« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 1 septembre 2021

Quelques précisions sur l'impartialité objective de la justice



L'arrêt Karrar c. Belgique rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 31 août 2021 donne d'intéressantes précisions sur l'impartialité des juges et des juridictions. Il précise en effet les critères de distinction entre l'impartialité objective et l'impartialité subjective.

M. Karrar a été condamné à une peine de réclusion à perpétuité pour l'assassinat de ses deux enfants. Dans son recours en cassation, il se plaint d'un manque d'impartialité du président de la Cour d'assises qui l'a condamné. Celui-ci en effet s'était rendu, avant le procès, au domicile de la mère des enfants à laquelle il avait fait part de sa compassion. Le requérant invoque donc une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui consacre le droit à un procès équitable. A ses yeux, la visite du magistrat à la partie civile s'analyse comme une atteinte à l'impartialité.

La CEDH lui donne raison, ce qui n'est guère surprenant, la démarche du président de la Cour d'assises apparaissant un peu étrange. Mais l'intérêt de la décision n'est pas là. Il réside dans le choix de sanctionner la procédure belge pour impartialité objective.

 

L'impartialité subjective

 

La Cour aurait pu se référer à l'impartialité subjective. Cette dernière présente toutefois l'inconvénient d'imposer une intrusion dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est toujours présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La CEDH exige d'ailleurs que la violation du principe d'impartialité ne puisse être constatée que lorsque sa preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996,  pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes.

Sans doute aurait-il été possible de considérer que le président de la cour d'assises belge avait eu comportement de nature à faire douter de son impartialité subjective. Sa compassion à l'égard de la mère des victimes pouvait être interprétée comme un soutien apporté à la partie civile, avant la procès. 

Mais ce choix n'était pas satisfaisant, car la jurisprudence de la Cour considère comme preuve du manquement à l'impartialité subjective le comportement d'un juge qui témoignerait de l'hostilité ou de la malveillance à l'égard de l'accusé, pour des raisons personnelles. L'exemple de l'arrêt du Conseil d'État A.B. du 14 juin 2019, illustre parfaitement cette animosité, un juge de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) diffusant durant ses audiences des message pour le moins hostiles aux demandeurs d'asile : "Je vire tout ce qui est tchétchène, je limite la casse pour mon pays". "Je m'occupe des OQTF (obligations de quitter le territoire). Avec moi, ça dégage fissa". 

Dans l'affaire Karrar, le président de la Cour d'assises ne fait pas preuve d'hostilité à l'égard de l'accusé mais plutôt de bienveillance à l'égard de la mère des enfants assassinés. La Cour observe d'ailleurs que "la manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l’égard d’une partie civile ne peut s’assimiler à l’expression d’un parti pris à l’égard de l’accusé, et qu’elle peut au contraire s’analyser comme l’expression d’une justice à visage humain".

 

Lucky Luke. Le juge. Morris et Goscinny. 1959

 

L'impartialité objective


La CEDH préfère donc sanctionner la procédure pour manquement à l'impartialité objective. C'est alors l'institution judiciaire elle-même qui est en cause. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance au justiciable. La CEDH interdit ainsi, dans l'arrêt du 22 avril 2010 Chesne c. France) l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire. Le plus souvent, l'impartialité objective est donc invoquée pour des dysfonctionnements de l'institution judiciaire, le comportement personnel d'un juge n'était pas en cause.

Dans l'arrêt Karrar, la CEDH rappelle qu'il existe un second type de situation permettant de caractériser un manquement à l'impartialité objective. Ce n'est pas alors l'institution judiciaire dans son aspect organisationnel qui est en cause, c'est la conduite des juges dans une affaire donnée. Dans l'arrêt Kyprianou c. Chypre du 27 janvier 2004, la CEDH sanctionne ainsi la condamnation d'un avocat pour "mépris de la Cour", à la suite d'un modeste incident de séance.

L'affaire Karrar est assez proche de l'arrêt Kyprianou. C'est bien le comportement d'un juge qui est mis en question, et la Cour lui reproche surtout de n'avoir pris aucune précaution dans sa démarche. Le président de la Cour a en effet pris l'initiative de la visite à la mère des enfants, il n'en a informé personne et surtout pas les avocats de la défense, et elle a eu lieu en dehors de la présence de qui ce soit. De cette accumulation d'erreurs, la CEDH déduit que "le président a pris le risque que sa démarche puisse être critiquée". Elle n'accorde toutefois aucune satisfaction équitable au requérant, estimant que le constat de violation suffit à compenser son préjudice moral. 

L'évolution de la jurisprudence témoigne ainsi d'une certaine porosité entre l'impartialité objective et l'impartialité subjective. Le comportement du juge, voire ses sentiments, ne sont plus totalement écartés de l'impartialité objective. Cette évolution tient sans doute à la nature même de l'impartialité subjective, définie par une animosité caractérisée à la fois rare et difficile à prouver. En tout cas, il est clair que la Cour entend exercer un contrôle réel sur l'impartialité d'un système judiciaire.  

 

Sur l'impartialité des juges  : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4 section 1, § 1, D




dimanche 29 août 2021

Le pluralisme des courants d'opinion, même sur CNews


Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans une délibération du 28 juillet 2021 publiée le 27 août, met en garde la chaine CNews. Dans l'émission "L'heure des Pros" animée par Pascal Praud et diffusée le 26 avril 2012, le débat a porté sur la tribune signée quelques jours auparavant par des généraux qui s'élevaient, dans  l’hebdomadaire Valeurs actuelles contre “le délitement” de la France. 

Or ce débat ne brillait pas par les diversité des opinions qui s'y exprimaient. Étaient en effet sur le plateau l’ancien cadre du RN Jean Messiha, le publicitaire Jacques Séguéla, la directrice de la rédaction de Causeur, Elisabeth Lévy, et le secrétaire national adjoint du syndicat indépendant des commissaires de police, Matthieu Valet. L’eurodéputé RN Gilbert Collard était également intervenu par vidéoconférence. La liste des invités témoigne ainsi d'un tropisme politique penchant clairement vers la droite, et même vers l'extrémité de la droite. 

Sans doute pourrait-on faire valoir que CNews se revendique comme une sorte de FoxNews "à la française", ce qui signifie que la chaîne veut être le canal d'expression de la droite de la classe politique. Certes, mais le problème est que si un journal de la presse écrite ou diffusée sur internet peut parfaitement avoir une "ligne éditoriale" de droite ou de gauche, il n'en est pas tout à fait de même d'une chaine de télévision. Le droit de l'audiovisuel repose en effet sur un régime d'autorisation d'émettre délivrée par le CSA. Et ce dernier attribue l'autorisation en appréciant les mérites d'un projet au regard du respect du pluralisme des courants d'opinion. 

 

Le pluralisme des courants d'opinion


Dans sa décision du 11 octobre1984, le Conseil constitutionnel affirme que la liberté d’expression « ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications, de tendances et de caractères différents (…) ». Ce principe est ensuite étendu aux médias audiovisuels par la décision du 18septembre 1986 qui précise qu’il « constitue une des conditions de la démocratie ». Est ainsi consacré un véritable droit à l’expression des courants minoritaires. Ensuite, dans deux décisions du 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a fait de l’« indépendance des médias » un objectif de valeur constitutionnelle, instrument du pluralisme. La CEDH, quant à elle, utilise une formule proche, selon laquelle le droit d’exposer une opinion minoritaire est une composante essentielle de la société démocratique, qui repose sur « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture » Le juge des référés du Conseil d’État enfin, dans une ordonnance du 4 avril 2019 affirme que « le pluralisme des courants de pensée et d’opinion est une liberté fondamentale ».

Certes, le principe de pluralisme des courants d'opinions est surtout invoqué à l'occasion des campagnes électorales, d'autant lorsqu'il s'agit de mesurer le temps des paroles accordé aux différents candidats. Mais il impose aussi un équilibre général dans l'expression des opinions, en particulier sur les sujets faisant l'objet d'un débat particulièrement vif. Chaque chaîne, quelle que soit sa ligne éditoriale, doit ainsi accorder une place aux opinions minoritaires. Le CSA, dans une délibération du 18 avril 2018, affirme ainsi qu'il appartient à un service de communication audiovisuelle de veiller "au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne".

C'est précisément cette règle qui n'a pas été respectée par CNews, justifiant ainsi une procédure de mise en garde.

 


 Le débat sur la Cinq. Les Inconnus. Circa 1990

 

La mise en garde


La terminologie employée est importante, car la mise en garde n'est pas la mise en demeure. Ni l'une ni l'autre ne sont des sanctions, mais la seconde, la mise en demeure est néanmoins un acte administratif faisant grief. Prévue par l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 , elle est donc susceptible de recours devant le juge administratif. La mise en garde, en revanche, relève du "droit mou". Simple lettre envoyée aux opérateurs, elle ne saurait être contestée devant le juge administratif. Il s'agit, pour le CSA, de rappeler à une chaine la nécessité de respecter des obligations auxquelles elle a consenti lors de la procédure d'autorisation, par exemple en matière de diffusion d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques françaises et européennes.

Bien entendu, la mise en garde s'inscrit dans un système d'intervention graduée. La mise en garde peut conduire à une mise en demeure et si cette dernière n'est pas respectée, une procédure de sanction peut être engagée. Dans la situation présente, CNews devrait certainement essayer de se montrer un peu plus prudente, d'autant que le CSA a déjà observé qu'une seconde émission consacrée le 3 mai à la même tribune des généraux, avait été animée par sensiblement les mêmes intervenants. En outre, on se souvient que le CSA a infligé à la chaine une véritable sanction de 200 000 € d'amende pour des propos pour le moins polémiques d'Éric Zemour sur les migrants mineurs isolés. 

On pourrait évidemment s'interroger sur cette différence de traitement entre la presse écrite et audiovisuelle. La première fait ce qu'elle veut, adopte parfois une ligne éditoriale bien proche du pur militantisme politique. La seconde se voit imposer par la loi le respect du principe de pluralisme des opinions. On pourrait invoquer l'histoire pour expliquer cette situation. La presse s'est construite, depuis la loi du 29 juillet 1881, dans un système libéral reposant sur la liberté de créer un journal et de s'y exprimer. La communication audiovisuelle au contraire s'est construite en se libérant d'un système de monopole public. De fait le poids des contraintes étatiques est loin d'avoir totalement disparu. 

De manière plus générale, peut-être doit être reprendre l'ancienne distinction entre les médias froids et les médias chauds chère à Mac Luhan ? Le journal est un média froid, qui exige une distance du lecteur. Prenant le temps de lire un article, il prend aussi celui de réfléchir à son contenu, d'y adhérer ou de le rejeter. En revanche, la télévision est un média chaud qui fournit une masse d'informations au spectateur et  encourage sa passivité.  Il convient alors de le protéger contre des médias qui se présentent comme des instruments d'information alors qu'ils sont en réalité des instruments de propagande.


Sur la liberté de communication audiovisuelle  : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9 section 2, § 2, B


jeudi 26 août 2021

L'édition 2021 du manuel de libertés publiques

 

Le manuel de "Libertés publiques" publié sur Amazon présente l'originalité d'être accessible sur papier, mais aussi par téléchargement  pour la somme de six euros. Il peut être lu sur n'importe quel ordinateur.
 
Ce choix d'élargir le support d'un ouvrage universitaire s'explique par la volonté d'offrir aux étudiants un manuel adapté à leur budget mais aussi à leurs méthodes de travail. Ils trouvent aujourd'hui l'essentiel de leur documentation sur internet, mais ils ne sont pas toujours en mesure d'en apprécier la pertinence. Bien souvent, ils piochent un peu au hasard, entre des informations anciennes ou fantaisistes.

Le manuel de "Libertés publiques" proposé sur Amazon répond aux exigences académiques et il est actualisé au 24 août 2021, ce qui signifie qu'il intègre la loi "bioéthique"du 2 août 2021 et la loi "séparatisme" du 24 août 2021. Il fait l'objet d'une actualisation en temps réel, grâce à la nouvelle rubrique "Au fil de l'eau" du site "Liberté Libertés Chéries" et aux articles figurant sur le blog. Le manuel et le site sont donc conçus comme complémentaires.
 
Nombre d'écrits sur les libertés et les droits de l'homme relèvent aujourd'hui de la rhétorique et du militantisme, au risque de déformer la réalité juridique.  Cette publication propose une approche juridique, qui ne s'adresse pas seulement au public universitaire,  étudiants et enseignants, mais aussi à tous ceux qui ont à pratiquer ces libertés. Une connaissance précise du droit positif en la matière est nécessaire, aussi bien sur le plan académique que sur celui de la citoyenneté. C'est un panorama très large des libertés et de la manière dont le droit positif les garantit qui est ici développé. En témoigne, le plan de l'ouvrage que LLC met à disposition de ses lecteurs.
 


 
 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

I – LES LIBERTES PUBLIQUES COMME OBJET JURIDIQUE

II – LES TECHNIQUES JURIDIQUES DE MISE EN ŒUVRE DES LIBERTES PUBLIQUES

PREMIÈRE PARTIE

LE DROIT

DES LIBERTES PUBLIQUES

CHAPITRE 1 LA CONSTRUCTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES

SECTION 1 : ÉVOLUTION HISTORIQUE

§ 1 – Les doctrines individualistes et la prédominance du droit de propriété

§ 2 – Les doctrines des droits sociaux

SECTION 2   L’INTERNATIONALISATION DES DROITS DE L’HOMME

§ 1 – Les limites de l’approche universelle

§ 2 – Le succès de l’approche européenne

CHAPITRE 2 : L’AMÉNAGEMENT DES LIBERTES PUBLIQUES

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN

§ 1 – Le régime répressif

§ 2 – Le régime préventif

§ 3 - Le régime de déclaration préalable

SECTION 2 : LE DROIT DES PÉRIODES D'EXCEPTION

§ 1 – Les régimes constitutionnels

§ 2 – Les régimes législatifs : état d'urgence et état d'urgence sanitaire

CHAPITRE 3 : LES GARANTIES JURIDIQUES CONTRE LES ATTEINTES AUX LIBERTÉS

SECTION 1 : LES TRAITÉS INTERNATIONAUX

§ 1 – La primauté de la Constitution sur les traités non ratifiés

§ 2 – La primauté de la Constitution sur les traités ratifiés

SECTION 2 : LES LOIS

§ 1 – Le Conseil constitutionnel ou la conquête du statut juridictionnel

§ 2 – L’élargissement du contrôle de constitutionnalité

SECTION 3 : LES ACTES DE L’ADMINISTRATION

§ 1 – Les autorités administratives indépendantes

§ 2 – Le juge judiciaire

§ 3 – Le juge administratif

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE LA CLASSIFICATION DES LIBERTES PUBLIQUES

§ 1 – Les classifications fondées sur le rôle de l’Etat

§ 2 – Les classifications fondées sur le contenu des libertés.

DEUXIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE INDIVIDUELLE

CHAPITRE 4 LA SURETÉ

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les principes généraux du droit pénal

§ 2 – Les principes généraux de la procédure pénale

SECTION 2   LES GARANTIES PARTICULIÈRES DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les atteintes à la sûreté antérieures au jugement

§ 2 – Les atteintes à la sûreté sans jugement

CHAPITRE 5 LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR

SECTION 1 : LA LIBRE CIRCULATION DES NATIONAUX

§ 1 – Le droit de circuler sur le territoire

§ 2 – Le droit de quitter le territoire

SECTION 2   LES RESTRICTIONS A LA CIRCULATION DES ÉTRANGERS

§ 1 – L’entrée sur le territoire

§ 2 – La sortie du territoire

CHAPITRE 6 LE DROIT DE PROPRIÉTÉ

SECTION 1 LA CONSÉCRATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – Le droit de propriété et les valeurs libérales

§ 2 – La dilution du droit de propriété

SECTION 2 : LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – La privation de propriété

§ 2 – Les restrictions à l’exercice du droit de propriété

CHAPITRE 7 : LE DROIT A L’INTÉGRITÉ de la PERSONNE

SECTION 1 LE DROIT HUMANITAIRE

§ 1 – La torture

§ 2 – Les « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »

§ 3 – Les crimes contre l’humanité et les génocides

SECTION 2   LE RESPECT DU CORPS HUMAIN

§ 1 - Le droit à la vie

§ 2 – L’inviolabilité du corps humain

§ 3 – Indisponibilité du corps humain

SECTION 3 : LES DROITS ATTACHÉS À LA PROCRÉATION

§ 1 – Le droit de ne pas avoir d’enfant

§ 2 – Vers un droit d’avoir des enfants ?

CHAPITRE 8 :  LES LIBERTÉS DE LA VIE PRIVÉE

SECTION 1 : LA SANTÉ ET L’ORIENTATION SEXUELLE

§ 1 - La santé et le secret médical

§ 2 – L’orientation sexuelle

SECTION 2   LA FAMILLE

§ 1 – La liberté du mariage

§ 2 – Le secret des origines

SECTION 3 LE DOMICILE

§ 1 – Les perquisitions

§ 2 – Le « droit à l’incognito »

SECTION 4   LE DROIT A L’IMAGE

§ 1 – Principes fondateurs du droit à l’image

§ 2 – La vidéoprotection

SECTION 5 LA PROTECTION DES DONNÉES

§ 1 – L’« Habeas Data »

§ 2 – La création des fichiers

§ 3 – Le contrôle des fichiers

§ 4 – Big Data et intelligence artificielle

TROISIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE COLLECTIVE

 

CHAPITRE 9 LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

SECTION 1 : L’EXPRESSION POLITIQUE

§ 1 – Le droit de suffrage

§ 2 – Les droits de participation et de dénonciation

SECTION 2 : LE CHAMP DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – Une liberté de l’esprit

§ 2 – Une liberté économique

SECTION 3 : LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – La mise en cause du régime répressif

§ 2 – La protection de certaines valeurs

CHAPITRE 10 LAÏCITÉ ET LIBERTÉ DES CULTES

SECTION 1 LA LAÏCITÉ, PRINCIPE D’ORGANISATION DE L’ÉTAT

§ 1 – Le principe de laïcité dans l’ordre juridique

§ 2 – Le principe de neutralité

SECTION 2   L’exercice du culte

§ 1 – L’organisation des cultes

§ 2 – La police des cultes

SECTION 3 LES MOUVEMENTS SECTAIRES ET LA PROTECTION DES PERSONNES

§ 1 – Une définition fonctionnelle

§ 2 – Un régime juridique orienté sur la protection des personnes

CHAPITRE 11 LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT

SECTION 1 L’ENSEIGNEMENT PUBLIC

§ 1 – La gratuité

§ 2 – La laïcité

SECTION 2   L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ : AIDE ET CONTRÔLE DE L’ÉTAT

§ 1 – L’aide de l’Etat

§ 2 – Le contrôle de l’Etat

CHAPITRE 12 : LE DROIT DE PARTICIPER A DES GROUPEMENTS

SECTION 1 : LES GROUPEMENTS OCCASIONNELS

§ 1 – La liberté de réunion

§ 2 – La liberté de manifestation

SECTION 2 : LES GROUPEMENTS INSTITUTIONNELS

§ 1 – Les associations

§ 2 – Les syndicats

CHAPITRE 13 LES LIBERTÉS DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET DU TRAVAIL

SECTION 1 LES LIBERTÉS DE L’ENTREPRENEUR

§ 1 – La liberté du commerce et de l’industrie

§ 2 – La liberté d’entreprendre

SECTION 2   LES LIBERTÉS DU SALARIÉ

§ 1 – Le droit au travail

§ 2 – Les droits dans le travail

mardi 24 août 2021

Le Fact Checking de LLC : Quelques précisions sur le droit d'asile


La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan, et la rapidité avec laquelle elle s'est produite, suscite un grand mouvement d'exfiltration des Afghans qui ont travaillé avec les puissances occidentales ou qui ont exercé des emplois au sein de l'ancienne administration, ou encore qui ont simplement essayé de vivre dans une société plus moderne. On pense évidemment aux femmes qui ont pu accéder à l'enseignement universitaire et devenir magistrates ou chefs d'entreprise et qui, rendues invisibles par les nouveaux dirigeants, en seront probablement les principales victimes.

Il n'y a guère de voix pour contester la nécessité d'accueillir sur le territoire des personnes dont la vie serait menacée si elles demeuraient en Afghanistan. Mais est-il besoin pour autant de faire dire au droit ce qu'il ne dit pas ? On voit ainsi fleurir des chroniques et autres tribunes dans la presse qui affirment haut et fort que la célèbre Convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie, serait le seul fondement juridique permettant d'accorder le statut de réfugié à une personne. Il n'en est rien, et l'on dénombre trois fondements juridiques distincts régissant le droit d'asile.

Écartons d'emblée une difficulté terminologique. Tous les militants ont tendance à qualifier de "réfugié" tout étranger qui pénètre sur le territoire français. Sur le plan juridique, ne peut cependant être qualifié de "réfugié" que celui auquel a été reconnu le droit d'asile et qui dispose donc, à l'issue d'une procédure compliquée, d'un véritable droit au séjour. 

 

Trois fondement juridiques


Le droit d’asile constitutionnel apparaît pour la première fois dans notre système juridique avec la Constitution de 1793, qui « accorde l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ». Le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans l’article L511-1 ceseda affirme aujourd’hui que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le droit d’asile concerne donc une personne qui a effectivement subi des persécutions, principe confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 et repris dans la loi du 11 mai 1998 qui énonce que « la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Ce droit d'asile constitutionnel s'applique donc à toute personne effectivement persécutée. Il est actuellement bien difficile de savoir si les Talibans ont commencé à persécuter des personnes, même si ce n'est pas improbable.
 
Le droit d’asile conventionnel, trouve son origine dans Convention de Genève. Elle énonce que le terme « réfugié » « s’applique à toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le statut de réfugié est donc accordé, sur le fondement direct de la Convention de Genève, à une personne qui est cette fois menacée de persécutions et non pas directement persécutée. 
 
La « protection subsidiaire » a été mise en place par la loi du 10 décembre 2003. Elle est destinée aux étrangers qui n'entrent dans aucun des cadres juridiques précédemment définis. C’est le cas de ceux qui ont à redouter une violence généralisée liée à un conflit armé ou pour lesquels il existe des motifs sérieux laissant penser qu'ils courraient dans leur pays un risque d'être soumis à la peine de mort, ou à des traitements inhumains ou dégradants. Ils doivent alors établir qu'ils ne peuvent se voir la qualité de réfugié sur l'un des deux autres fondements, constitutionnel ou conventionnel. Ce principe est régulièrement rappelé par le Conseil d'État, notamment dans un arrêt Pogossyan du 10 décembre 2008.

S'il existe trois fondements juridiques au droit d'asile, pourquoi observe-t-on une telle tendance à "tirer" le droit d'asile vers la Convention de Genève ? Tout simplement parce que les asiles constitutionnels et conventionnels offrent à leur titulaire un titre de séjour de longue durée, dix ans, alors que la loi du 10 septembre 2018 n'offre aux aux titulaires d'une protection subsidiaire qu'un titre de séjour de quatre ans. Et puisqu'il est plus facile de prouver des menaces de persécutions plutôt que des persécutions, le fondement conventionnel a un caractère particulièrement attractif.
 
 

 Chappatte. L'Hebdo de Lausanne. 17 octobre 1996
 
 

Le "guichet unique"

 
  
La pluralité des fondements juridiques ne saurait masquer une tendance à l’unification des régimes juridiques. L’étranger ne fait qu’une seule demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette institution détermine elle-même la nature de la protection dont il peut bénéficier et lui accorde, ou non, la qualité de réfugié au regard des persécutions qu’il invoque. La décision, si elle est négative, peut faire l’objet d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), puis, le cas échéant, d’un contrôle de cassation par le Conseil d’État.
 
 
 

Migrants et réfugiés

 


Reste évidemment le sujet qui fâche. Le 16 août, lors de son allocution télévisée portant sur la situation en Afghanistan, le Président de la République a déclaré : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants". Cette phrase a suscité beaucoup d'émoi, précisément chez ceux qui considèrent que tout migrant est un "réfugié". Il n'est pas question, dans le cadre de cette nouvelle rubrique de "Fact Checking", de juger de l'éventuel manque d'empathie du Président, mais plutôt d'éclairer l'articulation entre immigration et droit d'asile.
 
La situation des étrangers entrant sur le territoire peut être étudiée à travers leur parcours juridique. Un étranger qui pénètre sur le territoire sans les autorisations nécessaires est un migrant, qui plus est en situation irrégulière. Une fois qu'il a déposé une demande d'asile, il devient un "demandeur d'asile". Sa demande a pour effet de l'autoriser à demeurer sur le territoire, le temps qu'elle soit instruite. Durant cette période, il ne bénéficie évidemment pas des droits et garanties qui sont ceux d'un titulaire de la qualité de réfugié.
 
A l'issue de cette période, il n'y a que deux solutions. Soit, le demandeur d'asile obtient la qualité de réfugié et, dans ce cas, il est autorisé à demeurer sur le territoire avec un titre de séjour de longue durée. On peut penser que la plupart des Afghans qui font actuellement cette demande obtiendront satisfaction. Soit, le demandeur d'asile est débouté, et, dans ce cas, il perd tout titre de séjour et doit quitter le territoire. En d'autres termes, il se trouve ramené au statut de migrant en situation irrégulière.  Rien n'interdit de penser que certains Afghans puissent se voir refuser le droit d'asile, notamment dans le cas de talibans plus ou moins infiltrés dans le flux des personnes rapatriées par les autorités françaises.
 

Ces dispositions sont largement celles qui ont cours dans toute l'Union européenne, l'espace Schengen ayant conduit à l'adoption de trois directives "Dublin". Elles reposent sur l'idée qu'un État, et un seul, est chargé d'instruire la demande d'asile, soit qu’il ait déjà attribué un titre de séjour provisoire au demandeur, soit que sa famille y soit déjà installée, soit plus simplement que l’intéressé ait pénétré sur son territoire même irrégulièrement. Une demande formulée dans un autre État est donc automatiquement irrecevable. Il est vrai que ce système fonctionne plutôt mal en période de tensions migratoires. L'encombrement des institutions compétentes offre en effet aux demandeurs d'asile déboutés de larges possibilités de maintien sur le territoire. La question ne devrait pas se poser pour les Afghans, d'une part parce qu'ils ont été transférés sur le territoire par les autorités françaises elles-mêmes, d'autre part parce que la situation dans leur pays montre qu'ils ont, pour le plus grand nombre, largement vocation à obtenir la qualité de réfugié.



Sur le droit d'asile : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2, § 1, A.