« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 22 décembre 2025

Harcèlement managérial et nullité du licenciement


Madame T. a été engagée en qualité de vendeuse en juillet 2012 par une entreprise commerciale qui vend des vêtements de cérémonie et des robes de mariée. En 2018, elle a été licenciée pour "des manquements à ses obligations professionnelles, notamment des retards et des absences répétées et non justifiées perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise, ainsi qu'un manque d'implication (...) dans la réalisation de ses tâches". 

Elle estime au contraire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et constitue le point d'aboutissement d'un harcèlement moral durant depuis plusieurs années. Après une saisine des Prud'hommes, Madame T. obtient de la cour d'appel de Paris, le 20 mars 2024, la reconnaissance du harcèlement moral et la nullité du licenciement, ce que confirme la chambre sociale de la cour de cassation, dans un arrêt du 10 décembre 2025.


Harcèlement et preuve du harcèlement


Une première lecture de la décision laisse penser qu'elle constitue une application classique des articles L 1152-1 à L 1152-3 du code du travail. Définissant le cadre normatif du harcèlement moral, ces dispositions prohibent non seulement le harcèlement moral en tant que tel, mais aussi toute sanction prise à l'encontre d'un salarié qui aurait dénoncé une telle pratique. 

Une jurisprudence constante estime donc entaché de nullité tout licenciement qui méconnaîtrait ces règles. C'est ainsi que la chambre sociale, dans une décision du 29 juin 2011, qualifie de harcèlement des courriels contenant des propos à caractère sexuel envoyés par un salarié, justifiant un licenciement. Un arrêt du 3 février 2010 juge nul le licenciement d'un salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement, nonobstant le fait que l'employeur invoque d'autres griefs.

Précisément, dans la décision du 10 décembre 2025, l'employeur invoque une multitude d'autres griefs,  Sa stratégie consiste, à l'évidence, à neutraliser l'accusation de harcèlement par la recherche de motifs dits "autonomes". Plusieurs arrêts rendus le même jour, le 24 septembre 2008, précisent toutefois que, dans une telle situation, l'employeur peut certes invoquer d'autres motifs, mais il doit démontrer à la fois qu'ils existent et qu'ils sont étrangers à tout harcèlement. Autrement, la preuve de l'absence de harcèlement lui incombe. En l'espèce, la chambre sociale observe que l'employeur n'apporte aucune preuve à l'appui des motifs invoqués. Au contraire, la situation de madame T. comme les témoignages des employés révèlent un "exercice anormal et abusif du pouvoir d'autorité, de direction, de contrôle et de sanction".



Voutch. 2023


Le harcèlement managérial


Cette formulation laisse entendre que le harcèlement constituait une politique de management et de gestion des ressources humaines. Madame T. n'en était pas la seule victime, et plusieurs témoignages sont venus accabler la direction. En l'espèce, les motifs autonomes de l'employeurs sont d'autant moins reçus que l'on se situe dans un contexte harcelant qui dépasse largement le cas de la requérante.

Sur ce point, la décision du 10 décembre 2025 se situe dans la ligne de la jurisprudence pénale. Le 21 janvier 2025, la chambre criminelle a, en effet, rendu une importante décision qui met fin à l'affaire France Télécom. L'ex PDG de l'entreprise et son adjoint ont été condamnés pour harcèlement moral, après la mise en oeuvre d'un plan social d'une extrême brutalité. Concrètement, il s'agissait de harceler les employés en dégradant leurs conditions de travail, afin de les pousser à démission. Hélas, certains ont été poussés au suicide. Il s'agissait alors alors d'un harcèlement institutionnel organisé très officiellement par l'entreprise. 

Tel n'est pas tout à fait le cas dans celle où travaille madame T. Nous sommes plutôt confrontés à un harcèlement managérial, initié par des supérieurs hiérarchiques, petits chefs que la direction ne contrôle pas, ou refuse de contrôler.

Sans attendre l'arrêt de la chambre criminelle sur le harcèlement institutionnel de France Télécom, la chambre sociale s'était déjà engagée dans la voie de la sanction du harcèlement managérial. Dans un arrêt du 10 novembre 2009, elle avait ainsi admis que le harcèlement pouvait être le résultat de "méthodes de gestion". Par la suite, la notion de "harcèlement moral managérial" figure expressément dans une décision du 15 juin 2017.

De toute évidence, la cour de cassation renforce ses instruments de contrôle du harcèlement dans les relations de travail. Elle vise particulièrement le harcèlement non pas interpersonnel mais organisationnel. On doit évidemment s'en réjouir, à une époque où les managements toxiques se multiplient, sous-tendus par la peur qui pèse sur les salariés de perdre leur emploi. On peut toutefois se demander si ceux qui pratiquent le management par le harcèlement, comme si une telle pratique pouvait être efficace, ne devraient faire eux-mêmes l'objet d'un licenciement, avec cette fois une cause bien réelle et bien sérieuse.


Les droits dans le travail Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre  13 section 2 § 2

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