La Cour européenne a rendu le 8 mars 2012 trois décisions sanctionnant le droit français relatif à la contestation des contraventions routières (
Cadène c. France ;
Célice c. France ;
Josseaume c. France). Les automobilistes requérants se plaignaient d'une procédure les privant de leur droit d'accès au juge. La Cour européenne leur donne raison et constate une violation de l'article 6 § 1. de la Convention.
Le traitement de masse des contraventions
La politique française de sécurité routière repose largement sur un renforcement des sanctions, grâce notamment à la multiplication des radars. Cette politique répressive se montre efficace, et la sécurité sur les route s'est accrue, comme en témoignent
les récentes statistiques qui montrent une baisse substantielle du nombre de morts sur le route.
Le problème est que si la multiplication des radars entraîne celle des contraventions, les pouvoirs publics se trouvent désormais confrontés à la nécessité d'un traitement de masse de ces infractions. Pour éviter d'engorger les tribunaux, on dissuade donc les automobilistes de contester l'amende qui les frappe. Et cette dissuasion passe malheureusement par une certaine négligence des principes fondamentaux de la procédure pénale.
La Cour européenne s'est montrée relativement tolérante dans le cas précis des peines-plancher que le juge doit prononcer, lorsqu'il condamne une personne qui conteste une amende forfaitaire ou une amende forfaitaire majorée (art. 530-1 cpp). Dans l'arrêt
Schneider c. France du 30 juin 2009, elle a considéré que cette entorse au principe d'individualisation de la peine est justifiée par les nécessités d'une bonne administration de la justice, en l'espèce la volonté de lutter contre les recours dilatoires. Ce principe a été repris à l'identique par le Conseil constitutionnel, dans sa
décision du 16 septembre 2011.
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Franquin. Vacances sans histoires. 1959 |
La requête en exonération
Les trois requérants, tous trois "flashés" sur la route pour des excès de vitesse, ont reçu un avis de contravention les invitant à payer une amende forfaitaire de 68 €. L'avis précisait qu'en cas de paiement dans les quinze jours son montant était réduit à 45 €, mais qu'en cas de défaut de paiement dans les quarante-cinq jours, il serait majoré à 180 €. Il est précisé qu'une "requête en exonération" est possible, notamment en cas de vol, de prêt ou de destruction du véhicule, mais aussi pour un autre motif que le demandeur est invité à préciser. Cette requête doit s'accompagner du règlement du montant de l'amende "à titre de consignation". Elle est transmise à l'officier du ministère public, en l'occurrence un commissaire de police, qui vérifie si les conditions de recevabilité sont remplies. Si ce n'est pas le cas, le requérant reçoit un avis d'amende forfaitaire majorée. Si c'est le cas, le ministère public décide soit de classer l'affaire, soit de poursuivre l'intéressé devant le juge de proximité.
En l'espèce, les contrevenants ont déposé une requête en exonération et demandé, comme c'est leur droit, la communication de la photo permettant d'établir la réalité de l'infraction. L'"officier du ministère public" a considéré la requête comme irrecevable, pour différents motifs, défaut de motivation ou défaut de contestation explicite de l'infraction. Les requérants se sont donc vu opposer une fin de non recevoir, alors même qu'ils n'avaient pas encore pu avoir communication du cliché, pièce importante pour démontrer par exemple que le véhicule était conduit par un autre conducteur que son propriétaire.
Quoi qu'il en soit, cette irrecevabilité a pour conséquence immédiate l'encaissement de la consignation. L'amende est donc considérée comme payée, et l'action publique éteinte, sans que les requérants aient finalement pu porter l'affaire devant un juge. C'est précisément cette disparition totale du droit au recours que la Cour européenne sanctionne.
Le contrôle de proportionnalité
Dans l'affaire Schneider, l'atteinte à l'individualisation qu'entraînait la mise en oeuvre d'une peine-plancher était toute relative, car le juge conservait la possibilité de moduler la durée de peine entre le minimum imposé et le maximum possible, ainsi que celle de dispenser de peine l'auteur de l'infraction. La Cour avait donc considéré que la mesure était proportionnée à l'intérêt en cause, c'est à dire la lutte contre l'encombrement des juridictions et les recours dilatoires.
Dans les trois décisions du 8 mars 2012, la Cour considère que le droit au juge est entièrement supprimé sans justification suffisante. Derrière ce contrôle se cache une critique à peine voilée du rôle du ministère public incarné dans un officier de police. La Cour observe ainsi que, dans un cas, il a exigé des pièces non prévues par les texte comme préalable à la communication de la photographie de l'infraction, alors que, dans un autre, il a exigé une contestation formelle de la décision dès la demande d'exonération. Dans les deux cas, il est donc allé au delà du contrôle de la recevabilité pour organiser une procédure non réellement prévue par les textes.
Certains vont évidemment critiquer une décision qui semble offrir aux chauffards une voie de droit pour obtenir l'annulation d'une procédure désormais non conforme à l'article 6 § 1 de la Convention. Mais on peut au contraire considérer que la réintégration des infractions routières dans le droit commun de la procédure pénale ne peut que renforcer leur crédibilité. Car une peine pénale, même légère, ne peut être comprise que si elle peut être contestée.