« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 21 février 2022

Les invités de LLC. Serge Sur : Elections présidentielles : comment obtenir les 500 signatures

 


Il y a dix ans, le 17 février 2012, la question des parrainages nécessaires pour se porter candidat à l'élection présidentielle se posait déjà avec acuité. Marine Le Pen introduisait alors, sans succès, une QPC pour contester une procédure qui, à l'époque, reposait sur le caractère secret des signatures et l'opacité de la procédure. Depuis cette date, la loi du 25 avril 2016 est venue imposer la transparence des parrainages. Mais rien n'a changé et la recherche des signatures demeure extrêmement difficile pour certains candidats. De fait, la suggestion que faisait le professeur Serge Sur sur LLC le 17 février 2012 demeure d'une brûlante actualité.

 

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES : COMMENT OBTENIR LES 500 SIGNATURES

Serge Sur, professeur à l'Université Panthéon-Assas



La campagne présidentielle entre dans une phase active, dans la mesure où les principaux candidats sont désormais déclarés et assurés de participer à l’élection – tous sauf Madame Le Pen, qui semble toujours courir derrière les cinq cents signatures de maires nécessaires à la validation de sa candidature. Elle s’en plaint beaucoup, incrimine les forces politiques dominantes, UMP et PS, en les accusant de bloquer les parrainages indispensables. Ils ne le contestent au demeurant que mollement et refusent d’inciter leurs élus militants ou sympathisants à compenser la prudente abstention des maires, sollicités au nom du pluralisme légitime de l’expression démocratique. Ils ne craignent pas, parallèlement et presque dans le même souffle, de souhaiter que Madame Le Pen puisse être candidate au nom du même pluralisme.

Ce qui fait apparemment obstacle est la publication du nom des maires qui parrainent une candidature. La plupart d’entre eux redoutent de s’exposer à la vindicte de leurs électeurs s’ils semblaient soutenir une candidate qui, en dépit de ses efforts pour dédiaboliser le Front National, sent toujours le souffre. En vain souligne-t-on à l’envi que parrainer n’est pas approuver, mais simplement considérer qu’un courant politique enraciné mérite de se présenter au suffrage de l’élection politique majeure. Le sentiment général est en faveur de sa candidature, mais personne ne se précipite pour en accepter la  responsabilité.

La saisine du Conseil constitutionnel qui tend à remettre en cause la publicité des parrainages pourra-t-elle remédier à la difficulté ? Le Conseil pourrait-il écarter la publicité des signatures avec effet immédiat ? Madame Le Pen n’est pas seule en cause, puisque d’autres candidats – candidates – la rejoignent à l’appui de sa requête, Madame Christine Boutin et Madame Corinne Lepage. Le retrait de la première ne change pas la question de principe, qui est d’une portée plus générale que le sort d’une candidate virtuelle dans une élection particulière. La question a déjà été évoquée ici sous l’angle juridique, et l’on n’y reviendra pas.

Mr Smith au Sénat. Frank Capra. 1939
James Stewart


Il est en revanche une solution simple, facile à mettre en œuvre, et qui peut s’appliquer dès demain matin, sans aucun changement du droit en vigueur. Elle permettrait aux maires d’exercer leur rôle, sans conduire à un blocage démocratiquement difficile à justifier. Elle pourrait par exemple être initiée par l’Association des maires de France. Il suffirait que soit constitué entre eux un pool de maires qui acceptent de parrainer les candidats des partis légalement constitués, sans manifester de préférence pour un candidat particulier. Ils le feraient simplement au nom du pluralisme politique et de la libre expression des suffrages, qui sont des principes républicains.

Ces maires s’engageraient à accorder leur parrainage aux candidats répondant à ces critères, et un tirage au sort entre eux déterminerait le candidat qu’ils présentent. On s’assurerait que tous obtiennent le nombre de parrainages nécessaires. Ainsi aucun des maires participants ne pourrait se voir reprocher d’avoir soutenu un candidat particulier, puisqu’ils ne l’auraient pas eux-mêmes choisi. Le tirage au sort est une formule démocratique, utilisée dans d’autres situations, et personne ne la conteste. Y aurait-il multiplication indue des candidatures ? Sans doute pas si l’on se limitait aux formations politiques constituées et qui, lors d’élections précédentes, même récentes, ont obtenu un nombre minimal de voix.

 Pour les autres, le jeu ne serait pas fermé, puisque cette formule du tirage au sort ne serait pas exclusive. Rien n’empêcherait les autres candidats de tenter parallèlement leur chance auprès de leurs sympathisants, et rien ne leur interdirait de récuser la formule, de se soustraire au tirage au sort voire de récuser les parrainages qui en résulteraient. La formule de tirage au sort des parrainages serait une soupape de sécurité démocratique, interdisant à de grandes formations de bloquer indûment la compétition électorale et de s’en réserver le monopole. Pour les maires, parrainer n’est pas un privilège mais une fonction qui les fait participer à la libre expression du suffrage. Une fonction, c’est un devoir. Qu’ils l’assument !

Serge Sur
17 février 2012

 

1 commentaire:

  1. Quelle morale pourrait-on tirer de cette excellente analyse présentée, il y a déjà dix ans, par ce éminent professeur agrégé de droit public ?

    - La première est que tout change pour que rien ne change. Le fait que le problème se pose, à nouveau avec acuité aujourd'hui, démontre que nos dirigeants pratiquent avec une constance qui force le respect, la fameuse politique du chien crevé au fil de l'eau. Elle rappelle la célèbre formule d'Henri Queuille : "Il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout".

    - La deuxième est que cet universitaire, aux talents encore trop méconnus, est le pur produit de la méritocratie à la française. Un enseignement supérieur qui cultivait l'excellence et qui ne perdait pas son temps à défendre parité, quotas, discrimination positive, cancel culture et autres sornettes qui discréditent l'université tant dans sa dimension enseignement que dans sa vocation de recherche.

    - La troisième est que la nature fait bien les choses. L'élection récente du professeur Serge Sur à l'Académie des sciences morales et politiques constitue le couronnement d'une carrière riche, variée, tendue uniquement vers le service public, le bien public et non la défense d'intérêts personnels.

    Le seul souhait que nous puissions former, à ce stade, est qu'il continue longtemps à éclairer de ses lumières les problématiques de droit constitutionnel, de droit international public et de relations internationales, pour notre plus grand bien.

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