Pseudonyme et liberté d'expression
En droit français, Zoé Shepard a commis une faute professionnelle. Le fait qu'elle ait situé l'action de son livre dans un service imaginaire ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité, dès lors que certains de ses collègues s'étaient reconnus dans son pamphlet. Surtout, et c'est sans doute, le plus important, le fait de publier sous pseudonyme ne l'exonère pas davantage. Dans ce cas, le pouvoir hiérarchique, qui impose la confidentialité des informations relatives au service et la réserve à son égard, l'emporte clairement sur la liberté d'expression.
Comment résoudre le conflit de normes ?
Cette dernière affaire permet peut être de prendre conscience de la méthode bien peu nuancée que le droit positif utilise pour résoudre le conflit entre la liberté d'expression et le devoir de réserve. Car le fonctionnaire peut choisir d'utiliser un pseudonyme pour des motifs très diversifiés.
Dans certains cas, on l'a vu sur les réseaux sociaux, le pseudonyme est utilisé pour échanger des plaisanteries de potache bien à l'abri derrière son pseudo, se moquer du Président trop rigide ou du témoin maladroit. Tout cela n'est pas bien méchant, mais faut-il, dans ce cas, faire prévaloir la liberté d'expression sur les devoirs qui sont ceux du fonctionnaire ? Dans le cas des magistrats de Tweeter, ce n'est pas tant le contenu de leurs propos qui leur est reproché que le fait qu'ils aient utilisé le réseau social pour se distraire, pendant un procès. L'accusé avait en effet le droit d'être jugé par des magistrats attentifs. Ce n'est donc pas tant le manquement à l'obligation de réserve qui est invoqué que la faute professionnelle de nature à semer un doute sur la sérénité de la justice.
Dans d'autres cas, comme celui de Zoé Shépard, le pseudonyme est utilisé pour porter à la connaissance du public certains dysfonctionnements, notamment lorsque la voie hiérarchique a échoué. "Absolument dé-bor-dée" utilise le mode pamphlétaire, une des traditions du journalisme français, pour dénoncer des abus bien connus dans les administrations territoriales. Sur ce plan, le livre n'est certainement pas inutile, et ses supérieurs hiérarchiques auraient sans doute été mieux inspirés en lui proposant une mission sur la réforme des services. Cette utilisation médiatique du pseudonyme est assez fréquente, et l'on se souvient de la grosse colère de l'Elysée, lorsque quelques officiers réunis sous le nom de "Surcouf", avaient publié, en juin 2008 dans le Figaro, un article critiquant le "Livre Blanc" de la défense. Le pseudonyme avait alors permis de faire en sorte que la "Grande Muette"... ne le soit plus.
Dans cette seconde hypothèse, le pseudonyme permet de faire connaître à l'opinion publique tel ou tel dysfonctionnement, et d'engager un débat sur les moyens d'y remédier. Sur ce point, la jurisprudence pourrait peut être s'inspirer de celle de la Cour européenne en matière de liberté de presse. Elle considère, en effet, que la liberté de presse doit l'emporter sur la vie privée des personnes, dès que l'article contesté apporte une "contribution à l'intérêt général". Ne pourrait-on, sur ce modèle, estimer que la liberté d'expression sous pseudonyme doit l'emporter sur l'obligation de réserve, dès que l'auteur contribue à un débat d'intérêt général ?
En tout cas, l'affaire Zoé Shépard montre que la protection du pseudonyme n'est jamais absolue. Elle peut céder devant l'enquête pénale, mais aussi, on l'a vu, la simple jalousie ou animosité des collègues. Le pseudonyme n'offre donc qu'un anonymat temporaire et fragile. Il faut s'en souvenir avant d'écrire un pamphlet, ou un tweet.
"Dans le cas des magistrats de Tweeter (sic), ce n'est pas tant le contenu de leurs propos qui leur est reproché que le fait qu'ils aient utilisé le réseau social pour se distraire, pendant un procès. L'accusé avait en effet le droit d'être jugé par des magistrats attentifs."
RépondreSupprimerEncore une fois, cessez de répandre cette idée selon laquelle les magistrats en question utilisaient leur smartphone "pendant" les audiences... Ce n'est pas vrai. Ils tweetaient pendant les suspensions, et le procès a duré plusieurs jours.