La décision du Conseil d'Etat du 22 décembre 2012
Tout récemment, le Conseil d'Etat, statuant en référé le 22 décembre 2012, a ordonné la dératisation de la prison des Baumettes, estimant que la situation sanitaire de cette prison vétuste était constitutive d'une carence de l'administration dans la protection du droit à la vie et à la dignité des détenus. Observons que le Conseil, comme à son habitude, demeure très prudent et ne donne satisfaction aux requérants que sur une seule question jugée urgente. Mais l'essentiel est qu'il se place sur le fondement de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009, selon lequel "l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits". Et le Conseil précise qu'elle doit "prendre les mesures propres à protéger la vie des détenus ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain et dégradant". Pour le juge français, un examen très concret de la situation sanitaire des prisons et des efforts réalisés, ou non réalisés, pour y remédier, peut conduire à considérer que les détenus subissent un "traitement inhumain et dégradant". L'inertie des autorités françaises face à une telle situation pourrait donc conduire les détenus, et surtout leurs conseils, à saisir la Cour européenne.
Hergé. Le Lotus Bleu. 1946 |
Un arrêt-pilote
Surtout, la Cour européenne a recours à la procédure de l'arrêt-pilote, qui accroit la visibilité de sa décision. Elle s'applique aux "affaires répétitives" qui trouvent leur origine dans un dysfonctionnement chronique du droit interne d'un Etat. Dans l'affaire Torregiani et autres, la Cour était en pratique saisie d'un grand nombre de requêtes à peu près identiques portant sur la condition pénitentiaire en Italie. L'arrêt-pilote permet alors à la Cour de traiter en priorité une ou plusieurs d'entre elles et d'indiquer ainsi au gouvernement concerné les mesures qu'il doit prendre pour remédier à une situation qui viole la Convention européenne. Les autres affaires pendantes sont alors gelées jusqu'à ce que les mesures adéquates soient prises pour améliorer la situation. Bien entendu, si les autorités n'exécutent pas l'arrêt-pilote, la Cour peut toujours "dégeler" les affaires pendantes et prononcer de nouvelles condamnations.
Il est vrai que la Cour ne sanctionne pas seulement la situation matérielle dans laquelle se trouvent les établissement pénitentiaires italiens. Elle considère aussi un système juridique qui prive les prisonniers d'un recours efficace pour faire cesser ce type de situation. Le seul recours possible en Italie est en effet le juge d'application des peines qui, en l'espèce, avait effectivement considéré que les prisonniers étaient victimes d'un traitement inhumain et dégradant. Mais cette juridiction ne dispose d'aucun instrument juridique pour faire exécuter sa décision. Tel n'est évidemment pas le cas en France, comme l'a montré le succès de la procédure de référé devant le Conseil d'Etat, en décembre 2012.
Il n'en demeure pas moins que le recours à la notion de traitement inhumain et dégradant pour qualifier une situation particulièrement grave de surpopulation carcérale est indépendant des recours ouverts aux victimes. Sur ce point, la situation française est particulièrement préoccupante, et les conseils des personnes détenues pourraient s'engouffrer dans la brèche ouverte par l'arrêt Torregiani et autres. Heureusement, le Garde des Sceaux, Christiane Taubira a annoncé la mise en chantier de trois nouveaux établissements pénitentiaires et la rénovation du parc existant. Espérons que les travaux seront achevés avant la condamnation par la Cour européenne.
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