La question des parrainages se pose de manière récurrente, à chaque élection présidentielle. La campagne actuelle ne fait pas exception. Certains candidats obtiennent très facilement les 500 promesses de signature indispensables, bien avant le 6è vendredi qui précède l'élection. Tel est le cas de Valérie Pécresse qui bénéficie du réseau très dense des élus LR dans les collectivités territoriales. Il en est de même de Anne Hidalgo. Si le PS n'a plus beaucoup d'électeurs ni d'ailleurs de militants, il conserve en effet un solide ancrage territorial. Pour ceux-là, le recueil des signatures n'est qu'une formalité rapidement remplie.
Pour d'autres, la quête se révèle longue et difficile. Jean-Luc Mélenchon d'abord se trouve dans une situation plus délicate qu'en 2017, car il ne peut puiser dans le réservoir des élus communistes, le PC ayant cette fois son propre candidat. La situation n'est pas plus favorable à l’extrémité de la droite. Si Marine Le Pen reconnait rencontrer quelques difficultés pour réunir 500 signatures, Eric Zemmour s'agite davantage. Avouant qu'il ne dispose actuellement que d'environ 300 promesses de signature, il tempête, crie au "scandale démocratique" et saisit l'Association des maires de France (AMF), à laquelle il demande de constituer un pool de signatures, sorte de réservoir dans lequel pourraient puiser tous les crédits crédits dans les sondages de 5 à 8 % des voix. Il s'est évidemment heurté à une fin de non-recevoir de David Lisnard, président de l'AMF qui lui a simplement fait observer que l'on ne change pas la loi électorale cent jours avant l'élection.
Cette agitation reparaît à chaque élection et elle montre que la question des parrainages est loin d'être réglée. Si le principe des parrainages répond à un réel besoin, force est de constater que la procédure est loin d'être satisfaisante.
Un bilan contrasté
L'objet de la procédure est d'empêcher la multiplication des candidatures peu représentatives, voire fantaisistes. Le principe du parrainage existe depuis 1962, c'est à dire depuis
l'élection du Président de la République au suffrage
universel. A l'époque, il suffisait
d'obtenir 100 signatures d'élus pour pouvoir se présenter. La contrainte
était légère, et le nombre de candidats a rapidement
augmenté, passant de 6 en 1965 à 12 en 1974. Cette croissance pouvait toutefois sembler naturelle, et atteindre une douzaine de candidats
aux élections présidentielles n'aurait pas dû, a priori, susciter
d'inquiétudes pour l'exercice de la démocratie.
Monsieur Giscard d'Estaing, une fois élu, a cependant estimé que ce
nombre était trop élevé. En 1976, la loi électorale a été modifiée.
Désormais, il faut réunir 500 signatures provenant de 30 départements
différents, avec 50 signatures par département. Seuls les
élus peuvent parrainer une candidature, soit les maires des 36 000
communes auxquels il faut ajouter les parlementaires, les conseillers
régionaux et départementaux ainsi que les membres de l'assemblée corse et des
assemblées d'outre-mer, soit un collège potentiel d'environ 42 000
signataires.
Cette réforme a empêché Jean Marie Le Pen, comme d'ailleurs Alain Krivine, de se
présenter aux présidentielles de 1981, alors même qu'ils avaient pu faire
acte de candidature en 1974. Pour autant, elle n'a pas réellement eu
l'effet annoncé. S'il est vrai que l'on est passé de 12 candidats en
1974 à 10 en 1981 et 9 en 1988 et 1995, le nombre de candidatures
remonte ensuite à 16 en 2002, pour se stabiliser à 12 en 2007, 10 en 2012, 11 en 2017.
Le nombre de candidats est donc à peu près
identique en 1974 et en 2017, ce qui pose question sur l'utilité de
la réforme de 1976.
Quant à la menace des candidatures fantaisistes, elle demeure tout-à-fait marginales. Pierre Dac, Chef du Parti d'en Rire et président du Mouvement ondulatoire unifié (MOU) a ainsi présenté sa candidature en 1965, avec comme slogan : "Les temps sont durs, vive le MOU". Il l'a rapidement retirée à la demande
personnelle du général de Gaulle, qu'il avait rejoint
dans la France Libre. Il n'a jamais engagé la procédure de recueil de signatures, de même que Coluche en 1981 et Dieudonné en 2002.
Le Parti d'en rire. Pierre Dac et Francis Blanche
Théâtre des Champs Élysées, 1959
Archives de l'INA
Un instrument de tactique politique
En 1962, l'obligation de parrainage était présentée comme une autorisation de se présenter, une garantie de la représentativité nationale du candidat. Il n'était pas considéré comme nécessaire que les signataires partagent l'idéal du candidat. Il suffisait qu'ils considèrent que les idées de ce dernier devaient légitimement figurer dans la compétition électorale.
La pratique s'est révélée bien différente. La signature a été perçue comme un soutien politique, ce qui explique la difficulté des extrêmes, de gauche ou de droite, à obtenir des parrainages. Les élus préfèrent
s'auto-censurer pour ne pas s'attirer les foudres de leurs électeurs. Surtout, les partis politiques les plus puissants ont fait du parrainage une arme tactique, imposant une certaine forme de discipline à leurs élus.
N'est il pas tentant de parrainer
un candidat d'opposition qui
risque de mordre sur l'électorat de l'adversaire principal ? Prenons un exemple au hasard : si Valérie Pécresse décidait de laisser aux élus locaux LR la liberté de leur signature, ils pourraient ainsi apporter leur parrainage à Éric Zemmour. Ce serait une excellente opération, dans le but de diviser l'extrême-droite pour affronter Emmanuel Macron au second tour. De même, Éric Zemmour se trouvait affaibli, car il obtiendrait ses signatures d'un parti auquel il s'oppose de manière très vive.
Publication des signatures
Pour empêcher de telles manoeuvres, a été décidée la publication des
signatures. A l'origine, elles étaient transmises par les candidats au Conseil constitutionnel, et celui-ci publiait les cinq cents premières reçues. Le résultat de cette pratique était un traitement très différent des signataires. En 2007,
une étude a ainsi montré que un parrain de Jean-Marie Le Pen avait 90, 3% de voir son nom publié, alors que le taux chutait à 14, 3 % pour Ségolène Royal et 14, 4 % pour Nicolas Sarkozy. Par la suite, le tirage au sort a été mis en oeuvre, mais cette réforme n'a guère changé la situation. La crainte d'être publié suffisait à dissuader.
Lors de la campagne de 2012, Marine Le Pen a eu l'idée de contester la procédure en vigueur par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur laquelle le
Conseil constitutionnel s'est prononcé le 21 février. La requérante invoquait précisément une atteinte à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme
de 1789 qui consacre l'égalité devant la loi, moyen qui était loin d'être absurde. Les élus signataires se trouvaient en effet, au regard de la publicité de leur parrainage, dans une situation bien différente selon le candidat pour lequel ils signaient. Le Conseil a pourtant écarté le recours, affirmant que cette différence de traitement avait été voulue par le législateur, dans le but de permettre au Conseil
constitutionnel d'effectuer plus facilement sa mission de contrôle des
signatures. Le Conseil reconnaissait néanmoins une différence de traitement, mentionnant qu'il appartenait au législateur de modifier le droit existant.
Les lois de 2016 ou l'art de ne rien résoudre
C'est ce qu'il a fait, ou du moins prétendu faire, avec deux textes votés le 5 avril 2016, sur la
"
modernisation de la campagne présidentielle". Le premier est une
loi organique, le second une
loi ordinaire. Le parlement a fait le choix d'une transparence totale en imposant la
transmission des présentations au Conseil constitutionnel par le
signataire lui-même et non plus par le candidat. Ces signatures sont
ensuite publiées au fur et à mesure de leur arrivée.
Force est de constater l'étrangeté de ce texte. Alors que le constat général était que la publicité des signatures constituait un frein pour les partis situés aux extrêmes de l'espace politique, le législateur choisit la transparence totale. Certes, ce choix ne pose aucun problème constitutionnel, car la transparence ne peut guère été présentée comme portant atteinte, en soi, au principe de pluralisme. Mais les lois de 1976 ont pour caractéristique de ne rien changer aux difficultés des petits partis et des partis extrêmes. En revanche, il est certain que les mouvements plus solidement installés dans l'échiquier politique bénéficient de la procédure. Ils peuvent facilement imposer une discipline de signature à leurs élus et s'assurer qu'elle est respectée. On comprend mieux que Anne Hidalgo, avec des sondages autour de 4 %, ait obtenu sans difficultés 500 signatures.
Les protestations d'Éric Zemmour ressemblent donc à toutes celles qui l'ont précédé et qui proviennent de candidats qui ne parviennent pas à obtenir ces parrainages. Sa suggestion de constituer un "pool" au sein de l'AMF réunissant des signatures susceptibles ensuite d'être offertes aux candidats en difficulté manque en revanche de sérieux. En l'état actuel du droit, le parrainage est une décision individuelle que l'élu doit assumer, puisque sa signature est publiée. Il est donc inenvisageable d'utiliser sa signature pour un candidat qu'il n'a pas choisi.
Il n'empêche que le problème devrait, un jour ou l'autre, susciter une nouvelle intervention législative. Pourquoi ne pas adopter un système hybride permettant aux candidats de cumuler des signatures d'élus avec des signatures d'électeurs ? Serait-il impensable qu'un candidat soit ainsi sollicité par des citoyens, des lors que des garanties de représentativité sont également exigées ? A une époque où l'on voit se multiplier les candidatures qui ne s'appuient sur aucun parti politique constitué, comme Emmanuel Macron en 2017 ou Eric Zemmour aujourd'hui, il ne serait pas absurde que les électeurs eux-mêmes soient appelés à apprécier le sérieux et la représentativité des candidatures. Mais hélas, la question des parrainages est toujours soulevée dans les mois qui précèdent l'élection, pas dans ceux qui la suivent. D'une manière générale en effet, les grands partis, ceux qui sont largement représentés au parlement, n'ont pas tellement envie que les choses changent.