La hausse des droits d'inscription à l'université demandés aux étudiants étrangers non communautaires a suscité bon nombre de réactions, des associations d'étudiants mais aussi des établissements d'enseignement supérieur eux-mêmes qui ont parfois refusé de l'appliquer. La
décision rendue par le Conseil constitutionnel sur QPC le 11 octobre 2019 s'inscrit dans ce combat et sa principale caractéristique réside sans doute dans le fait qu'elle est applaudie par tout le monde, les opposants comme les partisans de la hausse des droits d'inscription. On doit donc se demander comment le Conseil est parvenu à réaliser un tel prodige et force est de constater qu'il y parvient en cultivant un flou artistique que la juridiction administrative devra interpréter.
La disposition contestée est l'article 48 de la loi de finances du 24 mai 1951 qui prévoit que sont fixés par arrêté "
les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'Etat". C'est sur ce fondement qu'a été pris l'
arrêté du 19 avril 2019 signé conjointement par le ministre des finances et la ministre de l'enseignement supérieur. Il prévoit une hausse de 170 à 2770 € des droits d'inscription pour les étrangers non communautaires s'inscrivant en licence, et de 243 à 3770 € pour ceux qui s'inscrivent en master. Les étudiants français et de l'Union européenne ne sont pas soumis à cette mesure, pas plus que les étudiants en thèse, même non communautaires. Ce texte a au moins l'avantage de démontrer à ceux qui en douteraient encore que l'autonomie des universités est un leurre, puisqu'elles ne fixent pas librement les droits d'inscription.
Après l'échec de cette demande de référé, les requérants ont formé un recours pour excès de pouvoir demandant l'annulation de ce même arrêté du 19 avril 2019. Cette requête en annulation leur a donné l'occasion de poser une QPC sur la constitutionnalité de l'article 48 de la loi de finances de 1951, question que le Conseil a jugé sérieuse dans son
arrêt de renvoi du 24 juillet 2019.
L'enseignement supérieur, un 3è degré ?
Le problème de la mise en oeuvre du principe de gratuité à l'enseignement supérieur est, en effet, loin d'être résolu. Les requérants invoquent essentiellement la conformité de ces dispositions à l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi rédigé : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à
l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture.
L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les
degrés est un devoir de l'Etat".
La première question posée est celle de la place de l'enseignement supérieur dans l'ensemble du système français d'enseignement. Certes l'alinéa 13 pose un principe de gratuité "à tous les degrés", mais l'université est-elle un troisième degré, suivant logiquement les deux premiers degrés que sont les enseignements primaires et secondaires ? C'est la première fois que le Conseil était appelé à se prononcer sur ce point, et il répond positivement, bien qu'indirectement. En effet, c'est parce qu'il affirme que le principe de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur que l'on peut en déduire que ce dernier relève d'un 3è degré au sens de l'alinéa 13.
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Calvin & Hobbes. Bill Watterson |
La gratuité, devoir de l'Etat
Cette reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de gratuité de l'enseignement est saluée comme une victoire par les associations requérantes, et par tous ceux qui se sont opposés à l'augmentation des droits pour les étudiants étrangers.
S'agit-il pour autant d'un droit à la gratuité dont peuvent se prévaloir les étudiants ? Les avocats des requérants et des parties intervenantes ont déployé sur ce point des trésors d'imagination. L'un a demandé que la gratuité soit reconnue comme
principe particulièrement nécessaire à notre temps (PPNT), l'autre a exigé la consécration d'un
principe d'universalisme universitaire, dont il ne précisait pas exactement le contenu ou le fondement. Un troisième, plus prudent, se bornait à demander l'abrogation de la disposition pour incompétence négative, la fixation des droits d'inscription ne pouvant, à ses yeux, être abandonnée au seul pouvoir réglementaire. Sans doute avait-il oublié que l'incompétence négative ne peut être invoquée pour contester un texte antérieur à 1958 ? Dans une
QPC du 17 septembre 2010, le Conseil a en effet déclaré que "
si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une QPC dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution de 1958".
Quoi qu'il en soit, le Conseil écarte ces suggestions et consacre le principe de gratuité d'une manière extrêmement discrète. Car il faut bien reconnaître que la situation est complexe. D'un côté, la QPC ne peut exister que si est invoquée la violation d'un droit ou (d)'une liberté que la Constitution garantit, de l'autre côté l'alinéa 13 du Préambule de 1946 présente la gratuité, non comme un droit du citoyen, mais comme un devoir de l'Etat. Le Conseil se borne donc à reprendre la formulation de l'alinéa 13, sans justifier sa propre compétence sur le fondement d'une QPC.
Droits d'inscription modique et pouvoir réglementaire
Dès lors qu'il s'agit d'un devoir de l'Etat, rien ne s'oppose donc, du moins aux yeux du Conseil, à ce que "des droits d'inscription modiques soient
perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des
étudiants". La formulation mériterait quelques explications, que le Conseil ne donne pas. Il s'agit en effet de laisser toute latitude à la juridiction administrative dans l'exercice de son contrôle, et aussi, sans doute, d'appliquer la technique bien connue, mais peu juridique, de la "patate chaude".
Le Conseil constate en effet que les dispositions contestées sont seulement attributives de compétence, dès lors qu'elles confient au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant des droits d'inscription "dans le respect des
exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à
l'instruction". En tant que telles, elles ne portent donc pas atteinte au principe de gratuité et au principe d'égalité.
Sur ce point, la victoire remportée par les requérants est toute relative. Car le Conseil constitutionnel renvoie en pratique les requérants devant le Conseil d'Etat. Et ce n'est pas une bonne nouvelle, car celui-ci a déjà statué sur l'arrêté du 19 avril 2019, estimant que la différence de situation entre les étudiants français et étrangers pouvait justifier un traitement distinct au regard des droits d'inscription. Certes, une ordonnance de référé ne fait pas jurisprudence, mais les chances d'évolution demeurent limitées.
A moins que le Conseil d'Etat n'estime que les droits demandés aux étudiants ne sont pas "modiques". L'adjectif fait sourire. Quelle somme est "modique" pour le Conseil d'Etat ? Si l'on compare les droits d'inscription payés par un étudiant étranger non communautaire à ceux payés par ses camarades français, ils sont très sensiblement plus élevés. Si on les compare à ce que paye un étudiant étranger du même pays dans une université américaine, ils deviennent dérisoires.
Le plus amusant dans l'histoire est que les plus inquiètes de cette décision du Conseil constitutionnel sont les grandes écoles et grands établissements qui participent directement au service public et demandent à leurs étudiants des droits d'inscription sans rapport avec ceux que l'université demande aux étudiants étrangers non communautaires. On attend avec beaucoup d'impatience et un peu d'amusement les recours qui conduiront le Conseil d'Etat à apprécier si les droits d'inscription demandés aux étudiants de l'IEP ou de Dauphine sont "modiques", ou pas. De grands moments en perspective.
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