« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 9 novembre 2012

Le secret de la correspondance avec l'avocat

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 octobre 2012, donne quelques précisions sur la notion de secret de la correspondance, notamment lorsqu'elle est appliquée dans la relation particulière entre l'avocat et son client. Un avocat brestois, commis d'office, a assisté deux personnes mises en examen. Saisi par le juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention, après débat contradictoire auquel a évidemment participé l'avocat, a annoncé qu'il rendrait sa décision de mise en détention provisoire, ou en liberté, à l'issue d'un délibéré. C'est durant ce délibéré que l'avocat a donné aux deux intéressés un morceau de papier plié en deux, indiquant ses coordonnées professionnelles. Les policiers de l'escorte, officiers de police judiciaire, ont intercepté ces deux billets, les ont lus, avant de les restituer à leurs destinataires. 

L'avocat a vu dans cette attitude une intolérable atteinte au secret de la correspondance. Il a porté plainte pour violation du secret de la correspondance, mais les juges du fond ont rendu une ordonnance de non-lieu, confirmée en appel.  La Cour de cassation écarte à son tour sa requête, en considérant que le billet en question ne saurait être analysé comme une correspondance susceptible d'être protégée.

Un élément de la vie privée

L'inviolabilité de la correspondance est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée. Le code pénal punit ainsi d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende "le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance" (art. 226-15 c. pén.). Cette confidentialité s'impose aux personnes privées, et un chef d'entreprise doit la respecter à l'égard de ces salariés (Voir l'arrêt Société Nikon France S.A. du 2 octobre 2001). Elle s'impose aussi aux personnes publiques, et le Conseil d'Etat annule, sur ce fondement, la circulaire signée par un maire ordonnant l'ouverture et le classement de toutes les lettres adressées aux membres du Conseil municipal, y compris ceux de l'opposition.

Honoré Daumier. L'avocat et sa cliente.


Un élément des droits de la défense

Au delà du simple respect de la vie privée, la confidentialité de la correspondance est aussi une garantie des droits de la défense, lorsque cette correspondance est échangée entre le conseil et son client. En principe, le secret est donc protégé de manière encore plus rigoureuse. Dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 est ainsi rédigé : "En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense,  (...) les correspondances échangées entre le client et son avocat (...) sont couvertes par le secret professionnel". 

Observons néanmoins que le secret de la correspondance de l'avocat n'est pas absolu. La loi elle-même prévoit une exception, lorsque l'avocat échange une correspondance "officielle" avec ses confrères. L'échange avec l'avocat adverse peut donc être produit en justice, évolution voulue par les avocats eux-mêmes, dans le but de pouvoir répondre directement à une mise en demeure adressée à leur client. Dans ce cas cependant, le secret est écarté par l'avocat lui-même.

Une correspondance confidentielle doit avoir l'air... confidentiel

Dans la décision de la Cour de cassation, le secret est revendiqué par l'avocat et écarté par le juge. Celui-ci énonce que "circulant à découvert, les billets litigieux ne répondaient pas à la notion de correspondance protégée au sens de l'article 432-9 du code pénal". De cette formulation, on pourrait déduire que c'est la forme du billet qui emporte la décision du juge. Dès lors que l'avocat n'a pas cru bon de le mettre sous enveloppe, et qu'il s'est borné à le plier en deux avant de le communiquer aux deux personnes mises en examen, il a lui même montré que le papier n'était pas couvert par le secret. Autrement dit, le secret de la correspondance est protégé lorsque l'avocat montre qu'il entend en garantir la confidentialité. Le juge de cassation n'éprouve pas le besoin d'aller au-delà de ce motif, amplement suffisant pour rejeter le recours.

Mais l'analyse ne saurait s'arrêter là. Il reste à se demander si la solution aurait été différente si notre avocat avait mis le billet sous une enveloppe, dûment revêtue du tampon "Confidentiel" en lettres rouges. Peut-être pas, car le droit positif se montre nuancé dans le cas particulier des personnes privées de liberté. Certes, l'arrêt Golder, rendu par la Cour européenne en 1975, rappelle qu'une personne détenue doit pouvoir bénéficier de la confidentialité dans ses relations, y compris épistolaires, avec son avocat. En revanche, l'arrêt Campbell c. Royaume Uni de 1992 autorise une atteinte à cette liberté lorsque les autorités "ont lieu de croire à un abus du privilège de cette correspondance", ou lorsque "le contenu de la lettre menace la sécurité de l'établissement ou d'autrui, ou revêt un caractère délictueux". On songe à l'avocat pour le moins indélicat transmettant un paquet contenant un téléphone portable, ou une lettre détaillant les plans de la prison et les horaires des rondes.

La sécurité et le secret

En l'espèce, l'avocat requérant n'a évidemment fait que communiquer ses coordonnées aux deux personnes privées de liberté, ce qui n'a rien d'illicite. De leur côté, les officiers de police judiciaire n'ont fait que lire les billets, avant de les rendre à leurs destinataires. Or, le juge mentionne que, en raison de la nature même du régime coercitif auquel sont soumises les personnes retenues, les dépositaires de l'autorité publique doivent s'assurer qu'elles ne sont porteuses d'aucun objet présentant un risque pour sa sécurité ou celle des tiers. Ils doivent donc contrôler tout objet remis à une personnes dans cette situation, quelle qu'en soit la nature. 

Confronté au problème récurrent du conflit de normes, le juge de cassation choisit une position réaliste. En s'assurant du contenu des billets, les officiers de police judiciaire ont certes porté une atteinte au secret de la correspondance, mais ce n'est finalement pas une atteinte excessive au regard de l'intérêt public dont ils ont la charge. Derrière ce raisonnement se cache peut être un peu d'agacement. Car les avocats sont censés connaître les règles. Celui-ci, qui manifestement cherchait des causes à défendre, aurait peut être pu investir dans des cartes de visite, sachant que les officiers de police judiciaire ont précisément pour directive de laisser circuler ce type de document. 




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