Dans un arrêt du 10 février 2021, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi déposé contre une décision de la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion. Elle confirmait la suspension du droit de visite et d'hébergement d'un père divorcé et écartait sa demande de communication avec son fils mineur par une visioconférence de type Skype.
Sur le deuxième point, la Cour observe qu'il n'entre pas dans les prérogatives du juge des affaires familiales (JAF) de prévoir une communication avec l'enfant par la voie électronique. Sur le premier point en revanche, l'article 373-2-6 du code civil lui confère une compétence générale pour "prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents", voire refuser l'exercice du droit de visite et d'hébergement "pour des motifs graves" (art. 373-2-1 du code civil).
La radicalisation religieuse du père
En l'espèce, le "motif grave" est la radicalisation religieuse du père, attestée par plusieurs témoignages qui ne sont guère contestés et qui figurent dans le rapport d'enquête sociale demandé par le juge aux affaires familiales (JAF). Le directeur de la salle de prière fréquentée par le père dénonce ainsi son comportement auprès des jeunes "auxquels il n'inculque que les mauvais côtés de l'Islam ». Des proches de la famille affirment, quant à eux, que le père incitait son fils à rejeter sa mère par un dénigrement constant, suscitant un comportement agressif de l'enfant à l'égard de celle-ci.
On comprend que, dans ces conditions, elle ait préféré quitter le Gers où la famille était domiciliée pour s'installer à la Réunion, aussi loin que possible du père de son fils. De ces éléments, la Cour déduit que des motifs graves justifient la suspension des droits de visite et d'hébergement, reprenant ainsi exactement la motivation du JAF et celle de la Cour d'appel.
L'intérêt supérieur de l'enfant
La Cour de cassation rappelle ainsi que l'intérêt supérieur de l'enfant, tel qu'il est affirmé par la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, doit être le critère essentiel de la décision. Peu importe, en l'espèce, que le père ne soit pas fiché S et qu'il se présente comme une victime dans la rédaction de son pourvoi.
Le dénigrement systématique de sa mère est contraire à l'intérêt de l'enfant et constitue, en soi, un motif grave justifiant de suspendre le droit de visite et d'hébergement. Aux termes de l'article 378-1 du code civil, le père aurait même pu se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale. Ce dénigrement de sa mère pourrait en effet s'analyser comme une "violence, à caractère psychologique, exercée par un parent sur la personne de l'autre (...) mettant manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant".
Snow White. Jaek El Diablo. 2012
Les risques d'instrumentalisation
Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation exige des juges du fond un contrôle approfondi de la situation de l'enfant, principe qui permet de lutter contre l'instrumentalisation du risque de radicalisation. De la même manière que certains parents accusent leur ancien conjoint d'abus sexuels sur l'enfant, d'autres en effet l'accusent de radicalisation, dans le seul but d'obtenir la garde exclusive, voire la déchéance de l'autorité parentale.
Dans une décision du 23 décembre 2016, la Cour d'appel de Lyon sanctionne ainsi sévèrement la décision d'un JAF qui avait attribué au père la garde de trois petites filles, en s'appuyant la radicalisation de la mère. La Cour d'appel observe que si le père multiplie effectivement les plaintes contre la mère, toutes ont été classées sans suite. De nombreux témoignages, y compris ceux émanant de la famille du père, montrent que la mère s'est toujours occupée convenablement de ses filles. La Cour d'appel annule donc la décision, ajoutant au passage que le JAF n'avait même pas pris "la précaution d'ordonner une quelconque mesure d'investigation".
Il appartient donc au parent qui veut réduire un droit de visite ou d'hébergement de prouver la radicalisation de son ex-conjoint. Et il ne suffit pas, comme l'affirme la cour d'appel de Versailles le 7 avril 2016, de produire une attestation faisant état d'un témoignage selon lequel le père ne mangerait que de la viande hallal. Il faut par exemple, comme c'est le cas dans la décision de la Cour d'appel de Rouen du 6 avril 2017, que les enfants, entendus lors de l'enquête sociale, aient dénoncé les brimades dont ils faisaient l'objet de la part de leur père, et leur peur de devoir partir en Syrie pour y combattre.
Dans le cas présent, le juge est donc avant tout un juge du fait. Il doit s'appuyer sur une connaissance approfondie de la situation familiale, et notamment auditionner les enfants, s'ils ont l'âge d'être entendus. Ces principes relèvent du bon sens, mais leur application suppose aussi une justice qui fonctionne bien, avec des JAF et des enquêteurs sociaux qui ont du temps à consacrer à ces dossier sensibles. Le projet de loi "confortant les principes républicains" et destiné à lutter contre le séparatisme pourrait peut-être s'intéresser à cette question. Elle n'a rien de spectaculaire mais les réformes modestes sont souvent plus efficaces que les gesticulations médiatiques.