On observe donc que, contrairement à ce qui a parfois été dit, la décision Bernard P. est sans influence sur la peine correctionnelle infligée à Nicolas Sarkozy. Celle-ci a certes fait l'objet d'une exécution provisoire, mais pas sur le fondement de l'article 471 alinéa 4 du code de procédure pénale. Dans son cas, c'est l'article 465 du même code qui est applicable : "S'il s'agit d'un délit de droit commun (...) et si la peine prononcée est au moins d'une année d'emprisonnement sans sursis, le tribunal peut, par décision spéciale et motivée, lorsque les éléments de l'espèce justifient une mesure particulière de sûreté, décerner mandat de dépôt ou d'arrêt contre le prévenu".
Dans l'affaire Bernard P., l'effet immédiat concerne des peines alternatives ou complémentaires non privatives de liberté. Les articles du code pénal mentionnés dans l'article 471-4 du code de procédure pénale visent donc les travaux d'intérêt général, la détention à domicile sous bracelet électronique, les jours-amendes, les stages etc. On y trouve aussi certaines modalités d'exécution de la peine, comme la semi-liberté ou le sursis-probatoire. Enfin, figurent également dans la liste les peines complémentaires et l'inéligibilité.
L'exigence du contrôle de proportionnalité
Marine Le Pen serait-elle concernée ? Plus vraiment, car on se souvient que la décision Rachadi S. rendue sur QPC le 28 mars 2025 reconnaissait déjà la conformité à la constitution des articles L 230 et L 236 du code électoral, ceux là même qui définissent la procédure de démission d'office d'un conseil municipal condamné à une peine d'inéligibilité complémentaire d'une sanction pénale.
En l'espèce, le Conseil a jugé ces dispositions conformes à la constitution, en émettant toutefois une réserve. Il appartient en effet au juge pénal d'apprécier la proportionnalité de l'atteinte à l'exercice du mandat en cours et à la liberté de l'électeur avant de décider l'exécution provisoire. Dans le procès des assistants parlementaires, le tribunal de Paris a respecté cette exigence. C'est ainsi qu'il a jugé que les faits étaient particulièrement graves concernant Marine Le Pen qui était au coeur du système de détournement de fonds publics, justifiant l'exécution provisoire. Dans le cas de Louis Alliot en revanche, il a estimé que l'inéligibilité portait une atteinte disproportionnée à la liberté de choix des électeurs, concernant un mandat local. Il a donc écarté l'exécution provisoire.
On pourra être d'accord, ou pas, avec les modalités de ce contrôle de proportionnalité, mais il n'en demeure pas moins que le juge s'est livré à une appréciation de cette proportionnalité. Comme on le sait, le Conseil constitutionnel n'a pas à s'ingérer dans un contrôle réalisé par les juges du fond, et il appartient désormais à la cour d'appel de se prononcer sur ce point.
De ces éléments, on ne peut pourtant pas déduire que la décision du 5 décembre 2025 est une simple application du précédent de mars 2025. Ce n'est pas tout à fait le cas, car le Conseil élargit l'exigence de contrôle de proportionnalité qui n'était clairement posée qu'à propos des décisions d'inéligibilité. Elle est cette fois étendue à l'ensemble des peines alternatives et complémentaires non privatives de liberté.
L'exigence de "motivation spéciale"
Sur le fond, la décision du 5 décembre 2025 est une décision de conformité. Le juge écarte ainsi l'ensemble des moyens invoqués, l'atteinte à la présomption d'innocence, et au caractère dévolutif de l'appel .Ils avaient déjà été écartés dans l'affaire Rachadi S. de mars 2025, et il y avait donc bien peu de chances que le Conseil modifie une jurisprudence récente. Sont également écartés les moyens fondés sur l'atteinte à la liberté d'aller et venir et à la liberté d'entreprendre.
Le Conseil formule toutefois une réserve relative à l'exigence de motivation de la décision d'exécution provisoire de la peine. Dès sa décision QPC du 2 décembre 2011, il avait déjà affirmé que la faculté d'ordonner l'exécution provisoire doit respecter "l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'exécution des décisions de justice". L'exigence de motivation était alors implicite, elle est désormais très clairement formulée. Le Conseil affirme que "il revient au juge d'apprécier, en motivant spécialement sa décision sur ce point, le caractère proportionné de l'atteinte que l'exécution provisoire de la sanction est susceptible de porter à un droit ou une liberté que la Constitution garantit".
Cette motivation n'a rien de vraiment "spécial". Par cette formule, le Conseil entend simplement rappeler qu'elle est distincte de la motivation de la décision de justice générale. La peine principale doit être motivée, la peine complémentaire ou alternative aussi. Rien de surprenant si l'on considère que toute peine pénale doit être individualisée et motivée.
Analyse politique et Fake News juridiques
Le Conseil ajoute que le juge pénal "se détermine au regard des éléments contradictoirement discutés devant lui, y compris à son initiative afin de tenir compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale". De cette phrase, des pseudo juristes généralement désireux de soutenir Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen par tous les moyens à leur disposition, ont déduit que la motivation de la peine complémentaire devait faire l'objet d'un débat contradictoire spécial. Le raisonnement devient alors simple : il n'y pas eu de débat spécifique dans les cas de Marine Le Pen et de Nicolas Sarkozy et leur condamnation est donc inconstitutionnelle.
Cette construction, à l'apparence juridique, a peut-être séduit les spectateurs de CNews, mais elle est dépourvue de tout fondement, tout simplement parce que le Conseil ne dit rien de tel.
La phrase citée se borne à formuler, très classiquement, le contenu du principe de d'individualisation des peines pénales. On sait que le droit pénal français repose sur l'idée que l'on juge une personne et pas seulement son acte. De fait, le procès doit mettre en lumière tous les aspects du dossiers, questions de droit et de fait, situation familiale ou antécédents psychiatriques de l'intéressé, etc. Tous ces éléments sont discutés dans le procès et la défense a évidemment le droit de se faire entendre. A l'issue du procès, le juge prend donc une décision éclairée par l'ensemble des débats.
C'est le droit commun et il a été appliqué par les juges du fond, sans attendre la décision du 5 décembre 2025. Dans le cas de Marine Le Pen comme dans celui de Nicolas Sarkozy, le choix de l'exécution provisoire a été soigneusement motivé à la lumière des échanges qui se sont déroulés durant les procès. Pour Marine Le Pen, la motivation reposait sur le risque de récidive, car, aux yeux des juges, son refus de reconnaître sa culpabilité interdisait d'exclure une récidive. Pour Nicolas Sarkozy, c'est la gravité des faits qui a été mise en avant, ainsi que l'exigence d'exemplarité pesant sur un ancien Président de la République et la nécessité de renforcer l'efficacité de la sanction pénale. Dans les deux cas, ces motifs seront de nouveau examinés en appel, comme d'ailleurs l'ensemble de l'affaire.
La décision QPC du 5 décembre 2025 illustre, une nouvelle fois, la nécessité de lire les décisions de justice, avant de lire ou d'écouter leur commentaire par des médias plus ou moins militants. Au-delà de ces manoeuvres stériles, le plus important réside dans la construction d'un droit de l'exécution provisoire doté de garanties constitutionnalisées. Il est exact que l'exécution provisoire n'est pas une procédure satisfaisante, remise en cause notamment par Robert Badinter qui estimait qu'elle vidait de son contenu le droit d'appel. Mais personne ne l'a sérieusement remise en cause. Ceux qui la critiquent aujourd'hui l'ont votée à plusieurs reprises, élargissant autant que possible son champ d'application à toute une série de peines. Alors s'il n'est pas possible de la supprimer, autant l'accompagner de garanties claires et solides.
L'individualisation de la peine : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4, section 3 § 1 A

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