« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 17 janvier 2013

Liberté de manifestation : qui paie les dégâts ?

Le collectif  "La manif pour tous" fait savoir aujourd'hui qu'il refuse de payer la remise en état de la pelouse du Champs de Mars durement éprouvée par le passage de milliers (selon la police) ou de millions (selon les organisateurs) de pieds. La mairie de Paris évalue les dégâts à 100 000 € et entend bien trouver un patrimoine responsable. Les organisateurs, de leur côté, considèrent que les cortèges étaient dûment autorisés par la préfecture de police et qu'il appartient donc à l'Etat ou à la mairie de Paris d'assumer cette charge financière. 

A dire vrai, le communiqué de ce collectif, dont on ne connaît guère que la porte-parole, Frigide Barjot, présente surtout l'intérêt d'affirmer clairement sa responsabilité dans l'organisation de la manifestation. Sur ce point, la mairie de Paris a donc déjà obtenu un résultat non négligeable, car il est parfois difficile d'identifier les responsables juridiques d'un rassemblement. Certains sont des groupements de circonstance dépourvus de personnalité morale, et qui disparaissent après la manifestation. D'autres sont constitués de différents groupements, parfois fort nombreux, qui refusent d'assumer une responsabilité collective. Par son communiqué, Frigide Barjot et le Collectif assument la responsabilité juridique de l'attroupement sur le Champs de Mars. Il reste à définir s'ils sont aussi financièrement responsables des dommages causés à ce maudit gazon. 

La responsabilité du fait des attroupements ? 

Peut on envisager la mise en oeuvre du régime législatif de responsabilité du fait des attroupements ? Certains auteurs le font remonter à un Edit de Clotaire II qui, en 595, pose le principe d'une responsabilité collective des habitants en cas de vols et rapines commis par des inconnus sur le territoire de la paroisse. Cette responsabilité collective reparaît pendant la Révolution, pour réprimer l'agitation royaliste : "Si la majorité des habitants de la commune prend part à l'émeute, il est juste qu'ils payent ; si c'est la minorité, il encore juste que tous payent parce que la majorité est punie de n'avoir pas arrêté l'émeute" (archives parlementaires, séance du 23 février 1790). 

Peu à peu cependant, on s'aperçoit que les habitants ne sont pas toujours solvables et qu'ils ne peuvent assumer une charge financière trop lourde, même collectivement. La loi municipale du 8 avril 1884 puis celle du 16 avril 1914 vont donc transférer la responsabilité collective des habitants sur celle de la commune, et enfin sur l'Etat avec une loi du 7 janvier 1983. La compétence contentieuse est alors  transférée du juge judiciaire au juge administratif par la loi du 29 janvier 1986. 



Charles Trenet. Le jardin extraordinaire

L'Etat est-il donc civilement responsable des dommages causés à la pelouse du Champs de Mars ? Pas sur le fondement de la loi du 7 janvier 1983, dont les dispositions, aujourd'hui codifiées dans l'article L 2216-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT), mentionnent que "l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens". S'il y a bien un rassemblement, s'il y a bien un dommage causé à un bien, en l'occurrence le domaine public, les deux autres conditions d'engagement de cette responsabilité sont absentes. Il n'y a évidemment pas "crime ou délit", car le fait de piétiner une pelouse peut, au grand maximum, s'analyser comme une contravention de grande voirie, puisqu'il y atteinte au domaine public. Une contravention, ce n'est donc ni un crime, ni un délit. De même, les manifestants n'ont pas fait preuve de "violence ou de force ouverte", seulement d'un joyeux mépris pour l'environnement.

De toute évidence, la loi de 1983 n'est pas applicable en l'espèce, ce qui impose un retour au droit commun de la responsabilité. Le patrimoine responsable est donc bel et bien celui des organisateurs de la manifestation.

Un partage de responsabilité ?

Cela ne signifie pas, évidemment, qu'ils seront condamnés à réparer l'intégralité du préjudice causé à la ville de Paris. Chacun sait que la liberté de manifester s'exercer dans le cadre d'un régime de déclaration préalable, depuis un décret-loi du 23 octobre 1935. A Paris, les organisateurs doivent déclarer au préfet de police leur intention de manifester, et cette déclaration donne lieu à une négociation sur le jour, l'itinéraire, les précautions à prendre en matière de service d'ordre etc etc. Nul doute que pour une manifestation présentée par ses organisateurs comme devant déplacer beaucoup de monde, ces discussions ont dû être substantielles.

On s'étonne évidemment que ces organisateurs qui se présentaient comme des maîtres de la logistique et du transport en bus, aient oublié qu'ils installaient les manifestants sur le domaine public de la ville de Paris. On s'étonne encore davantage que les autorités de police n'aient pas eu l'idée d'interdire tout simplement l'accès au Champs de Mars et demandé la dispersion dans un endroit moins exposé, par exemple l'Esplanade des droits de l'homme ou la Place du Trocadéro, puisque nos manifestants préféraient défiler à Paris-Ouest plutôt qu'arpenter Bastille-République. Souvenons nous qu'il n'y a pas si longtemps, le 16 décembre 2012, la manifestation des partisans du mariage pour tous, partie de la Bastille, s'est tranquillement dispersée devant les grilles du jardin du Luxembourg, sans y pénétrer. 

Dans ces conditions, un éventuel contentieux conduirait sans doute à la condamnation des organisateurs de la manifestation, qui pourraient ensuite se retourner contre l'Etat pour obtenir un remboursement partiel de leur dette. A moins que tout cela se règle à l'amiable, en espérant que les manifestants sauront désormais regarder où ils posent les pieds. 

lundi 14 janvier 2013

Mariage pour tous et référendum

Les manifestants hostiles au mariage pour tous réclament, à cor et surtout à cris, l'organisation d'un référendum pour soumettre la loi au corps électoral. On peut évidemment comprendre cette revendication de la part d'une partie de la population qui supporte mal d'avoir perdu successivement les élections présidentielles et les élections législatives, et qui s'aperçoit que la démocratie représentative ne permet pas à la minorité d'imposer ses choix à la majorité. Reste donc la démocratie directe, et la démarche en faveur d'un référendum populaire.

Hélas, le référendum dans ce domaine est constitutionnellement impossible. Et comme il est bien connu que l'on n'est jamais trahi que par les siens, cette impossibilité est le résultat d'une politique de l'ancienne majorité, qui a refusé d'étendre aux libertés le champ du référendum de l'article 11, et qui a volontairement empêché la mise en place du référendum d'initiative populaire. 

Le champ du référendum

Revenons au texte de l'article 11 : "Le Président de la République (...) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à la ratification d'un traité (...)".

Il n'est évidemment pas question de considérer le mariage comme un élément de l'organisation des pouvoirs publics, formule qui renvoie aux pouvoirs constitués. Il n'est pas davantage possible de la considérer comme un service public car il ne vise pas à fournir des prestations, dans un but d'intérêt général. 

Le mariage ne relève pas davantage de la "politique économique et sociale" de la nation. Le droit positif définit le mariage comme une liberté publique, c'est à dire une liberté garantie et protégée par la droit. L’article 12 de la Convention européenne énonce que « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel constitutionnalise quant à lui « le principe de la liberté du mariage qui est une des composantes de la liberté individuelle ». Par la suite, dans sa décision du 20 novembre 2003, il précise que la liberté du mariage se rattache également à la "liberté personnelle", découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

On conviendra qu'il est bien difficile de contester la définition du mariage donnée par le Conseil constitutionnel, surtout depuis que cette noble institution a sanctionné la disposition de la loi de finances qui prévoyait le prélèvement à 75 % pour les revenus les plus élevés ?


Voutch


Observons d'emblée que si le Constituant dresse une liste limitative des domaines susceptibles de donner lieu à référendum, c'est précisément parce qu'il n'entend pas l'ouvrir à toutes les revendications. Cette liste a d'ailleurs suscité bon nombre de réflexions et de révisions depuis 1958. Il a, en effet, été question d'élargir le référendum au domaine des libertés, et c'était l'objet d'un projet de loi constitutionnelle initié par François Mitterrand en juillet 1984. Adopté par l'Assemblée nationale, le projet a finalement été rejeté par le Sénat. A l'époque, il s'agissait, on le sait, d'un Sénat de droite. Plus tard, le projet de révision engagé en 1992, issu des travaux de la Commission Vedel, propose, à peu près dans les mêmes termes, d'élargir le champ du référendum aux "garanties fondamentales des libertés publiques". Hélas, le projet sera finalement enterré, à la suite de la victoire de la droite aux législatives de 1993.

Depuis cette date, il n'a jamais plus été question d'élargir le champ du référendum aux libertés publiques. La révision du 4 août 1995 a certes introduit la possibilité d'y recourir pour "les réformes relatives à la politique et sociale", mais le rapport Larché affirme alors clairement la volonté de ne pas revenir à la formulation de 1984, et donc d'exclure le référendum en matière de libertés. En 2008, lorsque l'administration Sarkozy propose à son tour une révision, c'est seulement pour ajouter la politique "environnementale" dans le champ du référendum. En d'autres termes, la droite a eu deux fois la possibilité d'élargir le champ du référendum aux libertés, et deux fois elle s'y est refusée.

Le référendum d'initiative partagée

Reste évidemment la révision Sarkozy de 2008 : le référendum d'initiative partagée. Désormais, la Constitution permet un référendum "organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales".  Contrairement à ce qui a été affirmé, il ne s'agit pas d'un référendum d'initiative populaire, mais plutôt d'une initiative parlementaire, l'aval du peuple n'étant qu'une condition supplémentaire de sa mise en oeuvre. Si on considère la réforme du mariage, on peut imagine que l'UMP retrouve un peu d'unité pour qu'un cinquième des membres du parlement propose ce référendum. Quand au dixième du corps électoral, ce chiffre représente environ 4 500 000 électeurs, un chiffre dérisoire si l'on considère le nombre des manifestants hostiles au mariage pour tous, nombre des manifestants évalués par les organisateurs évidemment.

Hélas toujours, le gouvernement de François Fillon a mystérieusement tardé à déposer le projet de loi organique indispensable à la mise en oeuvre du référendum d'initiative partagée. C'est sans doute un simple oubli, et non pas une manoeuvre pour empêcher une réforme qui permettait à l'opposition, à l'époque de gauche, de susciter un référendum. Quoi qu'il en soit, après la révision de 2008, le projet de loi a été déposé en décembre 2010, pour parvenir en discussion en décembre 2011, et être voté en première lecture le 10 janvier 2012, soit trois années après la révision. A ce jour, il n'est toujours pas passé en première lecture au Sénat, et le gouvernement actuel n'est évidemment pas pressé de faire entrer en vigueur une révision qu'il n'a pas votée.

Nos manifestants ne sont guère fondés à demander un référendum. Ceux là même qui défilaient ont refusé à la fois l'extension du référendum aux libertés et la mise en oeuvre de l'initiative partagée. La vie est cruelle. Heureusement, il reste la liberté de manifester, élément essentiel de la liberté d'expression d'une opposition, qui doit s'accepter comme telle.

Gageons au surplus que, si la loi est votée, elle sera soumise par les parlementaires UMP, ceux-là mêmes qui réclament un référendum, au Conseil constitutionnel. On fera flèche de tout bois, sans souci de la contradiction, puisque à l'appel au peuple on substituera le recours à un collège de grands prêtres dont les liens avec le peuple sont des plus ténus. Le Conseil pourrait-il servir de champ d'écho au conseil des évêques dans une communion des augures ? Rien n'est impossible, mais on sera alors bien loin de la démocratie, aussi bien directe que représentative.

Pour finir, une anecdote historique qui illustre les variations de l’Eglise sur la nécessité pour un enfant d’avoir un père et une mère. Le Roi très Chrétien, Louis XIV, a engendré un nombre respectable d’enfants adultérins. Certains d’entre eux ont été légitimés, « sans nommer la mère » et avec droit de succession à la Couronne, ce contre quoi Saint Simon s’étouffait d’indignation. Cette particularité juridique, des enfants sans mère, a été bénie par l’Eglise du temps, comme acceptée par les juristes de l’époque. Ces enfants ont mené ensuite une vie princière des plus normales. Le Roi des Français, Louis-Philippe Ier, était l’un de leurs descendants, et toute la branche d’Orléans avec lui. L’Eglise de France était alors plus complaisante avec le législateur…

dimanche 13 janvier 2013

Non bis in idem, un principe constitutionnel autonome ?

Le Conseil constitutionnel est actuellement saisi d'une QPC 2012-289 portant sur le principe "Non bis in idem". Déjà connu du droit romain, il signifie tout simplement que nul ne peut être poursuivi ni condamné deux fois pour les mêmes faits. Cette règle figure dans l'article 368 du code de procédure pénale, le Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (art. 4), l'article 15 § 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques et enfin l'article 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux. On le constate, tous ces textes font du principe "Non bis in idem" une obligation conventionnelle ou législative, limitée au cadre strict du droit pénal. 

Deux procédures disciplinaires

La QPC posée au Conseil constitutionnel porte cette fois sur la procédure disciplinaire. Dans sa décision du 7 novembre 2012, le Conseil d'Etat pose en effet la question de la constitutionnalité de l'article L 145-2 du code de la sécurité sociale. Celui ci prévoit un système assez complexe de cumul de poursuites disciplinaires contre les médecins. Ces derniers sont soumis à deux types de règles. D'une part, adhérents à un Ordre professionnel, il doivent respecter des normes déontologiques dont la violation peut conduire à une sanction prononcée par la Chambre disciplinaire de l'Ordre. D'autre part, prescripteurs de dépenses publiques, ils sont soumis à d'autres règles, dans l'intérêt cette fois de la sécurité sociale. Les sanctions sont alors prononcées par les Sections des assurances sociales, considérées comme des juridictions de contrôle technique prononçant également des sanctions disciplinaires. 

Le requérant, M. Laurent A., est accusé d'avoir accompli des actes chirurgicaux en dehors de sa spécialité. Il a donc été condamné à une interdiction d'exercer pendant deux ans prononcée par la Chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins, puis à une interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant trois ans, par la Section des assurances sociales. Conformément aux dispositions de l'article L 145-2 css., c'est finalement la sanction la plus forte qui a été mise à exécution, soit une peine de trois années d'interdiction de soins aux assurés sociaux. Une procédure est donc mise en oeuvre pour éviter le cumul des peines, mais pas celui des poursuites.


Knock. Guy Lefranc. 1951. Louis Jouvet et Pierre Renoir

Les règles de cumul

Le droit positif n'exclut pas les doubles poursuites, lorsqu'il s'agit de cumuler des poursuites disciplinaires, administratives ou fiscales avec une action strictement pénale. Depuis le célèbre arrêt du Tribunal des conflits Thépaz du 14 janvier 1935, on sait que le comportement d'un fonctionnaire peut constituer à la fois une faute pénale et une faute de service, et susciter à la fois des poursuites pénales et disciplinaires. Dans une décision du 8 juillet 2012, la Cour de cassation refuse ainsi la transmission au Conseil d'une QPC portant sur les dispositions qui autorisent l'Autorité des marchés financiers (AMF) à engager des poursuites administratives susceptibles de se cumuler avec des poursuites pénales. La Cour considère en effet que le principe "Non bis in idem" ne s'applique pas, dès lors qu'il s'agit de deux procédures de nature différente. 

Certes, mais en l'espèce, notre médecin fait l'objet de deux actions de nature disciplinaire. C'est précisément ce qui a justifié, cette fois, la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel. 

Il faut en convenir, l'état du droit positif n'est guère favorable au requérant. Le Conseil d'Etat estime certes qu'un fonctionnaire ou un agent contractuel ne peut être sanctionné qu'une seule fois sur le plan disciplinaire. Dans un arrêt du 4 mars 1988, il a ainsi déclaré illégale la décision d'un maire révoquant un ouvrier d'entretien de la commune qui s'était battu avec un habitant, car une première sanction de mise à pied de cinq jours avait déjà été prise à son encontre. Dans l'affaire Laurent A. cependant, les deux procédures sont bien distinctes et les sanctions ne sont pas prononcées par les mêmes autorités.

Vers l'autonomie du principe "Non bis in idem" ? 

Il n'en demeure pas moins que si le Conseil décidait de faire de "Non bis in idem", un principe clairement constitutionnel, il pourrait être considéré comme s'appliquant à l'ensemble des procédures, qu'elles soient disciplinaires ou pénales. Une telle évolution irait évidemment dans le sens d'une jurisprudence qui tend à définir un certain nombre de garanties fondamentales de droit processuel, applicables à toutes les procédures pouvant s'analyser comme des sanctions.

Pour le moment, le Conseil constitutionnel n'a été appelé à se prononcer qu'en matière pénale, et il précise, dans sa décision du 25 février 2010, que le législateur peut prévoir que certains faits peuvent donner lieu à différentes qualifications. A cette occasion, il se réfère à "la règle Non bis in idem", sans préciser sa valeur juridique, et même sans réellement la dissocier du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l'article 8 de la Déclaration de 1789.

La QPC actuellement soumise au Conseil constitutionnel lui offre l'occasion de consacrer l'autonomie de la règle "Non bis in idem" et d'affirmer sa valeur constitutionnelle. Il peut le faire, sans pour autant nécessairement donner satisfaction au requérant, ce qui est sans doute la voie la plus simple pour réaliser une évolution jurisprudentielle.

Mais il pourrait aussi estimer que la double procédure dont le requérant a fait l'objet porte atteinte au principe "Non bis in idem", non pas en matière de peines, mais en matière de poursuites. En pratique, on ne voit d'ailleurs pas ce qui interdirait la mise en oeuvre par l'Ordre des médecins d'une procédure disciplinaire unique, à laquelle pourrait se joindre les organismes sociaux. Quant aux sanctions, l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux prononcée en matière de sécurité sociale ressemble étrangement à l'interdiction d'exercer prononcée par l'Ordre. Tous les patients, ou presque, ne sont-ils pas des assurés sociaux ?

jeudi 10 janvier 2013

Conditions de détention : La menace de la Cour européenne

La Cour européenne a rendu, le 8 janvier 2013, un arrêt Torregiani et a. c. Italie que les autorités françaises vont certainement méditer. Il porte sur les conditions de détention dans les prisons italiennes, et plus précisément sur le surpeuplement carcéral. Les requérants, qui purgent des peines de réclusion dans les prisons de Busto Arsizio et de Piacenza, se plaignent d'occuper à trois des cellules de neuf mètres carrés, dépourvues d'eau chaude et d'éclairage suffisant. La Cour leur donne satisfaction et estime qu'une telle situation constitue une violation de l'article 3 de la Convention européenne. La surpopulation carcérale, surtout lorsqu'elle s'accompagne de conditions d'hygiène particulièrement dégradées, peut donc être qualifiée de traitement inhumain et dégradant.

La décision du Conseil d'Etat du 22 décembre 2012

Pourquoi les autorités françaises doivent-elles s'intéresser à cette décision ? Tout d'abord parce que nul n'ignore que les conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires français ne semblent guère différentes de celles dénoncées dans l'arrêt Torregiani.

Tout récemment, le Conseil d'Etat, statuant en référé le 22 décembre 2012, a ordonné la dératisation de la prison des Baumettes, estimant que la situation sanitaire de cette prison vétuste était constitutive d'une carence de l'administration dans la protection du droit à la vie et à la dignité des détenus. Observons que le Conseil, comme à son habitude, demeure très prudent et ne donne satisfaction aux requérants que sur une seule question jugée urgente. Mais l'essentiel est qu'il se place sur le fondement de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009, selon lequel "l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits". Et le Conseil précise qu'elle doit "prendre les mesures propres à protéger la vie des détenus ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain et dégradant". Pour le juge français, un examen très concret de la situation sanitaire des prisons et des efforts réalisés, ou non réalisés, pour y remédier, peut conduire à considérer que les détenus subissent un "traitement inhumain et dégradant". L'inertie des autorités françaises face à une telle situation pourrait donc conduire les détenus, et surtout leurs conseils, à saisir la Cour européenne.

Hergé. Le Lotus Bleu. 1946


Un arrêt-pilote

Surtout, la Cour européenne a recours à la procédure de l'arrêt-pilote, qui accroit la visibilité de sa décision. Elle s'applique aux "affaires répétitives" qui trouvent leur origine dans un dysfonctionnement chronique du droit interne d'un Etat. Dans l'affaire Torregiani et autres, la Cour était en pratique saisie d'un grand nombre de requêtes à peu près identiques portant sur la condition pénitentiaire en Italie. L'arrêt-pilote permet alors à la Cour de traiter en priorité une ou plusieurs d'entre elles et d'indiquer ainsi au gouvernement concerné les mesures qu'il doit prendre pour remédier à une situation qui viole la Convention européenne. Les autres affaires pendantes sont alors gelées jusqu'à ce que les mesures adéquates soient prises pour améliorer la situation. Bien entendu, si les autorités n'exécutent pas l'arrêt-pilote, la Cour peut toujours "dégeler" les affaires pendantes et prononcer de nouvelles condamnations.

Il est vrai que la Cour ne sanctionne pas seulement la situation matérielle dans laquelle se trouvent les établissement pénitentiaires italiens. Elle considère aussi un système juridique qui prive les prisonniers d'un recours efficace pour faire cesser ce type de situation. Le seul recours possible en Italie est en effet le juge d'application des peines qui, en l'espèce, avait effectivement considéré que les prisonniers étaient victimes d'un traitement inhumain et dégradant. Mais cette juridiction ne dispose d'aucun instrument juridique pour faire exécuter sa décision. Tel n'est évidemment pas le cas en France, comme l'a montré le succès de la procédure de référé devant le Conseil d'Etat, en décembre 2012.

Il n'en demeure pas moins que le recours à la notion de traitement inhumain et dégradant pour qualifier une situation particulièrement grave de surpopulation carcérale est indépendant des recours ouverts aux victimes. Sur ce point, la situation française est particulièrement préoccupante, et les conseils des personnes détenues pourraient s'engouffrer dans la brèche ouverte par l'arrêt Torregiani et autres. Heureusement, le Garde des Sceaux, Christiane Taubira a annoncé la mise en chantier de trois nouveaux établissements pénitentiaires et la rénovation du parc existant. Espérons que les travaux seront achevés avant la condamnation par la Cour européenne.



dimanche 6 janvier 2013

Le pseudonyme, la protection qui ne protège pas

Vous souvenez-vous de Zoé Shepard ? Elle avait fait beaucoup rire en 2010, avec son pamphlet "Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire" racontant la vie quotidienne dans une mairie imaginaire, et joyeusement sous-titré : "Comment faire trente-cinq heures en un mois". Derrière le pseudonyme de Zoé Sheppard se cache une jeune fonctionnaire territoriale, à la plume alerte, chargée de mission au Conseil régional d'Aquitaine. Le succès du livre, plus de 400 000 exemplaires vendus, a cependant dépassé les espérances de son auteur, qui a été reconnue, et hélas dénoncée par l'un de ses collègues. 

Ses supérieurs hiérarchiques, décidément dépourvus d'humour, engagent une procédure de sanction disciplinaire pour manquement au devoir de réserve et à l'obligation de discrétion. La fonctionnaire est condamnée par le conseil de discipline, en août 2010, à dix mois de suspension, dont six avec sursis. Dans une décision du 31 décembre 2012, le tribunal administratif de Bordeaux refuse d'annuler cette sanction. Pour le moment, cette décision n'est accessible nulle part, mais on sait que le rapporteur public avait estimé la sanction proportionnée à l'outrage, puisque l'ouvrage contenait "une charge dénuée de toute mesure", dans lequel "l'intérêt général apparaît comme un concept illusoire"

Devoir de réserve et obligation de discrétion

La décision, dont on espère qu'elle sera frappée d'appel, confirme ce que l'on savait déjà. Les fonctionnaires ne disposent pas d'une liberté d'expression aussi étendue que le reste de la population. Le devoir de réserve contraint tout agent public à faire preuve de mesure dans son expression à l'égard des administrés et du service dans lequel il est employé. Il pèse avec une intensité variable selon les agents, et s'impose de manière plus rigoureuse aux personnels d'encadrement qu'aux employés subalternes. L'obligation de discrétion concerne, quant à elle, les documents et les informations dont l'agent a connaissance dans ses fonctions, sauf s'ils sont communicables aux administrés sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs.



Pseudonyme et liberté d'expression

La sanction qui vise Zoé Sheppard peut sembler particulièrement sévère. On songe qu'aux Etats Unis,  sa sanction serait évaluée au regard du Premier Amendement qui garantit de manière très rigoureuse la liberté d'expression. Sa liberté d'expression serait peut-être considérée comme plus importante que son devoir d'obéissance hiérarchique.

En droit français, Zoé Shepard a commis une faute professionnelle. Le fait qu'elle ait situé l'action de son livre dans un service imaginaire ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité, dès lors que certains de ses collègues s'étaient reconnus dans son pamphlet. Surtout, et c'est sans doute, le plus important, le fait de publier sous pseudonyme ne l'exonère pas davantage. Dans ce cas, le pouvoir hiérarchique, qui impose la confidentialité des informations relatives au service et la réserve à son égard, l'emporte clairement sur la liberté d'expression.

Sur ce plan, cette jurisprudence n'est pas nouvelle. Dans une décision du 10 juillet 1996, la Cour administrative d'appel avait déjà admis la légalité de la sanction prise à l'égard d'un agent du fisc qui avait publié, sous pseudonyme, un ouvrage mettant en cause le fonctionnement des services fiscaux. Cette jurisprudence s'applique à tous les supports de l'expression, et on a vu récemment deux magistrats poursuivis pour avoir "tweeté", sous pseudonyme, pendant un procès d'assises.

Comment résoudre le conflit de normes ?

Cette dernière affaire permet peut être de prendre conscience de la méthode bien peu nuancée que le droit positif utilise pour résoudre le conflit entre la liberté d'expression et le devoir de réserve. Car le fonctionnaire peut choisir d'utiliser un pseudonyme pour des motifs très diversifiés.

Dans certains cas, on l'a vu sur les réseaux sociaux, le pseudonyme est utilisé pour échanger des plaisanteries de potache bien à l'abri derrière son pseudo, se moquer du Président trop rigide ou du témoin maladroit. Tout cela n'est pas bien méchant, mais faut-il, dans ce cas, faire prévaloir la liberté d'expression sur les devoirs qui sont ceux du fonctionnaire ? Dans le cas des magistrats de Tweeter, ce n'est pas tant le contenu de leurs propos qui leur est reproché que le fait qu'ils aient utilisé le réseau social pour se distraire, pendant un procès. L'accusé avait en effet le droit d'être jugé par des magistrats attentifs. Ce n'est donc pas tant le manquement à l'obligation de réserve qui est invoqué que la faute professionnelle de nature à semer un doute sur la sérénité de la justice.

Dans d'autres cas, comme celui de Zoé Shépard, le pseudonyme est utilisé pour porter à la connaissance du public certains dysfonctionnements, notamment lorsque la voie hiérarchique a échoué. "Absolument dé-bor-dée" utilise le mode pamphlétaire, une des traditions du journalisme français, pour dénoncer des abus bien connus dans les administrations territoriales. Sur ce plan, le livre n'est certainement pas inutile, et ses supérieurs hiérarchiques auraient sans doute été mieux inspirés en lui proposant une mission sur la réforme des services. Cette utilisation médiatique du pseudonyme est assez fréquente, et l'on se souvient de la grosse colère de l'Elysée, lorsque quelques officiers réunis sous le nom de "Surcouf", avaient publié, en juin 2008 dans le Figaro, un article critiquant le "Livre Blanc" de la défense. Le pseudonyme avait alors permis de faire en sorte que la "Grande Muette"... ne le soit plus.

Dans cette seconde hypothèse, le pseudonyme permet de faire connaître à l'opinion publique tel ou tel dysfonctionnement, et d'engager un débat sur les moyens d'y remédier. Sur ce point, la jurisprudence pourrait peut être s'inspirer de celle de la Cour européenne en matière de liberté de presse. Elle considère, en effet, que la liberté de presse doit l'emporter sur la vie privée des personnes, dès que l'article contesté apporte une "contribution à l'intérêt général". Ne pourrait-on, sur ce modèle, estimer que la liberté d'expression sous pseudonyme doit l'emporter sur l'obligation de réserve, dès que l'auteur contribue à un débat d'intérêt général ?

En tout cas, l'affaire Zoé Shépard montre que la protection du pseudonyme n'est jamais absolue. Elle peut céder devant l'enquête pénale, mais aussi, on l'a vu, la simple jalousie ou animosité des collègues. Le pseudonyme n'offre donc qu'un anonymat temporaire et fragile. Il faut s'en souvenir avant d'écrire un pamphlet, ou un tweet.









jeudi 3 janvier 2013

Hadopi : Trois condamnations... et encore.

Les questions parlementaires permettent quelquefois de mesurer avec précision l'efficacité de certaines politiques publiques. Le 25 décembre 2012, le Journal officiel a publié la réponse à une question écrite posée le 14 août 2012 par Marie-Christine Dalloz. Ce député UMP du Jura demandait en effet au ministre de la justice de "dresser un état des lieux de la lutte contre le téléchargement illégal et notamment de lui indiquer le nombre de dossiers renvoyés devant la justice"

La réponse est éclairante, et laisse entrevoir un échec total du dispositif pénal mis en place par les lois du 12 juin 2009 et du 28 octobre de la même année.

Si on considère cet ensemble législatif au regard de ses objectifs, il n'a rien de particulièrement choquant. N'est-il pas indispensable d'envisager une protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet et de lutter contre un pillage généralisé qui porte atteinte aux droits des créateurs ? Il s'agit, en effet, d'appliquer à internet un dispositif répressif de lutte contre la contrefaçon, qui existe déjà dans le droit positif.

La réponse graduée

Si l'objectif général ne suscite guère de contestation, les modalités de mise en oeuvre des poursuites pénales sont beaucoup plus discutées. Elles reposent sur l'intervention de la Haute autorité pour la protection des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) chargée d'assurer une "réponse graduée". Lorsqu'un téléchargement illégal est constaté, le plus souvent par les victimes, la Haute Autorité envoie d'abord un message électronique appelé "recommandation". En cas de récidive dans un délai de six mois, le contrevenant reçoit un second avertissement, cette fois par lettre recommandée. Enfin, un nouveau manquement dans un délai d'un an suivant l'envoi de cette seconde "recommandation" suscitera une nouvelle lettre, préalable à un éventuel transfert du dossier au parquet. Le titulaire de l'accès à internet par lequel les téléchargements illégaux ont été effectués risque alors d'être condamné pour "négligence caractérisée". Cette négligence, constitutive d'une contravention, est constituée, soit lorsqu'il n'a pas mis en place un moyen de sécurisation de son accès à internet, soit lorsqu'il a manqué de diligence dans la mise en oeuvre de ce moyen.

Observons que cette saisine du juge pénal est, en soit, un progrès par rapport à la procédure initiale, organisée par un législateur bien peu soucieux de la séparation des pouvoirs. Il avait alors prévu de conférer à Hadopi la compétence pour suspendre l'abonnement internet du contrevenant, procédure que le Conseil constitutionnel a sanctionné dans sa décision du 13 juin 2009. Pour le juge constitutionnel, cette sanction portaient une atteinte excessive à la liberté d'expression sur internet, dans la mesure où elle n'était pas prononcée par un juge, mais par une autorité administrative, même indépendante. Le décret du 26 juillet 2010 est donc venir rendre au juge pénal l'exclusivité du pouvoir de sanction.

Cette modification de la compétence n'a cependant pas résolu le problème de l'inefficacité de la sanction pénale,  parfaitement mise en lumière par la réponse ministérielle du 25 décembre 2012. Elle mentionne que, depuis sa création en 2010, la Hadopi a adressé 1 150 000 premières "recommandations", et 100 000 seconds avertissements. Actuellement, 340 dossiers sont en troisième phase, c'est à dire qu'une seconde lettre recommandée doit être envoyée aux intéressés, et 14 procédures ont été transmises au parquet.

Sur ces 14 procédures, trois ont fait l'objet de décisions judiciaires définitives : une relaxe, deux condamnations, dont une assortie d'une dispense de peine, et l'autre condamnant le contrevenant à une amende de 150 €.


Michel Robic. Livres des pirates. L'Herne. 1964



L'échec de la sanction pénale

Bien entendu, les chiffres peuvent toujours être interprétés à l'avantage de celui qui les invoque. La Hadopi, qui se bat pour son existence, ne manque pas d'affirmer que le dispositif repose sur la dissuasion. Les internautes, effrayés par la première "recommandation", renonceraient immédiatement à tout téléchargement illicite, rendant inutile toute poursuite pénale.

De leur côté, les pénalistes insistent sur l'ambiguité de l'incrimination. Comment définir cette "négligence caractérisée" et les "moyens de sécurisation d'internet"? Faut-il que le titulaire de l'abonnement enferme son ordinateur dans un placard pour s'assurer qu'il ne sera pas utilisé par un tiers ? La première, et la seule réelle condamnation, prononcée par le tribunal de Belfort en septembre 2012, vise un internaute convaincu d'avoir téléchargé deux chansons de Rihanna, ce qui relève sans doute du droit pénal. Son ex-épouse, divorcée depuis les faits, a reconnu avoir effectué ces téléchargements, mais son témoignage n'a pas empêché la condamnation de son ex-mari, puisqu'il était le titulaire de l'abonnement à internet et qu'il avait négligé de sécuriser son accès.

Cette affaire illustre parfaitement le problème essentiel de cette infraction, qui repose sur une présomption de culpabilité. Certes, le Conseil constitutionnel a admis cette possibilité de présomption de culpabilité, dans sa décision du 16 juin 1999, à la condition toutefois que les "faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité", et que les droits de la défense sont respectés. En l'espèce, la "négligence caractérisée" de l'abonné résidait donc le fait qu'il n'avait pas su empêcher son épouse de procéder aux téléchargements fautifs. On imagine que les juges doivent hésiter avant de prononcer de telles condamnations, car l'élément moral de l'infraction fait cruellement défaut. L'internaute avait il vraiment conscience de commettre une infraction, en laissant son épouse utiliser librement son ordinateur ?

La conclusion s'impose. Le dispositif pénal de lutte contre les téléchargements illégaux ne fonctionne pas. La Hadopi dispose d'un budget qui a été réduit à neuf millions d'euros pour 2013, après s'être élevé  à onze millions d'euros en 2012. Elle envoie des lettres, fait une politique de sensibilisation des internautes, mais sa mission se heurte très rapidement à l'ineffectivité de la sanction pénale. Il serait peut être possible d'économiser les deniers publics et de réfléchir à d'autres instruments juridiques et judiciaires.