« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 14 août 2018

"L'Etat au service d'une société de confiance" : éléments de langage

L'intitulé des lois est aujourd'hui un élément fondamental de la communication institutionnelle. Après la "lutte contre la manipulation de l'information", l'"immigration maîtrisée et (...) l'intégration réussie", le "nouveau pacte ferroviaire", la "liberté de choisir son avenir professionnel", les citoyens sont désormais assurés que l'Etat est "au service d'une société de confiance". En soi, c'est plutôt une bonne nouvelle, même si le titre de la loi du 10 août 2018 ne laisse rien percevoir de son contenu. 

En d'autres temps, ce texte aurait été présenté comme "portant diverses dispositions" ou "diverses mesures" d'ordre administratif, voire comme un texte autorisant le gouvernement a prendre des ordonnances dans le domaine de la loi. En effet, bon nombre de dispositions se bornent à énoncer une finalité très générale, dont la mise en oeuvre sera précisée par ordonnance. C'est ainsi que le gouvernement interviendra pour "renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux" ou sur "les contrôles susceptibles d'être réalisés" dans la procédure d'octroi des aides européennes aux agriculteurs. Le reste du texte est composé de dispositions ponctuelles modifiant différents codes, qu'il s'agisse du code des relations avec le public, du code général des impôts, du code des douanes etc. Le résultat est que le fil conducteur n'apparaît pas clairement dans cet ensemble de dispositions assez disparates.


Les dispositions du mois d'août



Certaines d'entre elles ne peuvent manquer de surprendre dans un texte consacré à "l'Etat au service d'une société de confiance". A moins qu'il ne s'agisse de faire passer discrètement, au coeur du moins d'août, des réformes susceptibles d'être contestées ? 


Atteinte à l'autonomie des Universités 



L'article 52 autorise en effet le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi "destinées à expérimenter de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche qui ont accepté le rapprochement, le regroupement ou la fusion". Les malheureux établissements supérieurs qui ont accepté de fusionner vont donc se voir imposer par l'Etat "de nouveaux modes d'organisation et de fonctionnement", "de nouveaux modes de coordination territoriale" et "de nouveaux modes d'intégration". Certes, il est précisé qu'il s'agit là d'expérimentations, prévues pour dix ans. Mais pense-t-on vraiment qu'un établissement qui aura perdu sa personnalité morale et ses modes d'organisation pourra réellement les retrouver au bout de dix ans ? Si la loi Pécresse mettait en avant un principe d'autonomie des Universités largement fictif, l'article 52 de la loi du 10 août 2018 ne se donne pas cette peine, et replace tranquillement les Universités sous le contrôle étroit de l'Etat. Sans doute une conception nouvelle de la "société de confiance"...

Trust in me. Le Livre de la Jungle. Walt Disney. 1967


Le lobbying des associations cultuelles


Une observation identique peut être réalisée avec l'article 65 de la loi. Très discrètement, il se borne à affirmer qu'à la fin de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les mots « dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes » sont supprimés. Cette suppression a pour effet de libérer les associations cultuelles de l'obligation d'inscription sur le registre des représentants d'intérêts. Elles pourront désormais faire du lobbying tout à fait librement et dans la plus grande opacité. On doit donc en déduire que la société de confiance ne repose pas sur la transparence, du moins lorsqu'il s'agit des Eglises.


Dématérialisation des procédures



D'autres dispositions, plus bénignes, se bornent à prendre acte de l'utilisation croissante d'internet dans les procédures administratives. Le titre II joliment intitulé "Vers une action publique modernisée, simple et efficace" comporte des dispositions prévoyant la dématérialisation de certaines démarches, en particulier celles de l'état civil, ou de la gestion des ressources humaines des agents publics. A dire vrai, ce processus était engagé depuis longtemps et ces réformes ne changeront pas la vie des administrés.


Le droit à l'erreur



Le droit à l'erreur de l'administré, présenté comme l'apport essentiel de ce texte, est en réalité un "droit à régularisation en cas d'erreur". L'article L 123-1 du code des relations entre le public et l'administration énonce désormais qu'une "personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet (...) d'une sanction (...), si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué." Cette fois, il s'agit bien d'une disposition nouvelle, et positive. Cette "bienveillance" de l'administration, pour reprendre la formule de Gérard Darmanin, n'était d'ailleurs pas inconnue du droit positif. Le contribuable de bonne foi pouvait en effet déjà bénéficier de la remise gracieuse de sanctions ou de pénalités. 

Les alinéas suivants de l'article L 123-1 sont moins favorables à l'administré. Il est précisé en effet que la sanction peut tout de même être prononcée à son encontre, sans aucune invitation à régulariser sa situation, "en cas de mauvaise foi ou de fraude". En d'autres termes, l'administré est présumé de bonne foi, sauf si l'administration en décide autrement, situation qui laisse la porte ouverte à un large pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, ne sont ne sont pas concernées par cette présomption de bonne foi les sanctions requises pour la mise en ouvre du droit de l'Union européenne, celles prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement, celles prévues par un contrat, et celles enfin prononcées par les autorités de régulation. Le droit à l'erreur a ainsi une portée pour le moins limitée, même si on peut comprendre la volonté de soustraire de son bénéfice les grandes entreprises assistées de services juridiques et d'avocats, censés les informer convenablement sur les procédures qu'elles doivent respecter.

La "société de confiance" invoquée par la loi du 10 août 2018 ne peut donc être envisagée que sous bénéfice d'inventaire. Et précisément, l'inventaire n'incite guère à la confiance. Si l'on retire les dispositions discrètes destinées à porter atteinte à l'autonomie des Universités ou à permettre aux Eglises d'exercer librement une activité de lobbying, il reste des normes imprécises qui seront éclairées par des ordonnances intervenant dans le domaine de la loi. On pourra alors, peut-être, mesurer un peu mieux le degré de "bienveillance" de l'Etat et ce qu'apporte à l'administré cette "société de confiance".

1 commentaire:

  1. Merci pour cette excellente information sur cette loi que certains font passer pour révolutionnaire, notamment au regard du comportement d'agents de l'Etat dans les opérations de récolement en Urbanisme.

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