Les éditions Dalloz ont mis sur leur site le rapport "sur le renforcement de l'équilibre des enquêtes préliminaires et du secret professionnel de l'avocat". Elles doivent en être remerciées car le Garde des Sceaux, destinataire de ce travail, n'a pas cru bon de le rendre public. Ce fervent défenseur du secret professionnel des avocats n'est sans doute pas favorable à la transparence administrative. On peut le regretter car la lecture du rapport est fort intéressante, non pas par les propositions qu'il contient, mais par la pratique de l'entre-soi qu'il révèle.
Une commission composée d'avocats
Observons d'emblée que le rapport ne mentionne que le nom du président de la commission, Dominique Mattéi, avocat et ancien bâtonnier du barreau de Marseille. Les autres membres ne figurent pas dans l'exemplaire diffusé sur internet. Il convient donc de compléter la liste :
Maître Luc FEBBRARO, avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
Maître Bruno REBSTOCK, avocat au Barreau d’Aix-en-Provence
Maître Benoît LELIEUR, avocat au Barreau de Paris
Maître Vincent NIORÉ, avocat au Barreau de Paris
Hervé TEMIME, avocat au Barreau de Paris
Jacqueline LAFFONT, avocate au Barreau de Paris
Éric MATHAIS, procureur de la République à Dijon
Christian SAINTE, Directeur de la PJ à la préfecture de police de Paris
Cette liste est éclairante, sans qu'il soit besoin d'en dire davantage. On dénombre sept avocats pour un seul magistrat et un seul policier. On ne compte aussi qu'une seule femme, ce qui témoigne d'une saine conception de la parité. Bien entendu, le fait que Maître Laffont soit l'avocate de Nicolas Sarkozy, comme Maître Temime est celui de Thierry Herzog relève d'une circonstance tout-à-fait fortuite. Quoi qu'il en soit, cette écrasante domination des avocats explique peut-être les difficultés rencontrées par le groupe de travail.
Le rapport commence par quelques mots en forme d'excuse, expliquant que la commission a dû mener à terme son travail dans "un calendrier très contraint, entre le 8 janvier et le 5 février". Or, elle a été installée par le Garde des Sceaux le 6 novembre 2020. Comment expliquer un tel retard au commencement des travaux ? Se serait-elle heurtée à un désintérêt des personnes auditionnées ? Les magistrats auraient-il pensé qu'ils n'avaient pas de temps à perdre dans un exercice de figuration qu'ils percevaient comme une mascarade ?
Le rapport n'en dit pas davantage, mais le lecteur s'aperçoit rapidement qu'en effet, la commission Mattéi n'a pas eu le temps de beaucoup travailler. Le rapport se borne en effet à un rappel de différentes revendications qui sont au coeur du lobbying des avocats, depuis bien longtemps.
Réunion de la commission Mattéi
L'Oreille cassée. Hergé. 1945
L'enquête préliminaire
La commission avait d'abord pour mission d'étudier la question du concours de l'avocat à l'enquête préliminaire. Sur ce point, le rapport accouche d'une souris.
Depuis des mois, on voit une partie de la presse, et bon nombre d'avocats, fulminer contre l'enquête préliminaire. Accusée de tous les maux, surtout lorsqu'elle se déroule à l'initiative du Parquet national financier, on lui reproche de se dérouler dans le secret, sans information de l'intéressé. Il est vrai que ce serait bien plus simple de l'informer qu'une enquête est ouverte à son encontre, le temps qu'il puisse faire disparaître les preuves de ses turpitudes.
La commission demande que soit facilitée la procédure contradictoire dès l'enquête préliminaire et souhaite ardemment que son ouverture ne repose plus sur la décision du procureur. Dans l'état actuel du droit, l'article 77-2 du code de procédure pénale précise que la personne mise en cause peut demander l'accès au dossier dans un délai d'un an après les premiers actes, notamment la première audition. Le procureur n'est tenu de transmettre à l'intéressé le dossier que "lorsque l'enquête lui paraît terminée". Il peut aussi, et c'est alors une faculté, communiquer tout au partie du dossier "à tout moment de la procédure, même en l'absence de demande".
La commission voudrait la consécration d'un droit d'accès à la procédure, après une première demande d'accès au dossier. Le procureur devrait alors accepter ou refuser formellement. En cas de refus, un recours serait possible devant le procureur général. Pourquoi pas ? Si ce n'est que les procureurs communiquent déjà largement avec la défense, en particulier lorsque l'enquête est longue et la procédure complexe. Observons au passage que cette revendication des avocats ne manque pas de sel, si l'on considère qu'ils n'ont pas manqué, tout récemment, d'accuser un procureur de collusion avec un avocat pour l'avoir reçu dans son bureau...
Quoi qu'il en soit, la proposition présente l'avantage, aux yeux des avocats, de leur donner une place importante dans l'enquête préliminaire, et de leur permettre d'exercer de nouveaux recours. Rien n'est dit sur le fait que cette réforme conduirait nécessairement à rallonger l'enquête préliminaire.
Mais le rapport Mattéi est sans doute partisan du célèbre "en même temps". Si l'approfondissement du contradictoire rallonge l'enquête préliminaire en offrant de nouveaux recours aux avocats, celle-ci doit tout de même être raccourcie en imposant de nouvelles contraintes aux magistrats. Sans trop de précision, le rapport énonce que l'enquête devrait être limitée à deux ou trois ans selon les cas, avec possibilité de prolongation d'un an par le procureur. Il s'agit cette fois d'un coup d'épée dans l'eau car les statistiques fournies par la commission elle-même montrent que seulement 3% des enquêtes préliminaires dépassent trois ans. Mais dans la forme, c'est tout de même un plaisir d'imposer aux magistrats une contrainte supplémentaire. Quant au manque des moyens des parquets, comme d'ailleurs des services de police et de gendarmerie, il n'est guère mentionné.
Le secret professionnel
L'essentiel du rapport réside dans la promotion du secret professionnel des avocats. Un bâtonnier auditionné par la commission a même affirmé que la loi du 31 décembre 1971 "reconnaît ce secret comme absolu". Sans doute ne l'avait-il pas lue depuis longtemps, car l'article 66-5 est formulé en ces termes : "Les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel". Le secret professionnel de l'avocat n'a donc rien d'absolu. Il concerne, ce qui est parfaitement normal, la correspondance avec ses clients et ses confrères ainsi que les pièces d'un dossier.
Mais ce n'est pas suffisant, aux yeux d'une commission qui est le produit de l'affaire des fadettes. Souvenons-nous que l'avocat Eric Dupond-Moretti n'avait pas apprécié l'enquête préliminaire menée par le PNF qui, en 2014, avait obtenu les relevés téléphoniques ("fadettes") de certains avocats. Cette réquisition avait pour but d'identifier la personne susceptible d'avoir informé Nicolas Sarkozy et son avocat, Maître Thierry Herzog, qu'ils étaient sur écoute, dans le cadre d'une affaire de trafic d'influence. Maître Dupond-Moretti faisait partie des avocats dont les fadettes ont été communiquées, et lorsqu'il l'a appris, au printemps 2020, il a déposé une plainte pour "atteinte à la vie privée", plainte retirée le jour même de sa nomination comme garde des Sceaux. Mais le retrait de la plainte cachait une autre stratégie et le nouveau ministre a entrepris de se venger en s'efforçant, jusqu'à présent vainement, d'engager des poursuites disciplinaires contre le procureur financier.
Sacraliser la ligne téléphonique de l'avocat
Les avocats, avec le soutien indéfectible de leur ancien confrère et nouveau Garde des Sceaux, ont donc engagé l'offensive pour faire reconnaître un secret absolu. La commission propose tout simplement que l'accès aux "fadettes", c'est à dire à la facturation mentionnant les numéros appelés, relève du régime juridique des écoutes téléphoniques. Mais attention, il s'agit aussi de modifier le régime actuel qui permet d'écouter les avocats, avec comme seule contrainte l'information du bâtonnier.
L'idée est d'offrir une protection quasi absolue à la ligne téléphonique des avocats. Toute interception devrait être autorisée par le juge des libertés et de la détention, et seulement s'il existe des indices permettant de penser que l'avocat a lui-même participé à une infraction. Le problème est que la commission n'a pas été en mesure de proposer une solution satisfaisante à la question des écoutes incidentes. Car s'il est interdit d'écouter un avocat, comment faire lorsque son client, lui même sur écoute, communique avec lui ? Vaste question... La commission s'interroge gravement sur l'hypothèse d'une intelligence artificielle permettant d'interrompre une communication dès que la ligne d'un avocat serait appelée.
Tout cela n'est guère réaliste mais révèle le désir profond de la profession. Les avocats veulent bénéficier d'un droit dérogatoire en matière de secret, plus dérogatoire que celui des médecins ou des notaires qui, eux aussi, manient des informations confidentielles et communiquent avec leurs clients.
Aussi excessif qu'il paraisse, ce rapport devrait aboutir à un projet de loi porté par Eric Dupond-Moretti. Ne convient-il pas de profiter de la présence d'un avocat au ministère de la justice car une telle opportunité pourrait ne pas se reproduire avant longtemps ? On pourrait rire d'une opération aussi transparente, d'un exemple aussi parfait de lobbying et de collusion entre le ministre et ses, anciens, confrères.
Mais le problème est plus grave car le "en même temps" a encore frappé. Emmanuel Macron demande en effet au Conseil supérieur de la magistrature" de faire des propositions pour "responsabiliser" les magistrats. Que l'on ne s'y trompe pas. Il s'agit de pouvoir plus facilement engager des poursuites disciplinaires à leur encontre. La justice est sans doute trop indépendante. Il faut trouver des moyens pour "tenir" les magistrats, les placer sous contrôle. Toutes ces initiatives ont donc un point commun : le mépris de la justice, et, par là-même, de l'Etat de droit.
Bonjour,
RépondreSupprimerA l'heure où le secret professionnel revient au cœur des débats, je me plonge dans votre poste avec un peu de retard.
Il me semble utile, pour d'éventuels futurs lecteurs, de préciser que la liste des membres apparaissant ci-dessus et qui a été très largement relayée est incomplète. La Commission comptait en réalité 8 avocats, 7 magistrats (JLD, instruction, parquet), 1 représentant de la police judiciaire et 1 représentant de la gendarmerie.
Dans ces conditions, je ne sais pas s'il est pertinent de parler d'une "écrasante domination des avocats", lesquels se trouvaient en réalité en minorité face aux magistrats et forces de l'ordre.
Bien à vous