« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 14 octobre 2019

Universités : le Conseil constitutionnel et la "patate chaude"

La hausse des droits d'inscription à l'université demandés aux étudiants étrangers non communautaires a suscité bon nombre de réactions, des associations d'étudiants mais aussi des établissements d'enseignement supérieur eux-mêmes qui ont parfois refusé de l'appliquer. La décision rendue par le Conseil constitutionnel sur QPC le 11 octobre 2019 s'inscrit dans ce combat et sa principale caractéristique réside sans doute dans le fait qu'elle est applaudie par tout le monde, les opposants comme les partisans de la hausse des droits d'inscription. On doit donc se demander comment le Conseil est parvenu à réaliser un tel prodige et force est de constater qu'il y parvient en cultivant un flou artistique que la juridiction administrative devra interpréter.

La disposition contestée est l'article 48 de la loi de finances du 24 mai 1951 qui prévoit que sont fixés par arrêté "les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'Etat". C'est sur ce fondement qu'a été pris l'arrêté du 19 avril 2019 signé conjointement par le ministre des finances et la ministre de l'enseignement supérieur. Il prévoit une hausse de 170 à 2770 € des droits d'inscription pour les étrangers non communautaires s'inscrivant en licence, et de 243 à 3770 € pour ceux qui s'inscrivent en master. Les étudiants français et de l'Union européenne ne sont pas soumis à cette mesure, pas plus que les étudiants en thèse, même non communautaires. Ce texte a au moins l'avantage de démontrer à ceux qui en douteraient encore que l'autonomie des universités est un leurre, puisqu'elles ne fixent pas librement les droits d'inscription. 

Quoi qu'il en soit, l'arrêté a été vainement contesté, par les mêmes requérants, devant la juridiction administrative. Le juge des référés du Conseil d'Etat, dans une ordonnance du 21 mai 2019, a en effet refusé sa suspension. Il s'appuyait sur une jurisprudence ancienne qui considère qu'une différence objective de situation justifie un traitement différent au regard du principe de gratuité. Dans un arrêt du 9 avril 1976, Conseil des parents d'élèves des écoles publiques de la mission universitaire et culturelle française au Maroc, il avait déjà estimé que les élèves des établissements français à l'étranger ne se trouvaient pas dans la même situation que ceux suivant leurs scolarité primaire et secondaire en France.

Après l'échec de cette demande de référé, les requérants ont formé un recours pour excès de pouvoir demandant l'annulation de ce même arrêté du 19 avril 2019. Cette requête en annulation leur a donné l'occasion de poser une QPC sur la constitutionnalité de l'article 48 de la loi de finances de 1951, question que le Conseil a jugé sérieuse dans son arrêt de renvoi du 24 juillet 2019


L'enseignement supérieur, un 3è degré ?



Le problème de la mise en oeuvre du principe de gratuité à l'enseignement supérieur est, en effet, loin d'être résolu. Les requérants invoquent essentiellement la conformité de ces dispositions à l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi rédigé : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat".

La première question posée est celle de la place de l'enseignement supérieur dans l'ensemble du système français d'enseignement. Certes l'alinéa 13 pose un principe de gratuité "à tous les degrés", mais l'université est-elle un troisième degré, suivant logiquement les deux premiers degrés que sont les enseignements primaires et secondaires ? C'est la première fois que le Conseil était appelé à se prononcer sur ce point, et il répond positivement, bien qu'indirectement. En effet, c'est parce qu'il affirme que le principe de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur que l'on peut en déduire que ce dernier relève d'un 3è degré au sens de l'alinéa 13. 

Calvin & Hobbes. Bill Watterson



La gratuité, devoir de l'Etat



Cette reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de gratuité de l'enseignement est saluée comme une victoire par les associations requérantes, et par tous ceux qui se sont opposés à l'augmentation des droits pour les étudiants étrangers.

S'agit-il pour autant d'un droit à la gratuité dont peuvent se prévaloir les étudiants ? Les avocats des requérants et des parties intervenantes ont déployé sur ce point des trésors d'imagination. L'un a demandé que la gratuité soit reconnue comme principe particulièrement nécessaire à notre temps (PPNT), l'autre a exigé la consécration d'un principe d'universalisme universitaire, dont il ne précisait pas exactement le contenu ou le fondement. Un troisième, plus prudent, se bornait à demander l'abrogation de la disposition pour incompétence négative, la fixation des droits d'inscription ne pouvant, à ses yeux, être abandonnée au seul pouvoir réglementaire. Sans doute avait-il oublié que l'incompétence négative ne peut être invoquée pour contester un texte antérieur à 1958 ? Dans une QPC du 17 septembre 2010, le Conseil a en effet déclaré que "si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une QPC dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution de 1958".

Quoi qu'il en soit, le Conseil écarte ces suggestions et consacre le principe de gratuité d'une manière extrêmement discrète. Car il faut bien reconnaître que la situation est complexe. D'un côté, la QPC ne peut exister que si est invoquée la violation d'un droit ou (d)'une liberté que la Constitution garantit, de l'autre côté l'alinéa 13 du Préambule de 1946 présente la gratuité, non comme un droit du citoyen, mais comme un devoir de l'Etat. Le Conseil se borne donc à reprendre la formulation de l'alinéa 13, sans justifier sa propre compétence sur le fondement d'une QPC. 


Droits d'inscription modique et pouvoir réglementaire

 

Dès lors qu'il s'agit d'un devoir de l'Etat, rien ne s'oppose donc, du moins aux yeux du Conseil, à ce que "des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants". La formulation mériterait quelques explications, que le Conseil ne donne pas. Il s'agit en effet de laisser toute latitude à la juridiction administrative dans l'exercice de son contrôle, et aussi, sans doute, d'appliquer la technique bien connue, mais peu juridique, de la "patate chaude".

Le Conseil constate en effet que les dispositions contestées sont seulement attributives de compétence, dès lors qu'elles confient au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant des droits d'inscription "dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction". En tant que telles, elles ne portent donc pas atteinte au principe de gratuité et au principe d'égalité.

Sur ce point, la victoire remportée par les requérants est toute relative. Car le Conseil constitutionnel renvoie en pratique les requérants devant le Conseil d'Etat. Et ce n'est pas une bonne nouvelle, car celui-ci a déjà statué sur l'arrêté du 19 avril 2019, estimant que la différence de situation entre les étudiants français et étrangers pouvait justifier un traitement distinct au regard des droits d'inscription. Certes, une ordonnance de référé ne fait pas jurisprudence, mais les chances d'évolution demeurent limitées. 

A moins que le Conseil d'Etat n'estime que les droits demandés aux étudiants ne sont pas "modiques". L'adjectif fait sourire. Quelle somme est "modique" pour le Conseil d'Etat ? Si l'on compare les droits d'inscription payés par un étudiant étranger non communautaire à ceux payés par ses camarades français, ils sont très sensiblement plus élevés. Si on les compare à ce que paye un étudiant étranger du même pays dans une université américaine, ils deviennent dérisoires.

Le plus amusant dans l'histoire est que les plus inquiètes de cette décision du Conseil constitutionnel sont les grandes écoles et grands établissements qui participent directement au service public et demandent à leurs étudiants des droits d'inscription sans rapport avec ceux que l'université demande aux étudiants étrangers non communautaires. On attend avec beaucoup d'impatience et un peu d'amusement les recours qui conduiront le Conseil d'Etat à apprécier si les droits d'inscription demandés aux étudiants de l'IEP ou de Dauphine sont "modiques", ou pas. De grands moments en perspective.



 

mercredi 9 octobre 2019

Le verrou de Bercy revient devant le Conseil constitutionnel

Dans une décision Association française des entreprises privées, rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 27 septembre 2019, le Conseil constitutionnel affirme la conformité à la constitution de la procédure connue sous le nom de "verrou de Bercy". Les spécialistes des libertés ne s'intéressent guère à cette question, d'abord parce qu'elle est perçue comme un simple point de procédure fiscale, ensuite parce que les droits des fraudeurs fiscaux ne sont pas toujours les plus plaisants à défendre. Pourtant, derrière la question du verrou de Bercy se cache celle, autrement plus importante, de la séparation des pouvoirs.


2018 : faire bouger les lignes, mais pas le verrou



La disposition contestée par l'association requérante est l'article L228 du livre des procédures fiscales (lpf), dans sa rédaction issue de l'article 36 de la loi du 23 octobre 2018. Il convient, à cet égard, de préciser ce que change ce texte récent.

Avant la loi d'octobre 2018, l'article L228 énonçait que "Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de TVA et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales".  Cette disposition se traduisait par une initiative exclusive de l'administration, seule compétente pour déposer une plainte en matière de fraude fiscale. Cette plainte du ministre était précédée d'un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF), commission consultative de nature purement administrative. Le Verrou de Bercy était donc l'expression employée pour désigner l'irrecevabilité d'une procédure qui serait diligentée à l'initiative du parquet. 

La loi d'octobre 2018 fait bouger les lignes, sans faire sauter le verrou. Elle prévoit que ces mêmes faits doivent être impérativement dénoncés au parquet par l'administration fiscale, une fois qu'elle les a examinés lors de son pouvoir de contrôle. En schématisant quelque peu, on peut affirmer qu'il s'agit des faits qui ont conduit à l'application de majorations particulièrement importantes (entre 40 % et 100 %), sur des droits éludés dont le montant est supérieur à 100 000 €. 

Beaucoup de faits continuent donc à échapper à la justice, dès lors que l'administration est parfaitement libre de ne pas les dénoncer au parquet. De même, la lutte contre la fraude demeure entachée d'une incohérence fondamentale, puisque certaines infractions peuvent être directement poursuivies par les parquets, alors que d'autres ne peuvent pas l'être. C'est ainsi que le blanchiment de fraude fiscale est considérée comme une infraction autonome depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation 20 février 2008. Il n'est donc pas soumis à l'article L228 LPF et le parquet peut engager directement des poursuites. Le blanchiment est donc parfois poursuivi, sans que l'infraction d'origine, c'est-à-dire la fraude fiscale elle-même, ne le soit. Si l'on ajoute que le recel de fraude fiscale, est, quant à lui, soumis à l'article L 228 LPF, on aboutit à une sorte de saucissonnage de la fraude qui entrave considérablement les poursuites.

Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel ne s'interroge pas sur ces incohérences, et déclare la procédure nouvelle conforme à la Constitution. 

Le verrou. Julien Clerc. 1990

Élargissement de la QPC 



Dans une première décision QPC du 22 juillet 2016, il avait déjà rendu une décision de conformité à propos de la procédure ancienne. A l'époque, il avait estimé que la QPC ne portait que sur les quatre premiers mots de l'article L228 LPF : "Sous peine d'irrecevabilité". De fait, le Conseil n'envisageait que la procédure pénale, écartant de son contrôle la procédure se déroulant devant l'administration fiscale. L'atteinte à l'égalité devant la loi induite par le fait que certains contribuables échappaient aux poursuites pénales par la seule volonté de l'administration ne pouvait donc être retenue, ni même envisagée. 

La décision QPC du 27 septembre 2019 modifie quelque peu l'analyse. Elle élargit d'abord le champ de la question à l'ensemble du 1er paragraphe de l'article L228 LPF, dispositions qui énoncent la liste des faits qui doivent impérativement être dénoncés au parquet. C'est un signe positif, dès lors que le Conseil renonce à ce saucissonnage des procédures qui le conduisait à s'interdire d'envisager la rupture d'égalité entre les contribuables qui parvenaient à résoudre leur problème devant le fisc et ceux qui, ensuite, devaient rendre des comptes devant le juge pénal. 

Certes, mais cette approche globale ne le conduit pas à sanctionner une rupture d'égalité. Le Conseil rappelle, conformément à une jurisprudence constante qu'il "est loisible au législateur, (...) de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, (...)  à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.". Il constate ensuite que les contribuables qui font l'objet d'une dénonciation automatique au parquet ne sont pas dans la même situation que les autres, en raison même de l'importance des droits éludés. Il estime donc qu'il n'existe aucune discrimination entre eux et fonde sur cet unique motif la décision de conformité.


La séparation des pouvoirs à géométrie variable 



La question de la séparation des pouvoirs n'est pas même évoquée. Sans doute le Conseil reprend-il tacitement le raisonnement développé dans sa décision de 2016. A l'époque, il avait admis que la décision de l'administration fiscale avait pour effet d'empêcher l'autorité judiciaire d'exercer sa mission, et il avait donc accepté d'y voir une atteinte à la séparation des pouvoirs. Mais il avait aussitôt affirmé que cette atteinte à la séparation des pouvoirs n'était pas excessive au regard de l'intérêt public poursuivi. Elle était donc "proportionnée". Or la séparation des pouvoirs ne se mesure pas à l'aune du contrôle de proportionnalité. Elle est respectée ou elle ne l'est pas, et son non-respect doit être sanctionné. Le Conseil constitutionnel persiste ainsi dans sa décision de définir lui-même l'étendue du principe de séparation des pouvoirs, dans une appréciation qui relève davantage de l'opportunité que du droit. Et cette séparation des pouvoirs à géométrie variable lui permet ainsi de faire prévaloir les prérogatives exorbitantes de Bercy sur les principes généraux du droit pénal.



dimanche 6 octobre 2019

Epilogue de l'affaire Mennesson, en attendant d'autres contentieux

Dans une décision du 4 octobre 2019, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation met un terme à la célèbre affaire Mennesson. Contrairement à ce que certains affirment, elle n'introduit pas la GPA dans notre système juridique. Elle se borne, et c'est déjà beaucoup, à établir la filiation de la mère d'intention des deux jumelles nées en Californie d'une mère porteuse en l'an 2000. La lien de filiation paternel avait déjà, quant à lui, été établi par un jugement de la Cour supérieure de l'Etat de Californie, M. Mennesson étant le père biologique des enfants.

Cela n'empêche pas le ministère public de demander à la Cour de cassation d'annuler la transcription de cette filiation paternelle, établie depuis dix neuf ans. Sa demande est écartée, mais elle montre à quel point certains souhaitent que les enfants nés par GPA soient marqués d'une tache indélébile et se voient refuser le droit le plus élémentaire d'avoir un lien de filiation avec ceux qui les élèvent depuis leur naissance.

Le combat sur la filiation paternelle est évidemment d'arrière-garde, mais il n'en est pas de même de la question de la filiation maternelle. Tout l'effort de l'Assemblée plénière tend en effet à limiter, autant que possible, la portée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour faire de son arrêt du 4 octobre 2019 une simple solution d'espèce et n'accorder aux mères d'intention qu'une adoption simple.


La procédure



Rappelons que les époux Mennesson ont d'abord été déboutés par la Cour de cassation le 17 décembre 2008, les juges refusant à l'époque la transcription de l'état civil des jumelles dans les registres français, au motif que le juge américain violait la "conception française de l'ordre public international". Mais la CEDH avait sanctionné cette jurisprudence le 26 juin 2014, estimant que le fait de ne pas pouvoir obtenir en France une filiation légalement établie aux Etats Unis violait le droit au respect de la vie privée des enfants. 
Forts de l'évolution de la jurisprudence européenne, les époux Mennesson ont fait usage de la nouvelle procédure de réexamen issue de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. L'article L 452-1 du code de l'organisation judiciaire permet en effet à un requérant débouté par la Cour de cassation de revenir devant elle si un arrêt de la CEDH a déclaré la décision non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. C'est à l'occasion de cette demande de réexamen que la Cour de cassation a, pour la première fois, utilisé la procédure d'avis consultatif, demandant à la CEDH si le droit français violait ou non l'article 8 de la Convention, et donc le droit à la vie privée des enfants, en refusant de transcrire sur l'état civil la filiation de la mère d'intention. 
 Papa, Maman. Georges Brassens et Patachou. 1952

Une décision conforme à la jurisprudence européenne 

 


Dans sa décision du 4 octobre 2019, l'Assemblée plénière se soumet à la position affirmée par la CEDH dans son avis consultatif du 10 avril 2019. Celle-ci s'appuie sur l'intérêt supérieur de l'enfant, intérêt qui doit guider toutes les décisions le concernant. Cette référence est classique, et l'intérêt supérieur de l'enfant est rappelé régulièrement par la CEDH, notamment dans sa décision du 27 janvier 2015 Paradiso et Campanelli, et, bien entendu, dans la décision Mennesson de 2014. Aux yeux de la CEDH, le refus systématique du droit français de reconnaître la filiation de la mère d'intention n'est pas compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant. Celui-ci risque en effet de voir ses droits amoindris notamment en matière successorale, ses relations avec sa mère fragilisées en particulier en cas de séparation des époux.

La CEDH reconnaît cependant aux Etats une large marge d'autonomie en matière de GPA. Elle admet ainsi qu'il est "concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire". L'Assemblée plénière applique cette réserve au pied de la lettre. Elle reconnaît la filiation, puisqu'elle y est contrainte, mais les modalités de cette reconnaissance demeurent suffisamment souples pour permettre une filiation que l'on pourrait qualifier de "basse intensité".

Les modalités de reconnaissance de la filiation maternelle

 

Dans son avis d'avril 2019, la CEDH n'impose pas que la filiation maternelle soit établie par transcription. Elle affirme que "l'identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin". Rien n'interdit donc d'établir la filiation par adoption. C'est précisément la formule choisie par la Cour de cassation, dans quatre décisions du 5 juillet 2017. Ce choix lui permet de n'autoriser que l'adoption simple, y compris lorsque la mère porteuse a renoncé, devant le juge californien, à tout lien de filiation avec l'enfant.née dans l'état civil américain suffit à interdire l'adoption plénière.

La décision du 4 octobre 2019 ne remet pas en cause cette jurisprudence, car elle présente, très habilement, le cas Mennesson comme un cas d'espèce. La Cour accepte en effet la transcription de la filiation maternelle des jumelles en se fondant sur la possession d'état. Elle s'appuie sur l'avis de la CEDH qui affirme que les parents sont ceux qui apportent aux enfants "l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et (...) qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être". En l'espèce, l'Assemblée plénière estime que c'est la durée même du contentieux Mennesson qui entraine la possession d'état. Au moment de l'arrêt, les jumelles ont dix-neuf ans, et Mme Mennesson a toujours été leur mère, celle qui leur apporté "l’environnement dans lequel (elles) vivent et se développent". Ainsi,  "s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans", la Cour décide que la transcription de la filiation maternelle ne peut plus être contestée et qu'elle peut donc être affirmée par transcription.

L'intervention du législateur

Certes, mais la jurisprudence est désormais fixée, et les contentieux, du moins on l'espère, dureront désormais moins de quinze ans, ce qui signifie que la possession sera plus délicate à établir. Qu'à cela ne tienne, puisque le droit français autorise l'adoption simple ! Considérée sous cet angle, la décision de l'assemblée plénière ne témoigne pas d'une volonté d'accorder à la mère d'intention une adoption plénière, mais d'ancrer dans le droit l'adoption simple. Tant pis si l'enfant né d'une GPA est victime de cette situation, le volonté demeure de sanctionner le recours à la GPA, d'une manière ou d'une autre. La Cour de cassation ne se soumet donc à la jurisprudence européenne qu'à contre-coeur, en reculant pourrait-on dire. Mais peut-être finira-t-elle par être victime de sa propre jurisprudence ? Il suffit en effet d'encourager les couples à faire durer le contentieux, en contestant l'adoption simple devant tous les juges possibles, y compris la CEDH. En misant sur la lenteur de la justice, ils pourront peut-être tenir plus de quinze ans, et invoquer la possession d'état. D'ici là, la Cour de cassation aura sans doute évolué quelque peu. 

A moins, et c'est sans doute ce qu'il faut espérer, que le législateur prenne ses responsabilités en ce domaine. Un amendement à la loi bioéthique actuellement discuté à l'Assemblée a ainsi été adopté, en quelque sorte par surprise, le 4 octobre, jour même de la décision de la Cour de cassation. Il ajoutait à la loi une disposition autorisant la transcription en France de l'état civil des enfants nés à l'étranger d'une GPA. Le gouvernement, quelque peu embarrassé, s'est prononcé contre cet amendement et a annoncé une seconde délibération destinée à le rejeter. Entre temps, on rappellera à la discipline les députés LaRem qui avaient osé le voter. L'amendement sera évidemment écarté, mais son existence comme son vote ont montré que les esprits évoluent. 


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.


jeudi 3 octobre 2019

Adieu à la Miviludes

La presse annonce aujourd'hui que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera rattachée au ministère de l'intérieur au début de 2020. Que l'on ne s'y trompe pas, il s'agit en réalité d'une disparition. Le président de cette institution, Serge Blisko, n'avait pas été remplacé après son départ, en 2018 et l'on voyait bien que les services du Premier ministre, auxquels était rattachée cette institution, avait tout simplement décidé de la laisser mourir. 

Rappelons que le droit français ignore la notion de secte et ne connaît que les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques illégales. La loi About-Picard du 12 juin 2001 ne fait pas référence à la dimension religieuse des groupements, qui peuvent donc professer n'importe quelle croyance. Certains attendent les extra-terrestres, d'autres un nouveau messie, d'autres enfin prétendent guérir toutes les maladies par le remède universel du potage aux légumes. Les "dérives sectaires" n'interviennent que s'ils commettent des infractions, qu'elles soient de droit commun comme l'escroquerie, la fraude fiscale et le blanchiment, l'abus de faiblesse, ou spécifiquement créées par la loi de 2001 comme "le fait de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique" de leurs adeptes.

L'information est inquiétante, car la Miviludes était l'instrument essentiel de la lutte contre les dérives sectaires, issue d'une loi adoptée à l'unanimité à la fois par l'Assemblée nationale et le Sénat. Longtemps présidée par Georges Fenech, la Miviludes apparaissait ainsi comme une institution consensuelle. En dépit d'un bilan positif, en dépit du fait qu'elle était parvenue à s'élever au-dessus des clivages politiques, la voilà éliminée d'un trait de plume par un gouvernement qui, en l'espèce, ne recherche guère le consensus, et ne se donne même pas la peine de justifier clairement sa décision.


Les succès de la Miviludes


La Miviludes a été créée par un décret du 28 novembre 2002. Ses missions consistaient à "observer et analyser le phénomène des mouvements sectaires dont les agissements sont contraires aux droits de l'homme", à favoriser l'action préventive et répressive et, à cette fin, à développer l'échange d'informations entre les services.

Service interministériel, la Miviludes devait donc nourrir la réflexion des pouvoirs publics et dégager des perspectives de coopération. L'un de ses apports essentiels à la lutte contre les dérives sectaires a été la diffusion de rapports, qui étaient autant de mise en garde, attirant l'attention des pouvoirs publics sur des mouvements considérés comme dangereux. 

Ces mouvements ne s'y trompaient d'ailleurs pas et n'hésitaient pas à contester une inscription dans le répertoire des mouvements susceptibles d'engendrer des dérives sectaires, répertoire géré par la Miviludes. Dans un arrêt du 7 novembre 2018, le Conseil d'Etat confirmait ainsi la légalité d'une décision de son président refusant de retirer la "fasciathérapie" de ce répertoire,

On doit ainsi mettre à l'actif la condamnation de la Scientologie pour escroquerie en bande organisée, condamnation confirmée par la Cour de cassation le 16 octobre 2013. Ce groupement vendait en effet, fort cher, à ses adeptes, une mystérieuse machine baptisée "électromètre" censée leur permettre d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs.  

Tout récemment, le 24 septembre 2019, on a appris que la Miviludes avait ainsi informé les autorités sur un essai clinique "sauvage" pratiqué dans une abbaye près de Poitiers, sous l'autorité d'un Fonds Soeur Josefa Menendez dirigé par un médecin notoirement connu pour ses positions hostiles à la vaccination. Cet essai illégal d'une molécule prétendument efficace contre certaines affections neurologiques a suscité plusieurs signalements à la Miviludes. Celle-ci a prévenu l'Agence du médicament, qui a mis fin à cette étrange expérimentation. 

Quelques jours plus tard, on apprend donc que la Miviludes disparait, bien entendu sans que cette décision ait aucun lien avec les résultats de la Mission.


Les sectes. Les Inconnus


Les justifications



Le ministère de l'intérieur se fonde sur "la nécessité (…) de partages de compétences avec d’autres organismes qui n’existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) par exemple ».  Selon le ministère, la Miviludes et le CIPDR partagent « un point commun important qui est la lutte contre les nouvelles formes de radicalité et les phénomènes d’emprise et d’enfermement ». Etrange pratique qui consiste à détruire un service interministériel pour mieux le rapprocher d'un autre service interministériel.

Sur le fond, l'argument ne saurait convaincre. S'il est vrai que la Miviludes apportait un éclairage intéressant sur les processus de radicalisation qui s'apparente en effet à une aliénation sectaire, rien ne lui interdisait de travailler avec le CIPDR, comme elle travaillait avec le fisc, avec les magistrats, avec la police, avec les collectivités locales, avec les établissements d'enseignement etc. Mais ses missions ne se limitaient pas à la radicalisation, loin de là. Elle était aussi présente sur d'autres fronts des dérives sectaires, et notamment sur celui du recensement des mouvements dangereux. 

Derrière ces justifications peu convaincantes se cache sans doute une autre réalité. Force est de reconnaître que les mouvements sectaires s'installent désormais plus facilement en France, avec le soutien plus ou tacite des pouvoirs publics.

Le cas de la Scientologie



Prenons l'exemple de la Scientologie, mouvement très connu et condamné par la justice française. Nul n'a oublié qui Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie et des finances, recevant Tom Cruise dans son ministère en 2005, reconnaissait avoir "parlé de Scientologie". Nul n'a oublié la loi du 12 mai 2009, dans laquelle avait été introduit un amendement interdisant de dissoudre une secte pour escroquerie, au moment précis où le parquet demandait que soit prononcée la dissolution de la branche française de la Scientologie. Heureusement, le Sénat a annulé cet amendement par un autre, ajouté à un projet de loi sur la formation professionnelle, mais trop tard pour permettre la dissolution du mouvement. Nul n'a oublié enfin, que l'Eglise de Scientologie a désormais pignon sur rue, son siège français installé en plein coeur du quartier d'affaires de la Plaine-Saint-Denis. Début 2019, la Miviludes avait rappelé que ce mouvement "se caractérise par son prosélytisme […] à l'occasion d'un test de personnalité gratuit, de la diffusion de tracts ou de brochures, de conférences « d'introduction » gratuites… ». 

Le chant du cygne sans doute, car il est claire que le travail de Miviludes n'est plus dans l'air du temps. C'est le moment de la faire taire, pour laisser les mouvements sectaires déployer tranquillement leur activité et exploiter sans vergogne la crédulité de leurs adeptes.


Sur les dérives sectaires : Chapitre 7, Section 3 du manuel de Libertés publiques sur internet.





lundi 30 septembre 2019

4e Journée des Libertés : La télévision : les libertés en images


Le 17 octobre 2019, aura lieu en Sorbonne (Salle Louis Liard) la 4è Journée des Libertés, co-organisée par le Centre d'histoire du XIXe s de Sorbonne Université et le Centre Thucydide de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2). L'objet de ces journées est d'étudier une liberté à travers le prisme des différentes disciplines des sciences humaines : histoire, droit, relations internationales, sciences de l'information etc. C'est aussi un rendez vous annuel pour ceux qui étudient les libertés, ceux qui les enseignent mais aussi tout ceux qui les aiment, et particulièrement les lecteurs de Liberté Libertés Chéries.

Cette année, le thème choisi est : "La télévision : les libertés en images" et le programme est reproduit ci-dessous.

Pour des raisons liées à l'accueil en Sorbonne, il est nécessaire de s'inscrire à l'adresse suivante : journeedeslibertes@gmail. com










dimanche 29 septembre 2019

GPA : Trois hommes et un couffin

Dans une décision du 12 septembre 2019, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de reconnaissance de paternité d'un père qui avait reconnu, avant la naissance, un enfant issu de ses gamètes et né d'une gestation pour autrui. Ceux qui contestent l'assistance médicale à la procréation au nom de la prééminence absolue du lien biologique vont certainement méditer cette décision.

Une situation complexe



Il est vrai qu'elle n'est pas très facile à lire, car la situation familiale de l'enfant de six ans, enjeu du conflit, est pour le moins complexe. En 2012, un couple d'homosexuels M. X. et M. Z passent un contrat de gestation pour autrui avec Mme C. qui s'engage, contre une rémunération de 15 000 €, à porter leur enfant. M. X. donne ses gamètes pour l'insémination et M. Z. reconnaît l'enfant avant sa naissance. Mais en cours de grossesse, Mme C. change d'avis, et décide finalement de passer une seconde convention avec un autre couple, hétérosexuel cette fois, M. et Mme Y. A la naissance, en mars 2013, Mme C. raconte donc à M. X. et à M. Z. que l'enfant est mort-né. M. Y. reconnaît l'enfant et celui-ci vit désormais dans cette famille. Evidemment, le couple homosexuel apprend la supercherie. M. X. porte plainte pour escroquerie. Il a quelques raisons de se plaindre, car il est le seul homme de l'histoire à ne pas avoir vu reconnaître sa paternité, alors qu'il est précisément le père biologique de l'enfant.

Passons sur le volet pénal, dans lequel tout le monde est condamné, l'une pour escroquerie car elle est avait vendu deux fois son bébé, et tout le monde pour provocation à l'abandon d'enfant, infraction utilisée pour sanctionner le recours à une une convention de GPA. Passons aussi sur les insuffisances de l'administration, car il semble étrange que la seconde reconnaissance de paternité n'ait pas suscité le moindre émoi des services de l'état civil. 


Trois hommes et un couffin. Coline Serreau. 1985

Le volet civil



En matière civile,  M. X. a engagé une procédure de contestation de la reconnaissance de paternité réalisée par M. Y., en s'appuyant sur la vérité biologique. Il demandait donc à ce que sa filiation soit établie, avec toutes les conséquences que cela emporte, notamment sur la résidence de l'enfant. Sur le plan juridique, l'affaire semblait pouvoir être facilement résolue, dès lors que l'article 332 du code civil énonce que "la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père". Le juge du fond, en l'espèce le tribunal de Dieppe, avait accueilli sur ce fondement les demandes de M. X. père biologique de l'enfant.

La Cour d'appel de Rouen a toutefois annulé cette première décision et déclaré irrecevables les demandes de M. X. en 2018, décision aujourd'hui confirmée par la Cour de cassation. Ecartant l'article 332 du code civil, elle s'appuie sur son article 16-7 qui affirme que "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". Le problème est que, dans cette affaire, tout le monde a souscrit une convention de GPA. Mais peu importe, seule la première convention est sanctionnée. Aux yeux du juge, son illicéité entraine, par une sorte d'effet domino, la nullité de toute demande ultérieure.
 
L'analyse est bien connue, même si elle est un peu ancienne. La Cour de cassation l'avait déjà développée dans la première décision  Mennesson du 17 décembre 2008,  puis dans deux arrêts du 13 septembre 2013. Elle appliquait alors l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire. Or les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

En l'espèce, l'analyse ne peut manquer de surprendre. Car la si la convention passée par le couple d'homosexuels est entachée d'une nullité telle que la reconnaissance de M. Z. est également nulle, celle passée par M. et Mme Y. est, en quelque sorte, validée par la Cour de cassation, et la paternité de M. Y,, même sans lien biologique avec un enfant qu'il a acheté pour 15 000 €. Avouons que la sévérité à l'égard de M. X. n'a d'égale que l'indulgence à l'égard de M. Y.

Dans sa décision du 12 septembre 2019, la Cour de cassation ajoute une référence à l'intérêt supérieur de l'enfant, au sens de l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfants de 1989. M. X estimait que cet intérêt supérieur exige que l'enfant connaisse ses origines, mais la Cour de cassation estime qu'il impose plutôt que cet enfant grandisse dans la famille qui l'a accueilli depuis sa naissance, alors même qu'elle a aussi passé une convention illicite. La Cour de cassation précise d'ailleurs que l'enfant est élevé "dans d'excellentes conditions" par M. Y et son épouse.


Une victime directe 



La Cour de cassation fait ainsi prévaloir l'intérêt de l'enfant sur le droit d'accès aux origines. La solution est peut-être la moins mauvaise, si l'on considère qu'il s'agit d'un enfant de six ans qui a toujours vécu auprès du couple Y. Sans doute, mais elle fait tout de même une victime directe. Le père biologique se voit privé de tout droit. Et le juge décide son exclusion de la vie de son enfant en se fondant sur le fait qu'il a signé une convention de GPA, pour reconnaître la paternité d'un homme qui n'a aucun lien biologique avec lui et qui a aussi signé une convention de GPA. O, la décision aurait pu être moins brutale, et l'article 371-4 du code civil permettait au juge de maintenir le lien avec le père biologique, par exemple par un droit de visite. On imagine que le père biologique ne pourra s'empêcher de penser que cette intransigeance trouve son origine dans son homosexualité.

La mince consolation que lui offre la Cour se trouve dans la mention selon laquelle sa décision "ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines". L'enfant sera-t-il  convenablement informé des conditions de sa naissance ? Sera-t-il en mesure d'exercer ce droit ? Et aura-t-il envie de l'exercer, sachant qu'il n'aura jamais eu de contact avec son père biologique ?


Des dégâts collatéraux


Cette décision fait aussi des dégâts collatéraux. Elle semble ramener la jurisprudence sur la GPA quelques années en arrière, lorsque l'application de l'adage Fraus omnia corrumpit résumait toute la pensée des juges. Or la situation juridique des enfants nés par GPA à l'étranger s'est considérablement renforcée. Le parent d'intention voit désormais son lien de filiation reconnu et la transcription des actes de naissance dans l'état civil français est chose acquise. Peu à peu, on s'achemine même vers une transcription mentionnant les deux parents, le parent biologique et le parent d'intention. Celles et ceux qui veulent fonder une famille et qui n'ont pas d'autre solution que la GPA sont donc clairement invités à recourir aux services d'une mère porteuse étrangère.  Quant à ceux qui ont utilisé, illégalement, les services d'une mère porteuse en France, ils sont incités à acheter un enfant et à le cacher suffisamment longtemps pour que son intérêt supérieur soit de demeurer avec eux. A sa manière, cette jurisprudence illustre parfaitement l'hypocrisie de notre système juridique à l'égard de la GPA.


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet.