. On se souvient que celle-ci prévoit une reconnaissance conjointe de la filiation de l'enfant par ses deux mères, lorsqu'il est issu d'une assistance médicale à la procréation (AMP). Or, rien n'était prévu concernant la pratique antérieure à ce texte, c'est-à-dire lorsque l'AMP avait eu lieu à l'étranger, dans l'hypothèse où la mère biologique de l'enfant, celle figurant dans l'acte de naissance, refuse la reconnaissance de son ex-conjointe. Certes, il s'agit d'une hypothèse rare, mais il n'en demeure pas que le droit positif ne supprime pas la filiation paternelle, lorsque le couple hétérosexuel s'est séparé avant la naissance de l'enfant. Au nom du principe d'égalité devant la loi, il est désormais possible à l'ex-conjointe d'apporter la preuve du projet parental commun et de l'AMP réalisée à l'étranger pour obtenir la reconnaissance de son lien de filiation. 

On observe avec intérêt que le Sénat s'est vivement opposé à cette disposition. A ses yeux, elle ne repose pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais se borne à régler un litige entre adultes. Sans doute, les membres du Sénat ont-ils oublié leur combat contre le mariage pour tous, durant lequel ils invoquaient le droit de l'enfant d'avoir deux parents ? Alors que ce droit peut aujourd'hui être revendiqué en faveur des couples homosexuels, il ne leur semble plus aussi fondamental.

On peut s'étonner que la loi du 21 février 2022 ait suscité une telle opposition au Sénat. En effet, elle peut être présentée comme un toilettage utile du droit positif, mais qui ne témoigne d'aucune vision globale de l'adoption. Contrairement à ce qu'affirmait le rapport de 2019, il ne s'agit pas de "donner une famille à un enfant", car la procédure d'adoption n'est pas fondamentalement modifiée. Au contraire, la rigueur nouvelle des procédures risque de tarir l'adoption internationale et, peut-être, d'accroître le recours à la gestation pour autrui à l'étranger. Il serait sans doute utile que le parlement prévoie une évaluation de ce texte, après quelques années de pratique. Hélas, contrairement aux lois bioéthique, celle-ci ne comporte aucune "clause de revoyure".



 

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