Le rapport de la Commission indépendante sur les abus de l'Église (CIASE) présidée par Jean-Marc Sauvé risque fort d'avoir les effets d'une sorte de bombe à fragmentation. Pour le moment, chacun salue la qualité du travail accompli, mais le sentiment qui domine est la sidération à l'annonce du chiffre de 330 000 victimes de pédocriminalité dans l'Église entre 1950 et 2020. Le constat est accablant et ne pourra rester sans suite, affirme Jean-Marc Sauvé.
Selon le rapport, ce phénomène massif a pu exister parce qu'il a été "longtemps recouvert par une chape de silence". Et précisément, le rapport invite l'Église à lever l'omerta, à affronter avec courage cette triste réalité, et à réparer les dommages causés aux victimes. Certaines réactions de religieux sont encourageantes, d'autres le sont beaucoup moins. Il est un peu inquiétant, en effet, d'entendre le porte-parole des évêques de France, Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, affirmer sur France-Info que "le secret de la confession est plus fort que les lois de la République". Une telle assertion repose sur l'idée que le droit de l'Église est supérieur au droit de l'État. De tels propos visent précisément à justifier et à protéger cette "chape de silence". Le problème est que cette affirmation manque cruellement d'un fondement juridique sérieux. Elle va d'ailleurs directement à l'encontre du rapport Sauvé qui affirme, page 48, que "le secret de la confession ne peut permettre de dérogation à l'obligation de signaler aux autorités compétentes les cas de violences sexuelles"
Le droit canon
Le secret de la confession trouve son origine dans le code de droit canonique, plus précisément le canon 983, § 1 : "Le secret sacramentel est inviolable; c'est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d'une autre manière, et pour quelque cause que ce soit". Certes, mais le droit canon ne s'impose pas au droit positif, contrairement à ce que semble croire Monseigneur de Moulins-Beaufort. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 21 janvier 2012, à propos d'une affaire un peu moins grave que les crimes aujourd'hui mentionnés. L'Église voulait en effet reculer les droits à pension d'un religieux à la "première tonsure", c'est-à-dire au moment où il quitte le séminaire et est ordonné prêtre, norme édictée par le droit canon. La Cour de cassation réintègre les religieux dans le droit commun, en affirmant que le droit à pension est ouvert dès l'entrée au grand séminaire, dès lors que l'élève est déjà considéré comme "membre d'une congrégation ou collectivité religieuse". Le droit canon est donc écarté, pour faire prévaloir le principe d'égalité devant la loi.
Le secret professionnel
On doit reconnaître toutefois que les juges admettent volontiers l'existence d'un secret professionnel des religieux. Il dépasse le seul secret de la confession pour s'étendre à toutes les informations obtenues dans le cadre de la fonction ecclésiastique, principe acquis dès la décision du 4 décembre 1891. Les religieux peuvent donc invoquer l'article 226-13 du code pénal qui punit la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire. Au nom du principe d'égalité, cette garantie du secret professionnel s'étend à l'ensemble des représentants des différentes églises. Le 27 avril 1977, le tribunal correctionnel de Bordeaux a ainsi sanctionné un pasteur protestant trop bavard qui avait révélé des informations confidentielles apprises lors d'une préparation au mariage.
Le secret professionnel qui protège les religieux n'a donc rien de religieux. Il ne s'appuie pas sur le droit canon, mais sur le droit commun qui estime que les professions qui reçoivent certaines confidences peuvent invoquer le secret professionnel. Les religieux sont donc liés par la même norme juridique que les notaires ou les médecins.
Chappatte. 2 mars 2019
La barrière du droit pénal
Monseigneur de Moulins-Beaufort n'a peut-être pas vu que l'article 226-13 du code pénal est immédiatement suivi d'un article 226-14 qu'il convient de citer : "L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret", en particulier " à celui qui informe les autorités judiciaires (...) de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique". La loi prévoit donc une exception spécifique au secret professionnel dans le cas où il s'agit de dénoncer un acte de pédocriminalité.
Cette exception permet ainsi de diligenter une enquête pénale. Dans un arrêt du 17 décembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge ainsi qu'un juge d'instruction peut ordonner une perquisition dans un tribunal ecclésiastique, une "officialité", dans le but de saisir les pièces d'un dossier d'enquête canonique concernant des faits de viol reprochés à un prêtre lyonnais.
La non-dénonciation
La non-dénonciation d'agressions ou d'atteintes sexuelles infligées à un mineur est réprimée par l'article 434-3 du code pénal. Elle est punie d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende, peine qui peut être à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende, si le mineur a moins de quinze ans. Certes, le dernier alinéa de cette disposition mentionne que "sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13". Mais cela ne signifie pas qu'un religieux puisse invoquer le secret professionnel pour se soustraire à cette obligation de dénonciation d'un acte de pédocriminalité. Car précisément, "la loi qui en dispose autrement", c'est l'article 226-14 qui écarte précisément le secret dans ce cas particulier. La loi spéciale déroge clairement à la loi générale.
Le juge a fait application de ces dispositions, lorsque l'évêque de Bayeux a été condamné, le 4 septembre 2001, par le Tribunal correctionnel de Caen à trois mois de prison avec sursis pour ne pas avoir signalé à la justice les actes pédophiles commis par un prêtre de son diocèse, dont il avait eu connaissance. Le jugement écarte formellement le secret professionnel, pourtant invoqué par les avocats de la défense.
Cette jurisprudence a été indirectement confirmée par la Cour de cassation, dans sa décision du 14 avril 2021 concernant les poursuites diligentées contre l'ancien archevêque de Lyon, accusé de ne pas avoir dénoncé des faits d'agressions sexuelles commis par un prêtre de son diocèse. En l'espèce, il n'est pas contesté que l'évêque était tenu de procéder à cette dénonciation, et il n'obtient la relaxe qu'en raison de la prescription et du fait que les victimes, devenues majeures, étaient elles-mêmes en mesure de dénoncer les traitements subis.
Au regard du droit positif, le secret de la confession n'existe pas et ne saurait donc être "plus fort que les lois de la République". Seul existe un secret professionnel qui cède devant la nécessité de dénoncer des crimes graves. Les propos de Monseigneur de Moulins-Beaufort apparaissent ainsi comme une tentative maladroite d'affirmer que l'Église est au-dessus des lois, combat d'arrière-garde parfaitement inapproprié dans le cas des faits dénoncés par la Commission Sauvé. Surtout, le porte-parole des évêques de France donne ainsi une image catastrophique d'une Église incapable d'assumer sa responsabilité. Il ne reste plus qu'à attendre que ses propos soient rapidement désavoués par la hiérarchie ecclésiastique.