Le 2 juillet 2019, le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi sur l'interdiction des violences éducatives ordinaires, texte immédiatement requalifié par la presse en loi "anti-fessée". Cette proposition a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2018 par Maud Petit (MoDem, Val de Marne) et plusieurs de ses collègues. L'idée était dans l'air, car le 22 janvier 2019, Laurence Rossignol (Socialiste, Oise) a déposé une seconde proposition, devant le Sénat cette fois. Les deux textes sont relativement similaires et d'une extrême brièveté. Celle qui vient d'être adoptée comporte deux articles.
Le premier déclare que "les enfants ont droit à une éducation sans violence. Les titulaires de l’autorité parentale ne peuvent user de moyens d’humiliation tels que la violence physique et verbale, les punitions ou châtiments corporels, les souffrances morales".
La Convention sur les droits de l'enfant
Observons tout de même que, contrairement à ce qui a été affirmé parfois, la loi n'a pas pour objet de mettre le droit français "en conformité avec la Convention". Il y était déjà, car l'enfant était déjà protégé par le code pénal. Il interdit toute violence envers les personnes et retient comme circonstance aggravante le fait que la victime soit un mineur de 15 ans ou un descendant en ligne directe. En cas de violences légères infligées à des enfants, les peines peuvent donc atteindre trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende (art. 222-13 du code pénal), ou cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende (art. 222-14 du code pénal). Ces dispositions ne sont en rien modifiées par la présente proposition de loi qui ne comporte qu'un volet civil.
Le "droit de correction"
Ces dispositions nouvelles conduiront-elles la Chambre criminelle de la Cour de cassation à faire évoluer sa jurisprudence ? Dans un arrêt du 29 octobre 2014, elle invoquait l'existence d'un "droit de correction" reconnu aux parents, aux conditions toutefois qu'il ne cause aucun dommage à l'enfant, qu'il reste proportionné au manquement commis et enfin qu'il soit dépourvu de caractère humiliant. Cette jurisprudence n'a pas été formellement écartée par la Cour de cassation et, là encore, la proposition de loi n'impose pas directement sa remise en cause. D'une part, rien n'interdit de réduire le "droit de correction" à des mesures particulièrement coercitives consistant à priver de dessert l'enfant récalcitrant ou à l'expédier le gamin agité dans sa chambre. D'autre part, la proposition de loi ne comporte, rappelons-le, aucune disposition pénale.
Reste évidemment à se demander comment sera appliquée la loi. Son article 2, ou plutôt son article second car c'est aussi le dernier, prévoit que le gouvernement remettra au parlement un rapport, un an après la promulgation de la loi, évaluant les besoins et moyens d'une "politique de sensibilisation, de soutien, d'accompagnement et de formation à la parentalité". Vaste programme qui montre bien que la loi n'est guère en mesure, à elle seule, d'empêcher la violence familiale. D'abord, parce qu'elle ne modifie que la définition de l'autorité parentale, ce qui signifie qu'elle ne pourra être invoquée qu'a posteriori, lorsque, pour une raison pour une autre, il s'agira de retirer l'autorité parentale à l'un des conjoints ou aux deux. Ensuite parce que le droit ne pénètre que difficilement dans la sphère de la vie privée.
L'attention des enseignants et leur formation pour qu'ils soient en mesure de déceler d'éventuelles violences physiques ou psychologiques, l'accroissement du nombre de travailleurs sociaux susceptibles de suivre et d'assister les familles en difficulté, toutes ces politiques publiques sont certainement plus importantes qu'une formule un peu creuse que les parents n'entendront qu'une seule fois, lorsqu'ils se marient, si ils se marient. Mais précisément, la loi présente l'avantage d'offrir à l'opinion une belle formule déclaratoire, qui a l'avantage de faire plaisir à tout le monde, pour un coût extrêmement modeste.